La décision prise par Lula d’emmener sa « Caravane Sud » jusqu’à la tombe de Getúlio Vargas à São Borja, ramène dramatiquement à la scène politique brésilienne l’ineffaçable « Lettre Testament » du président gaúcho (né dans l’État de Rio Grande do Sul (RS)), fondateur de la CLT (Consolidation des Lois Travail-Code du Travail, 1er mai 1943) et de Petrobras. Une fois de plus, les rapaces lancent le pays dans un carrefour dramatique qui peut se dédoubler en explosions sociales imprévisibles. La condamnation de Lula dans un procès juridique plein de vices et d’irrégularités, révèle la chasse des oligarchies externes et internes d’un leader populaire authentique, dont la sentence de prison, si elle devient effective, peut conduire le Brésil vers une crise, qui va aggraver la perte sans limites de la souveraineté déjà corrodée.
Lula se retrouve dans des situations similaires, mise à part la différence d’époque, à celles rencontrées par Getúlio Vargas tout au long de sa trajectoire. Lula a lui-même reconsidéré son regard historique sur Vargas et reconnait maintenant, l’importance du rôle du président qui a fondé l’État Social et transformé le Brésil, « pas plus qu’une ferme à café », en un pays industrialisé avec des taux de croissance de 12%. La similarité est frappante puisque Vargas a été lui aussi victime d’agression par les mêmes rapaces qui se lancent maintenant sur Lula.
À chaque moment historique, à chaque dilemme, à chaque carrefour, nous avons eu des attitudes différentes. Vargas a réagi à la fraude de l’oligarchie de São Paulo dans l’élection de 1930, en convoquant l’unité civique et militaire qui s’est transformée dans un mouvement capable de renverser le gouvernement fraudeur et responsable du maintien du Brésil sous le statut de colonie, incapable de surmonter l’héritage de l’esclavage. C’est seulement après la Révolution de 30 qui amène Vargas au siège présidentiel du palais de Catete avec un large soutien populaire, que la communauté noire commence à sentir de facto l’abolition de l’esclavage en conquérant des droits dans le domaine du travail et de la citoyenneté. Sont aussi mis en place le vote secret et le vote des femmes, ce qui provoque l’exaltation de la France par le biais des intellectuels anti-Vargas (la France n’accordera le droit de vote aux femmes qu’après la Seconde Guerre).
Comme avec Lula, qui est aujourd’hui la cible d’une opération sophistiquée de démolition d’image, avec Vargas il y a eu aussi l’imposition d’une fausse histoire qui a cherché à transformer le président réformateur en voyou. En prenant certains choix politiques judicieux, Lula devient la cible de la même oligarchie dont Vargas fut victime. Dans une perspective historique, Lula mène son action dans le sens de la politique adoptée à l’époque de Vargas, surtout au moyen de la valorisation du rôle de l’État et des entreprises publiques, en parallèle avec des politiques sociales inclusives.
La bonne décision prise par Lula d’emmener sa « Caravane Sud » jusqu’à la tombe de Getúlio Vargas à São Borja, où on peut aussi trouver les tombes d’autres grandes figures brésiliennes comme João Goulart aussi appelé Jango (dernier président brésilien de gauche avant le coup militaire de 1964) et Leonel Brizola (gouverneur de l’État de RS, en exil après le coup de 1964 et fondateur du Parti Démocratique Travailliste en 1979), est un message symbolique puissant et révélateur du besoin indispensable d’une grande unité populaire, afin de contrer la menace d’un pouvoir impérial externe et de ses partenaires oligarchiques internes contre le peuple brésilien.
Le message de Lula est aussi dirigé à la Centrale Unique des Travailleurs (CUT), qui a traité indûment, comme le ferait un fasciste, le Code du Travail et l’Impôt Syndical dont l’extinction aujourd’hui, selon les syndicalistes eux-mêmes, pourrait entraîner une perte de recettes de 70% du total perçues par la Centrale, mettant en risque un nombre innombrable de syndicats. L’article titré « Régression Historique » récemment écrit par la valeureuse députée Benedita Silva et publié dans le journal « O Globo », reconnaît l’importance du Code du Travail et indirectement de l’Impôt Syndical. Bizarrement aucune référence à Vargas n’y est mentionnée. Pour tout dire, comment est-ce qu’on peut débattre l’utilité de ces outils si le mouvement syndical n’était même pas à la hauteur d’impulser une grève générale vigoureuse contre la réforme de 2017 du Code du Travail (CLT).
Même si les membres et sympathisants du PT (Parti des Travailleurs) ont été hostiles au courant politique de Vargas, faisant parfois l’usage d’une histoire imposée par ceux qui ont amené Vargas au suicide, le « coup » porté contre Dilma Roussef en 2016, met Lula et Vargas dans la même lignée de l’Histoire.
Les réactions des uns et des autres face aux défis historiques sont pourtant très différentes. En 1932 Vargas a réagi avec les armes contre un coup armé organisé par l’oligarchie de São Paulo baptisé de façon frauduleuse par « Révolution Constitutionnelle » soutenue par l’impérialisme anglais, au moment même où Vargas faisait un audit de la dette extérieure. Vargas, à la suite de l’audit, a courageusement suspendu le paiement de la dette dont les principaux créanciers étaient les anglais. C’est étonnant aujourd’hui, de voir encore des sympathisants du PT surtout à São Paulo, qui exaltent la supposée révolution, alors que Lula l’a définie publiquement comme étant une contre-révolution. Dilma Roussef de son côté a choisi de réagir au coup d’une autre façon, sans convoquer le peuple, sans utiliser les moyens légitimes de l’État, et même sans se bagarrer via les médias. Tandis que Dilma n’a pu résister à la fraude qui l’a renversée, Vargas a quant à lui résisté à la fraude de 1930 profitant des conditions historiques pour battre politiquement la fraude et ses commanditaires.
Victoire dans la Défaite
En 1954, se rendant compte du coup d’état qui était déjà en marche, lorsque des avions survolaient le palais de Catete, Vargas a donné sa vie pour défendre les acquis du peuple. Un tir de révolver au cœur a pu maintenir intacts le Code du Travail, l’entreprise minière Vale do Rio Doce, la banque de développement BNDES, la Petrobras et même l’Eletrobras dont le projet de création a été signé par Vargas cette année-là, déclarant sourire aux lèvres, qu’il venait de signer sa propre condamnation à mort. Ce tir résonne encore jusqu’à présent dans le cœur du peuple brésilien et a permis à Vargas de désigner son héritier politique, Juscelino Kubistchek (JK), en retardant le coup d’État de 10 ans.
En 1961, lorsqu’à nouveau un autre coup était ourdi, Brizola le gouverneur de RS a suivi la ligne de la résistance avec le courage qui l’a caractérisé toute sa vie. Il a créé le mouvement de résistance Réseaux de la Légalité, distribué des armes au peuple et convoqué comme en 1930, l’unité civique et militaire en défense de la Constitution. Il a aussi fait un usage intelligent de la radio – quelque chose qui n’a pas été envisagée par les gouvernements du PT – mobilisant les consciences partout dans le pays. Le coup a été à nouveau vaincu.
Ce que les gouvernements Vargas, Jango, Lula et Dilma révèlent, est qu’à toute et chaque transformation sociale en faveur du peuple travailleur, des barrières sont imposées par l’impérialisme et l’oligarchie. Ces barrières peuvent être prévues, affrontées, vaincues, ou alors dangereusement négligées. Quand on ne prépare pas le peuple à la défense du cours démocratique sans l’utilisation indispensable d’une communication populaire et sans une résistance organisée, tout est voué à l’échec et conduit à la défaite, comme en 1964 et 2016.
Toutefois, sauf quelques déclarations audacieuses de Lula qui révise ses critiques et reconnait la valeur de Getúlio Vargas, mais aussi des réflexions émises par le philosophe Emir Sader et notre cher professeur Marco Aurélio Garcia (PT) sur la ligne historique qu’unifie le PT et les idéaux de développement national et travailliste, le débat est souvent boycotté à l’intérieur du parti. Mais voici que l’Histoire, une fois de plus, place Lula dans les mêmes circonstances que Vargas. Et Lula place correctement la tombe de Vargas sur le trajet de la « Caravane Sud » comme moyen de promouvoir le débat spontané.
La bravoure de Minas
Je crois que cela vaut la peine de citer des exemples originaires de l’état de Minas Gerais (abrégé dans le texte par Minas): JK, alors gouverneur de Minas, a proposé à Vargas le 3 août 1954, le transfert de la capitale nationale de Rio de Janeiro à Belo Horizonte (la capitale de Minas), situé dans la zone d’haute montagne des Alterosas permettant ainsi de mieux résister au coup qui se dessinait. Vargas a refusé, en sachant le risque qu’il encourait. Minas c’est un pays de braves à l’origine de la figure historique majeure et grand héros du Brésil anti-colonial du XVIIIème « le Tiradentes », de plus en plus cité par Lula. En 1932, pendant la guerre civile, Minas a pris les armes contre le coup des oligarques de São Paulo dont JK, le célèbre politicien Tancredo Neves et le grand musicien populaire Gonzagão « o Lua » à l’époque clairon du 12ème régiment de Belo Horizonte.
Après, dans l’année de 1999, le gouverneur de Minas Itamar Franco, en mobilisant les troupes de la Police Militaire, a fait reculer le président brésilien de l’époque Fernando Henrique Cardoso dans la prétendue privatisation du barrage de Furnas. Par contre, l’actuel gouverneur PT de Minas, à l’inverse de la bravoure de JK et Itamar, n’a même pas bougé le petit doigt contre la privatisation de la Cemig (Compagnie d’Énergie de Minas Gerais) et s’est soumis muet et embarrassé au marché.
Et plus encore, il propose lui-même, la privatisation d’autres entreprises d’État à Minas. Ce n’est pas par hasard que le « putschisme » n’a pas épargné JK et d’après le livre « L’assassinat de JK par la dictature », le sinistre perpétré a eu lieu en 1976 sur la Via Dutra (l’autoroute qui relie Rio de Janeiro à São Paulo) et a empêché la rencontre qui aurait été emblématique entre l’ex-président et le président Ernesto Geisel (4ème président de la République du régime militaire et général de l’armée brésilienne).
Cette rencontre aurait pu changer le cap de la politique du pays car le général Geisel appliquait, même sous condition d’arbitre, certaines mesures qui ont prolongé, en quelque sorte, l’ère Vargas. Quelques mois après, c’était Jango qui revenait de l’exil mais à l’intérieur d’un cercueil. Tancredo Neves est quant à lui décédé en 1985 dans des circonstances peu claires, la veille de sa prise de fonctions en tant que président élu de la République. Lui, qui le 24 août 1954 avait proposé à Vargas de résister, armes à la main et avait convoqué le peuple et les militaires de Vila Militar (quartier de casernes en banlieue de Rio). Le « putschisme » qui a agi contre Vargas, JK, Jango et Brizola se focalise maintenant sur Lula.
L’alerte de 2013 n’a pas été prise au sérieux
En 2013 les signaux annonçant un coup d’état étaient évidents, surtout après les soi-disant « journées de lutte », clairement financées par l’extérieur et massifiées par les médias « putschistes ». Le désaccord entre Lula et Dilma a empêché à l’ex-métallurgiste son retour en 2014 à la présidence, avec sa probable élection, en vue de sa solide popularité. Du coup, hors de la présidence, il a été la cible d’une opération de démolition systématique de son image, combinée à son procès judiciaire toujours condamnatoire et conduit par un juge ayant des liens robustes avec les pouvoirs externes.
Le fait d’avoir Lula hors la présidence a été un avantage offert au « putschisme » et il n’y avait aucune raison majeure pour qu’il n’y retourne pas. Rafael Correa subit aussi la même odyssée et paie cher le prix par inadvertance, de ne pas se maintenir à la tête d’un processus transformateur pour lequel il avait une majorité de presque 70% à l’Assemblée Nationale. Par contre Evo Morales ne se laisse pas tromper dans le concept-piège d’alternance de pouvoir, ce que fait Poutine, tout à fait conscient de son rôle dans l’échiquier mondial. Ils se préparent tous les deux à leur quatrième élection, toujours par le suffrage universel.
Nous ne connaissons pas l’issue de la crise actuelle, bien que Lula ait déclaré pendant la crise du scandale Mensalão, qu’il ne se suiciderait pas comme Vargas, qu’il ne renoncerait pas non plus comme le président Jânio da Silva Quadros en 1961 et qu’il ne fuirait pas le pays comme Jango. Il a dit à l’époque, qu’il convoquerait le peuple pour une marche visant à défendre son mandat issu du vote populaire.
Les circonstances ont changé, certaines conditions favorables à une solution démocratique n’ont pas été saisies et malheureusement le coup a eu lieu, le Code du Travail a été violenté, aussi bien que la Petrobras et la Loi du Partage (garant des recettes pour l’état de la vente de pétrole-utilisées dans les investissements publics, mais aussi garant d’une présence minimale en tant qu’opérateur dans le processus d’exploration et d’extraction). L’Eletrobras est aussi dans le viseur des agresseurs. Les leviers de l’État sont aux mains des puissances extérieures et pas aux mains de Lula; en outre, il est condamné en justice.
Personne ne connaît l’issue de la crise, mais comme en 1930, notre seule chance de réussir est l’unité populaire, même si on a du mal à la construire. Si on n’agit pas à temps, c’est le peuple qui va en pâtir. Par contre, si on dépasse les préjugés et les erreurs du passé, à condition d’un maintien de l’espoir démocratique, il y aura toujours une flamme dans le cœur du peuple. Raison de plus pour encourager l’union, au nom de la défense du Brésil, à présent menacé en tant que nation.
Traduit du portugais par Paulo Correia pour le Journal Notre Amérique
Source : Patria Latina