La réponse de l’aDAS (Défense des Allocataires Sociaux) à la missive de Claude Emonts, Président du CPAS de Liège et de la Fédération des CPAS wallons, que nous avons publiée il y a deux jours. (N.B. CPAS = Centres publics d’assistance sociale en Belgique, chargés de “l’aide aux pauvres”)
Monsieur le Président,
Dans votre « RAS LE BOL » diffusé sur Facebook http://www.investigaction.net/Ras-le-bol.html, vous « menacez » de façon provocatrice de mettre fin à vos jours face à la situation de votre CPAS, et plus globalement, de tous ceux du pays. De ce texte qui a fait le buzz dans la presse de la semaine passée, beaucoup n'auront sans doute retenu que les difficultés financières des CPAS. Il convient cependant de lire votre texte avec attention, afin de voir ce que vous dénoncez et proposez.
Les finances des CPAS vont mal. Celles des communes aussi. Ça ne tombe pas du ciel !
Si l'on pointe le plus souvent la question des transferts de charges du fédéral vers le local (police, pompiers, aide sociale, pensions…) sans y affecter les moyens financiers nécessaires, ce « fédéral » prend souvent l'allure d'une abstraction hors de toute atteinte. Cependant, le « fédéral », c'est un gouvernement qui, PS en tête, impose ces charges nouvelles dont le pire reste encore à venir avec le transfert des compétences consécutif à la dernière réforme de l'État. Le « fédéral », c'est aussi ce même gouvernement qui, PS en tête, adopte depuis des années des mesures d'austérité qui appauvrissent une partie grandissante de la population.
« J'admets et je me félicite que l'actuel gouvernement réussisse mieux que la plupart de ses partenaires de l'Union européenne à combattre la crise économique », déclarez-vous. Ah bon ? La « crise » est cependant combattue entre autres par la politique brutale d'exclusions des chômeurs, la dégressivité des allocations de chômage, la limitation dans le temps des allocations d'insertion … qui « poussent de plus en plus de gens vers les CPAS ».
Une récente circulaire du ministre wallon des pouvoirs locaux Paul Furlan (PS) invite les communes à tendre vers l'équilibre budgétaire dès 2014. A défaut, le gouvernement wallon arrêtera un dispositif contraignant permettant le retour à l'équilibre dès 2015. Parlant des économies en cascade du régional vers le local qui à son tour l'impose aux CPAS, vous estimez que « Cette cascade donne toutes les apparences de la justice et de l'équité, sous le thème du "chacun doit faire les mêmes efforts", principe que je ne renie en rien SI CHACUN EST SOUMIS AUX MÊMES OBLIGATIONS. Or les CPAS ne sont pas soumis à ces mêmes obligations ».
Voilà bien où le bât blesse : accepter la logique de l'austérité à tous les niveaux entraînera automatiquement des économies budgétaires dans les CPAS. Pourquoi ceux-ci seraient-ils le seul niveau de pouvoir à être épargné alors que tant d'autres secteurs sociaux sont attaqués ?
Les « économies en cascade » sont souvent présentées comme une fatalité : pour le local (villes et CPAS), c'est à cause du régional, pour le régional c'est à cause du fédéral, pour le fédéral, c'est à cause de l'Europe, et pour l'Europe c'est à cause du FMI ou de la banque mondiale. A tous ces niveaux pourtant, des mandataires politiques prennent des décisions. Et si l'on a souvent, à juste titre, l'impression qu'ils n'ont plus rien à dire, c'est parce qu'ils ont décidé politiquement de laisser tout pouvoir à la finance et aux spéculateurs… Qu'ont-ils entrepris depuis la crise financière de 2008 sinon renflouer les banques pour qu'elles puissent à nouveau recommencer leurs spéculations qui, à terme, aboutiront à des résultats aussi graves, sinon pires, qu'en 2008 ?
Le parlement, mandataires PS compris, a voté récemment le TSCG (Traité européen de stabilité budgétaire, ou encore Tous Saignés Comme des Grecs…) qui impose à toutes les administrations publiques d'être désormais en équilibre budgétaire. Il serait hypocrite, après avoir voté pareil carcan, de verser des larmes de crocodile sur les « difficultés budgétaires » des villes et CPAS. Parce que les conséquences en seront – et en sont déjà – des restrictions à tous les niveaux : licenciements, suppression de services, privatisations, augmentation des taxes et atteintes aux droits des usagers des CPAS.
Venons-y, aux droits des usagers.
S'il en est qui sont toujours absents des débats sur les CPAS, ce sont bien eux ! Leur situation n'est pourtant pas enviable. Ils sont soumis à des obligations toujours plus contraignantes, à des contrôles de plus en plus intrusifs (visites à l'improviste, fouilles systématiques des logements, obligation de fournir les extraits de compte de plusieurs mois précédant la demande…). L'examen d'une demande est devenu un véritable parcours du combattant : il faut parfois faire la file devant la porte du CPAS dès 6 heures 30 du matin pour avoir une chance d’y entrer, la file aussi au téléphone pour parler à un assistant social. Les délais légaux impartis pour examiner une demande et statuer à son sujet ne sont pas respectés. Le contrôle de la « disposition à travailler », qui est une des six conditions d'octroi du revenu d'intégration sociale, s’opère sur des bases de plus en plus arbitraires et s'apparente à celui fait par l'ONEM dans le cadre du plan de contrôle des chômeurs.
La liste est encore bien plus longue des droits des usagers qui sont bafoués. Tout cela sans que vous ne vous en émouviez. Mais revenons à vos déclarations.
Les jeunes, huit cents à être aidés par le CPAS de Liège, coûtent cher à celui-ci, nous dites-vous. Mais combien sont-ils à être exclus de toute aide suite aux multiples exigences qui leur sont imposées et au principe de plus en plus affirmé que « le jeune doit mériter son autonomie », qu'« il ne revient pas à la collectivité d'assumer son désir d'indépendance ».
« Ce dont nous sommes le plus fier, c'est notre capacité, via ce que l'on appelle l'Article 60, de remettre au travail beaucoup des plus éloignés du travail. Au niveau wallon, les CPAS rendent espoir en 2013, à 4323 bénéficiaires du Revenu d'Intégration, grands blessés sociaux de la vie… », affirmez-vous. Y a-t-il vraiment de quoi être aussi fier ?
Les usagers mis au travail par le biais de l'"article 60" sont engagés pendant le temps strictement nécessaire à ce qu'ils ouvrent le droit aux allocations de chômage. Ils changent de caisse, passant du CPAS à l'ONEM, avant, pour certains, de revenir au CPAS suite à leur exclusion par l'ONEM. Ils sont fréquemment engagés dans des emplois ne correspondant pas à leur qualification et sont toujours rémunérés au minimum barémique. Ils occupent souvent des emplois qui devraient être dévolus à du personnel statutaire ou contractuel. Au CPAS de Liège, par exemple, les agents d'accueil et tout le personnel d'entretien sont depuis longtemps engagés exclusivement en "article 60".
L'intervention financière du fédéral comme du régional est très importante, ce qui fait des "article 60" un personnel bon marché pour les CPAS. Quand les usagers sont « mis à disposition » d’un employeur privé, celui-ci verse en échange une contribution minime au CPAS et est exonéré du paiement des cotisations patronales à la sécurité sociale. Tout bénéfice pour lui.
Loin de représenter, comme vous le prétendez, un « espoir pour les grands blessés sociaux de la vie », qui sont en réalité les grands exploités de la société, la mise au travail en "article 60" participe de la précarisation généralisée de l'emploi.
Depuis l'émission Samedi Plus à la RTBF, nous connaissons le contenu du « plan Marchal social » que vous appelez de vos vœux. Il s'agit de la mise au travail de dix mille article 60, financés par la Région, dans les institutions locales (CPAS, villes, intercommunales, maisons de repos…).http://www.rtbf.be/radio/podcast/player?id=1870122&channel=lapremiere
A vous suivre, vu que les communes commencent un peu partout à licencier du personnel ou envisagent de le faire, ces travailleurs en sous-statut viendraient bien à point pour remplacer les emplois statutaires et contractuels ? Suggérer un tel « renfort » via des sous-statuts, directement au détriment de l'emploi « régulier », est scandaleux, surtout de la part d'un mandataire socialiste.
En clair, vous proposez d'engager dans des contrats temporaires dix mille personnes qui, au terme de ceux-ci, se retrouveront … au chômage et donc soumis au plan de contrôle des chômeurs.
Dans votre RAS LE BOL, vous annonciez un « plan audacieux ». Il l'est certes, mais dans le sens d'un détricotage des droits sociaux. De vraies revendications « audacieuses » seraient : l'exigence du retrait du plan de contrôle des chômeurs, de la dégressivité des allocations de chômage, de la limitation à trois ans du droit aux allocations d'insertion ; l'exigence du retrait de toutes les mesures d'austérité qui précipitent une partie grandissante de la population dans la misère ; le rehaussement de toutes les allocations sociales au-delà du seuil de pauvreté . Rien de tout cela dans votre missive.
En guise de conclusion, votre indignation en tant que président de la fédération des CPAS serait crédible si votre parti n’était pas de ceux qui planifient les mesures d'exclusion des chômeurs. Elle le serait si vous ne cautionniez pas les dérives de trop nombreux CPAS vers le non-droit, l’arbitraire et parfois l’inhumain, si vous n'adoptiez pas pour les usagers du CPAS une politique de contrôle aboutissant à des exclusions. Elle le serait si vous vous opposiez au TSCG qui étrangle les villes et CPAS. Mais si vous le faisiez, seriez-vous président (PS) du CPAS de Liège et de la fédération des CPAS wallons depuis 18 ans et pour deux ans encore ?
Pour terminer, nous connaissons plus d'une personne qui, à cause de la pauvreté grandissante ET de la politique des CPAS, auraient de très sérieuses raisons d'être tentées par le suicide… Nous nous mobilisons pour que leurs droits soient respectés et que leur situation soit améliorée.
Source : aDas