10/10/2023 Gaza, Palestine. Rockets are fired from the Gaza Strip. (Photo by Saher Alghorra / Middle East Images / Middle East Images via AFP)

Les Palestiniens, terroristes ou résistants?

D’un côté, les États-Unis et l’Union européenne reconnaissent le Hamas comme une organisation terroriste et ont qualifié comme telle l’attaque menée ce samedi 7 octobre. De l’autre, le droit international reconnaît le droit à la résistance armée contre l’apartheid et l’occupation coloniale. Les Palestiniens, terroristes ou résistants ? La question avait été posée à Mohamed Hassan, spécialiste du monde arabo-musulman, dans le livre Israël, parlons-en ! Nous vous proposons la lecture de ce chapitre. (I’A)

La plupart des Européens, même de gauche, ont actuellement une idée assez négative de la résistance palestinienne : ils la considèrent comme marquée par le terrorisme et le fanatisme islamiste. Cette vision correspond-elle à la réalité du terrain ?

Le problème de cette gauche est qu’elle fait confiance à ses médias, ne recherche guère des informations de première main, et s’emprisonne ainsi elle-même dans les clichés. Ces gens savent-ils, par exemple, que l’organisation du Hamas compte 27% de femmes (et 15% dans son bureau politique), soit bien plus que l’OLP laïque ? Savent-ils que c’est le Fatah « laïque » qui est l’auteur d’une des lois les plus réactionnaires contre les femmes, limitant à six mois les peines d’emprisonnement pour les auteurs de « crimes d’honneur », lorsqu’un homme assassine son épouse ? Savent-ils qu’à Gaza, le Hamas a présenté aux élections une liste de front avec des courants politiques non islamiques ? Que le nouveau ministre de l’Intérieur, membre du Hamas, a choisi un ancien membre du Fatah pour diriger les services de sécurité ? Non, vraiment, si on veut comprendre la situation sur le terrain, il faut dépasser les clichés et bien s’informer. En réalité, les divers courants de la résistance palestinienne ont connu et connaissent actuellement des évolutions très importantes. La réalité n’est pas figée.

On sait peu que cette résistance est composée, depuis longtemps, de trois courants : nationaliste arabe, marxiste et islamiste. Commençons par le commencement. En fait, la résistance démarre dès le début de la colonisation lorsque les sionistes commencent à s’emparer des terres…

Oui. Dès 1890, commencent les protestations, les écrits, les affrontements. Et ça ne cessera jamais. Émeutes en 1921, grève à Jérusalem en 1929, émeutes en 1929, grande révolte de 1936 1939 avec une grève de six mois et même une guérilla qui se forme dans les campagnes.

Pourquoi cette résistance a-t-elle échoué ?

D’abord, les Palestiniens n’avaient pas une vue claire de la stratégie très machiavélique des Britanniques qui mentaient à tout le monde (voir chapitre 3)…

En fait, le monde arabe n’avait aucune expérience du colonialisme tel qu’il s’était pratiqué en Inde par exemple. Il ne comprenait pas en quoi consistait ce nouveau système impérialiste (la classe ouvrière européenne non plus d’ailleurs). Et les Palestiniens ne comprenaient pas le projet que les colons sionistes étaient en train de réaliser. En fait, personne ne pensait que ce projet réussirait, car il n’avait pas de base populaire sur le terrain. Il n’a réussi que grâce à l’appui des colonialistes britanniques. Ensuite, la répression britannique a été très forte. En déportant systématiquement les leaders palestiniens, en les empêchant de créer leurs structures politiques, Londres favorisait délibérément la construction de l’État juif.

Ceci expliquerait la faiblesse de la résistance palestinienne durant la guerre de 1948 ?

Oui, ils n’étaient pas organisés. Cette défaite laissera les Palestiniens traumatisés et paralysés pendant plusieurs années. Mais vers 1955, une nouvelle génération de Palestiniens reprend le flambeau.

Ils sont influencés par la victoire du soulèvement anticolonial de Nasser en Égypte. Et par la renaissance du nationalisme arabe. Le chrétien Michel Aflak développe l’idée d’un nationalisme arabe moderne, qui rassemble musulmans, chrétiens et juifs, ainsi que les laïcs. Cela va donner naissance au Parti Baas et aux révolutions anticoloniales en Syrie et en Irak. tout comme Nasser en Égypte, le nationaliste Aflak était influencé par le marxisme. Et des gens comme Arafat ont également subi cette double influence du mouvement islamiste des Frères musulmans et du marxisme (à travers le parti communiste égyptien).

La résistance palestinienne comporte dès lors trois courants : Les Frères musulmans, islamistes originaires d’Égypte. Le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP) fondé au Liban par Georges Habache, de tendance marxiste. Et la plus importante organisation, le Fatah, de tendance nationaliste arabe et dirigée notamment par Yasser Arafat. En 1964, est fondée l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), qui est en quelque sorte, le parlement officieux des Palestiniens. Ses deux pôles sont le Fatah et les groupes de gauche, tandis que les islamistes sont alors plutôt intégrés au Fatah. Reconnue par la Ligue des États arabes, l’OLP va mettre en place des organisations syndicales, étudiantes, féminines et le Croissant-Rouge. À côté de l’OLP, se forment aussi des groupes de résistance armée, les fedayin… Il faut rappeler qu’en juin 1967, Israël inflige une cuisante défaite militaire à l’Égypte et à la Syrie dans la guerre dite des Six-Jours (voir chapitre 5). Et qu’il en a profité pour envahir le reste de la Palestine (Cisjordanie et bande de Gaza).

En Europe, on reproche aux Palestiniens, particulièrement au Hamas aujourd’hui, d’employer la violence…

C’est poser le problème à l’envers. Ce qui est violent, c’est la colonisation, le vol de la terre, la brutalité de l’armée israélienne. En Palestine, les colonisés, les opprimés n’ont pas le choix. Il s’agit de leur survie. D’ailleurs, ils ont essayé tous les moyens pacifiques et Israël n’a rien cédé ; au contraire, il conquiert toujours plus.

Quel est le programme politique, l’objectif de cette résistance ? Aujourd’hui encore, Israël dit qu’il se défend parce que ceux d’en face veulent « jeter les juifs à la mer »…

Il s’agit d’un mythe répandu par la propagande israélienne, et largement repris dans les médias occidentaux… En réalité, la résistance palestinienne a adopté une position très correcte sur cette question. Le principe de base est que les Palestiniens chassés de leurs terres par Israël ont le droit d’y revenir et d’y habiter normalement…

Mais la charte initiale de l’OLP, rédigée en 1968, ne définit guère le statut des juifs.

C’est vrai, mais, fin 1967, la direction palestinienne avait déclaré : « Nous ne sommes pas les ennemis du judaïsme en tant que religion, ni de la race juive. Notre combat se mène contre l’entité sioniste colonialiste et impérialiste qui a occupé notre patrie ». À son troisième congrès, en 1968, le Fatah définit la future Palestine comme « un État démocratique, progressiste, non confessionnel dans lequel juifs, chrétiens et musulmans vivront ensemble en paix et en jouissant des mêmes droits. » Et en janvier 1969, le Fatah écrit dans la revue française Tribune socialiste : « Si nous combattons un État juif de type raciste, ce n’est pas pour le remplacer par un État arabe qui en retour expulserait les juifs. »

Pourtant, en Europe, on entend encore que les juifs risqueraient d’être jetés à la mer…

Ecoutez, c’est l’Europe qui a un problème avec les juifs, bien plus que les Arabes. C’est l’Europe qui historiquement n’aime pas les juifs. Elle les a, on peut dire « fabriqués », avec son antisémitisme, puis elle les a fait souffrir avec la Russie, la Pologne, Hitler, l’affaire Dreyfus en France (voir chapitre 1). Ensuite, elle a voulu s’en débarrasser en les envoyant au Moyen-Orient. Le sionisme, c’est une idéologie raciste des Européens pour exporter leurs juifs. Après les avoir tués, on les exporte et on en fait des body guards, des flics du pétrole. Moi, j’ai pitié des juifs quand ils souffrent. Israël est une société très dure, militarisée, raciste, anti-femmes, où il ne fait pas bon vivre, aucun Européen n’aimerait vivre là !

Maintenant, c’est un fait : les Israéliens sont là, sur cette terre…

Et ils peuvent rester, les Palestiniens le disent depuis longtemps. Seulement, ils n’ont pas le droit d’expulser les Palestiniens.

Revenons à la résistance. Qu’est-ce qui fait sa force dans les années 60 ?

D’abord, elle rompt avec l’idée que la libération de la Palestine viendra d’un affrontement militaire traditionnel entre Israël et les États arabes. Elle opte pour la résistance armée : une guerre populaire de longue durée, visant à installer progressivement des zones libérées. Et elle entend s’appuyer sur la population. La plupart des fedayin veulent une véritable révolution qui combine la libération armée avec un progrès politique et social.

Cette résistance va acquérir un grand prestige…

Oui, la date-clé, c’est le 21 mars 1968. Les fedayin du Fatah infligent une cuisante défaite à l’armée israélienne qui a envahi le village de Karame (un nom symbolique qui signifie Dignité). 21 soldats israéliens sont tués, plusieurs chars et un avion détruits. Cette première victoire des Arabes sur Israël, survenant après l’humiliation de la défaite de 1967, procure aux combattants palestiniens une énorme popularité dans le monde arabe et dans le monde entier. Le mythe de l’invincibilité d’Israël a pris fin. Même le roi Hussein de Jordanie, pro-américain, se sent obligé de déclarer : « Nous sommes tous des fedayin. »

Quels sont les points forts de cette résistance ?

1.Elle ne dépend pas de l’argent des pays arabes (qui n’en ont d’ailleurs pas à cette époque), mais est financée par les Palestiniens de base. 2. Des services de renseignement ont été mis au point afin de contrer les infiltrations : les indicateurs des USA et d’Israël. 3. La résistance a étudié les expériences chinoise, vietnamienne, cubaine en essayant de les appliquer à ses propres conditions. C’est l’époque où les Palestiniens lisent Che Guevara, Ho Chi Minh, Mao… Ils ont intégré le principe qu’en comptant d’abord sur ses propres forces et non sur le soutien extérieur, en faisant un patient travail de base avec la population, un mouvement populaire, même s’il subira des défaites, sera assuré de se renforcer sur le long terme. Le niveau d’organisation des mouvements palestiniens est alors bien supérieur à celui des États arabes. Ils savent garder leurs secrets. Ils font leur travail discrètement et humblement, en étant proches de la population comme les Chinois et les Vietnamiens. La vraie morale résistante consiste à vivre parmi et comme la population qui souffre. Vous n’avez pas plus qu’elle ; au contraire, vous avez même moins, car vous partagez tout. C’est comme ça qu’une résistance est forte. Du coup, les sionistes étaient surpris, ils ne parvenaient pas à les infiltrer.

Une leçon importante si on compare avec aujourd’hui…

Oui, l’Autorité palestinienne a plein d’argent, mais elle est infiltrée par les sionistes et incapable de résister.

Mais aujourd’hui, un Palestinien qui résiste est presque toujours dépeint comme un « terroriste ». On a du mal à imaginer qu’à l’époque, il était admiré comme un Che Guevara arabe. Qu’est-ce qui a provoqué ce changement d’image ?

Plusieurs facteurs. D’abord, il faut comprendre que ces combattants palestiniens radicaux ont effrayé beaucoup de gens dans le monde. Particulièrement, les dictatures féodales arabes. Durant les années 70, l’OLP va obtenir la reconnaissance internationale. Et de gros soutiens financiers. Elle va développer une organisation importante avec des départements Politique, Education, Santé, Culture, Information. Grâce à l’argent reçu des pétromonarchies, des services sont rendus aux populations palestiniennes. L’OLP devient un véritable gouvernement en exil, l’embryon de l’État de tous les réfugiés palestiniens. Son budget annuel atteint plusieurs centaines de millions de dollars.

L’OLP est donc en pleine ascension, tout va bien ?

En fait, les balles les plus dangereuses sont les balles enrobées de sucre. La Palestine étant une société précapitaliste, assez pauvre, avec une mentalité encore très féodale, cette reconnaissance diplomatique et financière va procurer des « avantages » dangereux. On installe des missions diplomatiques, et bientôt s’installent le favoritisme et la corruption. Les cadres palestiniens n’étaient pas préparés et beaucoup se détachent du peuple.

Vous dressez un bilan bien sévère !

Pas question de nier l’aspect positif très important. L’OLP a réussi à préserver l’identité palestinienne, à fournir des services aux réfugiés chassés de leur terre et ruinés, à maintenir la vie des communautés, à créer des institutions politiques et sociales et à faire reconnaître internationalement la cause palestinienne. C’est très important. Cette période a duré de 1968 à 1982. Mais l’ascension va vite se transformer en déclin…

La résistance va également subir des attaques militaires graves…

Chassés par Israël, de nombreux Palestiniens se sont réfugiés dans la Jordanie voisine et en ont vite dominé l’économie. Il faut savoir que ce pays était une création artificielle du colonialisme britannique. Y vivaient diverses classes : de riches propriétaires (avec une petite industrie du savon), de petits indépendants, des paysans, des ouvriers, et aussi les Bédouins dont était issue la famille royale.

La population jordanienne soutenait largement la résistance palestinienne. Malheureusement, celle-ci n’a pas analysé la situation des classes sociales en Jordanie. En dominant la société (des zones entières échappaient à l’armée du roi), en parlant de révolution en Jordanie même au lieu de se concentrer sur leur objectif de libérer la Palestine, qu’ont-ils obtenu ? Ils ont effrayé les bourgeois et petit-bourgeois jordaniens. Ceux-ci souhaitaient juste vendre leur savon et mener leur vie. Les Palestiniens ont provoqué un affrontement inutile avec une partie de la société jordanienne, et ils se sont isolés.

C’était grave, car les succès de la résistance palestinienne avaient effrayé les États-Unis. Le ministre US Rogers a préparé un plan de destruction de la résistance. Ne pouvant employer l’armée jordanienne, qui sympathisait trop avec les Palestiniens, il a importé les troupes pakistanaises du général Zia al-Khad, qui deviendra plus tard chef d’État de son pays. Et Zia al-Khad a procédé à de terribles massacres dans les camps de réfugiés palestiniens autour d’Amman. Cela s’est passé en septembre 1970, le fameux « Septembre noir». Ce tournant marque la défaite du mouvement révolutionnaire moderne dans le monde arabe.

Vous parlez d’analyse sociale. Quel est, à cette époque, le programme politique de la résistance palestinienne ?

En fait, le Fatah, qui est l’organisation la plus importante, n’a pas véritablement de programme. Recevant l’argent des pétromonarchies et s’adressant à toutes les classes sociales du prolétariat à la haute bourgeoisie le Fatah est simplement populiste et nationaliste, il ne prend pas position sur les questions sociales. Son programme se limite à une seule revendication : l’indépendance de la Palestine. Mais sur ce point également, le Fatah a commis une erreur d’analyse. Il assimilé le colonialisme israélien à celui de l’Afrique du Sud. Personnellement, je n’ai jamais été d’accord avec cette analyse, car il existait une grande différence : si les premiers colons afrikaners étaient des paysans, les colons britanniques qui ont fini par dominer l’Afrique du Sud basaient leur richesse sur les mines. Et pour cette exploitation, ils avaient besoin du prolétariat noir (ce qui a d’ailleurs permis la formation d’un syndicalisme communiste et révolutionnaire dans ce pays).

Par contre, les colons juifs n’ont utilisé qu’un peu de main-d’œuvre arabe pour construire leurs villes, mais après ils s’en sont débarrassés. Ils voulaient instaurer le « travail juif » (voir chapitre 3). Le sionisme entendait chasser les Palestiniens du territoire. Le dirigeant sioniste Jabotinsky avait été très clair là-dessus dès 1920, mais les Palestiniens n’ont pas étudié attentivement le projet sioniste.

Chassée de Jordanie, la résistance palestinienne se réfugie au Liban…

Où elle va malheureusement commettre la même erreur. En ne cherchant pas à créer un front solide avec la population locale. Vous savez, la résistance reçoit alors beaucoup d’argent des pays arabes pétroliers devenus riches. L’OLP a plein d’argent. Au lieu de produire une quantité de diplomates et de technocrates corrompus, ils auraient pu avec cet argent construire une grande solidarité avec les Libanais.

Mais, au Liban, la situation des Palestiniens était beaucoup moins favorable qu’en Jordanie.

C’est vrai. Les Palestiniens étaient interdits de travailler et confinés aux camps, ils étaient en minorité dans un État féodal divisé en baronnies confessionnelles. Mais l’OLP n’a pas étudié ce problème : comment travailler avec les Libanais ? Elle n’a pas étudié l’expérience des Sud-Africains qui, eux, avaient travaillé modestement à la base, et même avec les Blancs non racistes. Elle n’a pas tiré la leçon de l’erreur jordanienne. L’arrogance, on en paie toujours le prix. Avec cet argent, ils installaient des cliniques pour les réfugiés palestiniens. Pourquoi n’ont-ils pas ouvert ces cliniques pour y soigner aussi les Libanais pauvres ? Plutôt que de s’isoler dans les camps, il aurait fallu s’unir avec la population libanaise, lui donner une formation politique et l’intégrer à la lutte. Au lieu de ça, on utilisait le territoire libanais pour attaquer Israël, qui évidemment ripostait, et la population locale en subissait les conséquences, elle était mécontente.

En 1975, une guerre civile éclate au Liban entre les phalangistes de droite (chrétiens) et la gauche (chiites, sunnites et certains chrétiens)…

Les Palestiniens tentent de rester en-dehors, mais les phalangistes massacrent des réfugiés palestiniens au camp de tal al Za’atar, et ils sont obligés de prendre parti aux côtés de la gauche. Israël, lui, soutient les phalangistes et crée au Sud-Liban une milice chrétienne. En 1981, Israël bombarde Beyrouth et en 1982, il envahit le Liban dans le but de détruire l’OLP.

Celle-ci perd la bataille et doit évacuer ses soldats vers Tunis où elle va installer son nouveau quartier-général. Finalement, Israël demande aux milices phalangistes libanaises de la débarrasser des combattants palestiniens et un épouvantable massacre est commis dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila. C’est Ariel Sharon qui est alors ministre de la Guerre.

C’est la fin de la résistance armée, la fin de toute possibilité de guérilla. L’OLP aurait pu minimiser les effets négatifs au Liban si elle s’était occupée de combattre seulement Israël et personne d’autre. C’était un manque de maturité, un manque d’analyse. Les sionistes ont analysé ces faiblesses, ils ont su frapper un grand coup là où l’OLP était faible.

Le FPLP n’est pas intervenu pour changer cette situation ?

Il s’était fait marginaliser. De tendance marxiste, il ne recevait pas d’argent des pays arabes et n’a pas eu les mêmes possibilités que le Fatah pour développer des institutions au Liban. D’ailleurs, jusqu’en 1972, le FPLP prônait une révolution arabe globale, y compris contre les régimes arabes réactionnaires, parce que ceux-ci aidaient les EtatsUnis et Israël.

Vous parlez du déclin de l’OLP qui commence alors. Pourquoi ce déclin ?

La plupart des dirigeants palestiniens relèguent la lutte armée au second plan, elle est juste maintenue pour faire un peu peur à Israël, et non comme un véritable instrument de libération. Le nouvel establishment palestinien adopte une théorie trompeuse : on obtiendra la victoire grâce à la négociation. Ce qu’on appelle trompeusement « processus de paix » va débuter à Madrid en 1991 et se poursuivre à Oslo (1993-1995), à Wye, puis à Camp David (USA) en 2000. Les États-Unis pèseront de toutes leurs forces pour aider Israël à faire reculer les Palestiniens (voir chapitre 11).

N’est-il pas légitime de négocier ?

Bien sûr que si, mais en position de force. À la même époque, quand le duo Nixon-Kissinger décide que les États-Unis vont se retirer du Vietnam, il choisit de donner d’abord une bonne leçon en bombardant impitoyablement le Nord Vietnam, mais aussi le Laos et le Cambodge. Le message :« Contre vous, nous sommes capables des pires folies ! » Mais les Vietnamiens ripostent avec l’impressionnante offensive militaire dite « du Têt » : « Nous aussi ! »

On ne peut négocier avec succès que si on s’est d’abord assuré une position de force avec une base populaire et une résistance déterminée. On peut « parler » quand on est fort sur le terrain. Si on renonce à se battre sur le terrain, on est trop faible à la table de négociation.

Cette tendance de droite finira par accepter n’importe quoi dans les négociations. À Oslo, ils accepteront de se contenter de 22% du territoire palestinien (qu’ils n’auront d’ailleurs pas). On n’a jamais vu aucun peuple au monde renoncer à 78% de son territoire !

Si le sommet renonce, la base, elle, ne s’incline pas. En décembre 87, éclate le soulèvement populaire de la première Intifada…

Un phénomène d’une importance énorme. Toute la société civile manifeste contre l’occupation. De jeunes garçons défient avec des pierres les chars de l’occupant. Aux yeux du monde, la situation a changé. Israël n’est plus le petit David entouré de méchants Goliath. Israël est le Goliath qui réprime impitoyablement une population civile désarmée.

À ce moment, les Nations Unies invitent Arafat à s’adresser à leur Assemblée générale à New York. Mais les États-Unis considèrent toujours celui-ci comme un « terroriste » et lui refusent son visa. Du coup, l’ONU déplace sa session à Genève, seuls les États-Unis et Israël boycottent, mais le monde entier reconnaît Arafat comme représentant du peuple palestinien. C’est une grande avancée en soi.

Seulement, les États-Unis vont exiger qu’Arafat renonce à« la violence », c’est-à-dire en fait au droit de résister à la violence israélienne. Et Arafat va céder, considérant à tort que seuls les États-Unis peuvent lui obtenir une solution en faisant pression sur Israël. Mais les USA attendront 1991 pour lancer de pseudo-négociations.

Pourquoi attendent-ils ?

La disparition de l’URSS, en 1990, permet à Washington d’attaquer l’Irak l’année suivante. Et de mettre à genoux ce pays qui résistait à Israël. Dans ce contexte, les Palestiniens sont privés de deux importants soutiens internationaux. De cette façon, les USA pourront imposer la capitulation des Palestiniens aux Accords d’Oslo en 1993 et dans les négociations suivantes.

Pourquoi parlez-vous de capitulation ?

Les négociations n’offriront qu’une autonomie extrêmement limitée. Certes, l’Autorité palestinienne peut revenir en Palestine. Elle peut gérer la culture, l’éducation, le tourisme, les soins de santé (choses que l’occupant négligeait). Elle reçoit aussi une force de police et la possibilité de lever des taxes.

Mais aucune compétence sur le sous-sol, ni sur la très importante question de l’eau, ni sur les colons. La véritable souveraineté reste à Israël qui en fait contrôle l’essentiel : les frontières, les terres, les routes, l’eau, les ressources économiques. Et si les troupes israéliennes se regroupent hors des grandes villes (Israël n’est pas fâché de confier le sale boulot policier à l’Autorité palestinienne qui devient le flic de son propre peuple), elles ne se retirent pas et peuvent intervenir chaque fois que nécessaire. Certes, l’OLP n’est plus considérée comme terroriste, elle est reconnue par Israël, mais elle ne parvient pas à améliorer la situation à Gaza et en Cisjordanie. Aucun point de l’accord ne prévoit de mettre fin à la colonisation israélienne.

Du coup, Arafat s’est fortement compromis, mais n’a presque rien obtenu. Ses adversaires ont réussi à l’affaiblir considérablement face à son propre peuple. De plus, une Autorité palestinienne, très autoritariste et peu démocratique, va renforcer le système du clientélisme et des nominations népotistes. Toute cette corruption va la discréditer. Et ces fautes commises par le Fatah et l’OLP vont permettre l’ascension du Hamas…

Le Hamas ! Un mouvement qu’on connaît mal, finalement, en Europe…

Le Hamas est un mouvement politique issu d’un des plus vieux mouvements politiques d’Égypte : les Frères Musulmans. Le mot « Hamas » signifie « éveil », il fait référence à quelque chose en éruption…

C’est un mouvement nationaliste islamiste que l’on pourrait comparer au mouvement nationaliste irlandais. Face à l’occupation coloniale de l’Irlande par les Britanniques, se développa à partir de 1916 un mouvement de résistance, l’Irish Republican Army. Comme les Irlandais étaient catholiques et les colons britanniques protestants, l’occupant tenta d’en faire une guerre de religions. La religion peut être utilisée pour diviser un peuple, mais parfois aussi elle le mobilise pour une cause.

Comment expliquez-vous le succès du Hamas ?

Eh bien, il tient les promesses que le Fatah a laissé tomber. D’abord, j’ai parlé de la corruption. Le Hamas fait très attention de ne pas développer ces pratiques. Deuxième atout du Hamas : il a réussi à éliminer, au sein de la communauté palestinienne, les personnes corrompues par Israël pour obtenir des informations. Quelques-uns ont été éliminés physiquement, mais la plupart des délinquants ou des alcooliques ont été réintégrés via les programmes sociaux du Hamas. Donc l’information ne circulait plus. C’est très important : Israël avait créé une société corrompue où tout le monde était contre tout le monde. Et il s’en servait pour construire un réseau d’informations et établir un certain contrôle sur la résistance palestinienne. Une méthode coloniale typique, appliquée aussi par les Britanniques en Irlande. Mais le Hamas a réussi à détruire ce réseau, c’est une grande victoire.

Troisième facteur, très important : le Hamas exige le retour des réfugiés expulsés en 1948 et en 1967 (voir chapitres 4 et 5). Aujourd’hui, plus de six millions de réfugiés n’ont pas le droit de revenir dans leur pays ! En revanche, en tant qu’État juif, Israël accueille n’importe quel juif venu de n’importe où : Espagne, Russie, Ethiopie… Des personnes qui n’ont jamais été vues en Palestine auparavant !

Pourquoi Israël fait-il venir encore tant d’immigrés ?

Les sionistes affirment avoir créé Israël pour mettre les juifs en sécurité. Mais, soixante ans plus tard, la sécurité de leur nation n’est toujours pas garantie. Beaucoup de citoyens fuient Israël pour cette raison et le gouvernement doit maintenant faire face à une crise démographique. Pour avoir assez de juifs et résoudre la crise démographique, ils sont même allés en chercher dans les montagnes du Pérou ! Ils ont converti des Indiens au judaïsme. Ensuite, ils les ont ramenés à la frontière israélienne, en première ligne face à l’ennemi. Ces Indiens ont reçu des maisons et des fusils. Voilà les nouveaux colons. Le fait est que n’importe qui peut vivre en Israël. Sauf les Palestiniens !

Certains disent qu’Israël a délibérément favorisé l’ascension du Hamas.

Il n’y a aucune preuve. Au départ, Israël a toléré le Hamas en espérant que surviennent des conflits interpalestiniens. Ils voulaient affaiblir l’OLP et le Fatah. Mais ils ne s’attendaient pas à la qualité, la capacité et l’organisation dont a fait preuve le Hamas en se développant de telle manière. Toute puissance coloniale considère immanquablement ses sujets comme des enfants naïfs.

Les dirigeants israéliens s’attendaient-ils au succès du Hamas aux élections de 2006?

Pas du tout. D’abord, ils pensaient qu’il refuserait de participer. Ils se sont donc dépêchés d’organiser le scrutin. Mais ensuite, ils ne s’inquiétèrent pas, car ils pensaient que le mouvement, en présentant une manière de penser dogmatique et très limitée, serait vaincu par le parti majoritaire. Contre toute attente, le Hamas créa une coalition et offrit une image flexible, très loin de ce qu’on aurait pu attendre d’une organisation fondamentaliste.

Comment analysez-vous la réaction d’Israël après cette victoire ?

Arafat était une espèce d’arbitre entre les différentes factions. Après sa mort, les contradictions entre le Hamas et le Fatah sont devenues antagoniques. Israël a exploité ces dissensions et a entrepris d’utiliser le Fatah pour entamer la popularité du Hamas.

Celui-ci va-t-il ou non instaurer un régime islamiste en Palestine ?

Un régime islamiste, comme en Iran, est le but ultime du Hamas. Mais il faut comprendre qu’il ne pourra jamais l’appliquer. En effet, sur le terrain, l’organisation est basée sur un mouvement patriotique. La guerre brutale contre Gaza a mobilisé toutes les forces : non seulement celles du Hamas, mais toutes les forces patriotiques, y compris celles du Fatah. Cette agression a unifié le peuple palestinien.

On lui reproche son attitude envers les femmes.

Ses conceptions ne sont pas les miennes, c’est certain. En même temps, il faut s’informer et se méfier des clichés. Une militante féministe palestinienne, Islah Jad, a déclaré récemment : « Les islamistes ont admis que les femmes étaient persécutées et victimes de l’oppression sociale. En mettant cette réalité sur le compte non de la religion, mais des traditions qu’il faut faire évoluer. Selon eux, l’Islam demande que les femmes s’organisent pour libérer leur pays, qu’elles soient éduquées, organisées et politisées, actives pour le développement de leurs sociétés. »

Aucune lutte de libération ne pourra être forte si les femmes n’y participent pas. On l’a vu partout. Au fond, le Hamas a grandi parce que les femmes lui ont permis de grandir. Et aujourd’hui, au Moyen-Orient, les choses évoluent rapidement. Vous savez les chefs du Hamas, et aussi du mouvement de résistance Hezbollah au Liban, ce ne sont pas les cheikhs du passé, ce sont des gens qui ont reçu une éducation, qui portent des jeans, qui connaissent le monde…

Pour autant, y a-t-il égalité ?

Pour que les femmes acquièrent l’égalité, il faudra une transformation économique qui les amène au travail. Ce n’est pas d’actualité en Palestine. Mais l’égalité s’acquiert aussi en participant pleinement à la lutte. Prenons l’exemple des viols. Les soldats israéliens pratiquent le viol de façon systématique, cette tactique permet de détruire non seulement la femme, mais aussi toute sa famille qui, selon les conceptions traditionnelles, perd son honneur. Parler des femmes palestiniennes violées et déshonorées était un tabou. Qu’a fait le Hamas ? Il a brisé le tabou. On pouvait en parler ! Le Hamas a publié les faits et rendu hommage aux victimes en disant : « C’est toute la Palestine qui est violée. » Ce n’était plus une honte, la femme pouvait se remarier. Vous voyez, les choses ne sont pas aussi simples qu’on le dit en Europe !

Mais on dit que le Hamas veut imposer un mode de vie islamiste…

Encore une fois, la gauche européenne doit d’abord comprendre comment sont les conditions là-bas, sur le terrain… Par exemple, le Hamas a interdit le haschich et toutes les drogues. C’était un moyen utilisé par les sionistes pour infiltrer les jeunes et obtenir des informations. Evidemment, les mères ont soutenu une telle décision.

Bon, à part ça, le Hamas ne fume pas. Il a raison : c’est mauvais pour la santé ! Il s’oppose à l’alcool. L’alcoolisme a toujours été utilisé par les colonialistes, en Inde et en Australie par exemple, pour soumettre les communautés qui ne savaient pas se protéger de l’alcool. Bon, en tout cas, ça diminuera les violences familiales. Et puis, il y a un calcul derrière ça : quand vous êtes opprimé et financièrement asphyxié par la colonisation, vous avez très peu. Sans cigarettes et alcool, vous pouvez tenir avec un revenu très bas et quand même contribuer à la lutte.

Quel est le programme socio-économique du Hamas ?

Leur projet est une économie capitaliste avec une intervention importante de l’État. Comme les Iraniens. Ceux-ci refusent les dominations extérieures et redistribuent les richesses provenant du pétrole. Il faut savoir que ce n’est pas essentiellement le programme social du Hamas qui a séduit les Palestiniens, mais bien le fait qu’il incarne la résistance. Aujourd’hui, la résistance est ce qui compte le plus pour le peuple de Palestine.

Voilà où nous en sommes : le Hamas est la résistance. Je ne les soutiens pas dans leurs positions sur la femme, leur programme économique ou leurs idées fatalistes. Je les soutiens sur le point le plus important : ils sont un mouvement nationaliste de résistants qui luttent sur le terrain.

Peut-il devenir un mouvement plus progressiste du fait de son alliance avec d’autres courants ?

Oui, et c’est un effet de l’agression israélienne. Sur bien des points, le Hamas ressemble au Hezbollah qui dit : « Le Liban est un pays d’une grande diversité, nous n’en représentons qu’une fraction et notre but est d’édifier avec tous les progressistes libanais une économie nationale indépendante. »

Comment le Hamas va-t-il évoluer ?

Il n’existe pas de boule de cristal pour nous le dire. L’Histoire n’est pas une science exacte. Le Hamas a aussi un programme maximum mais aujourd’hui, leur principale tâche est la résistance à l’État sioniste. Demain, il pourrait y avoir une combinaison de différents facteurs, tels qu’un nouveau leadership et de nouvelles idées, et cela pourrait lui faire emprunter le chemin d’une révolution démocratique. Le fait est que les progressistes qui veulent soutenir les Palestiniens voudraient avoir la garantie complète que tout se passera bien. Mais il n’y a jamais de garantie absolue !

Cette alliance pourrait-elle se transformer en une alliance pour installer ensuite une société démocratique et progressiste ?

Un front ou une alliance, c’est un phénomène qui évolue. Ainsi, les communistes vietnamiens se sont alliés aux bouddhistes contre l’invasion. Un front peut être limité dans le temps, pour réaliser une tâche ensemble. Après vient une autre tâche, et peut-être un autre front…

La gauche européenne estime, en général, le Hamas infréquentable. Mais tel n’est pas l’avis de la gauche arabe…

Les Européens devraient mieux se renseigner, en effet. En Palestine, le FPLP marxiste et le Hamas se sont fort rapprochés, notamment avec des alliances militaires ou des fronts électoraux, comme l’indiquait un dirigeant du FPLP, le docteur Rabah Mahna : « Il y a eu une certaine évolution dans le Hamas. Depuis 1988, il s’est en effet peu à peu transformé d’une organisation de type Frères musulmans en un mouvement de libération nationale. (…) Les forces politiques mondiales et arabes qui soutiennent la cause palestinienne, mais qui ne sont pas d’accord avec tout ou partie du programme du Hamas doivent nous aider à le faire sortir d’une vision enfermée, à continuer son évolution. »

Ces choses évoluent parfois assez vite. Au Liban, durant les années 80, il y a eu des heurts très violents entre le Hezbollah islamiste et le parti communiste. À présent, tous deux ont constitué un front politique solide et ils ont combattu côte à côte, les armes à la main, lors de l’invasion israélienne du Sud-Liban en 2006.

Quelle perspective voyez-vous pour la résistance ?

Israël a fait en sorte qu’il n’y ait pas d’État palestinien. Aujourd’hui, deux États côte à côte, c’est devenu impossible (voir chapitre 19). La seule issue possible sera de créer un seul État ouvert à tous et où tous seront égaux.

L’évolution de la lutte va obliger tout le monde à former un seul État. D’abord, s’ils veulent lutter correctement, le Hamas, le Fatah et le FPLP devront s’unir contre le sionisme. Et cette lutte amènera finalement la population israélienne à réagir. Les Israéliens ne se laisseront pas mettre de côté par leurs dirigeants.

Ce sera comme en Afrique du Sud : quand la lutte sera très intense, l’appareil d’État israélien se fissurera, et la société israélienne éclatera entre les classes qui profitent du colonialisme et les autres. Les Israéliens progressistes voudront négocier. À ce moment, le cœur du pouvoir, à savoir l’armée et les services secrets, se tournera aussi contre les autres juifs. Certains quitteront le pays, d’autres négocieront. Et la seule solution sera un État ouvert à tous et respectueux de tous.

Source: Investig’Action

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