(AFP)

Les journalistes risquent leur vie et bien plus encore en couvrant le génocide

Les journalistes travaillant dans des zones de guerre ont toujours été dans la ligne de mire, quelles que soient les mesures de protection mises en place.

Le photojournaliste Sami Shehadeh a perdu une partie de sa jambe après avoir été blessé par un obus de char israélien.

Un autre photojournaliste, Mohammed Alaloul, a perdu quatre de ses cinq enfants lors d’un bombardement du camp d’al-Maghazi, au centre de la bande de Gaza.

Diaa al-Kahlout, chef du bureau de Gaza du New Arab, a été détenu pendant 33 jours après l’invasion israélienne de Beit Lahiya, au cours desquels il a subi des violences physiques de la part de ses geôliers.

Les journalistes travaillant dans des zones de guerre ont toujours été dans la ligne de mire, quelles que soient les mesures de protection mises en place.

Mais l’agression génocidaire d’Israël à Gaza a dépassé tous les conflits précédents, faisant de Gaza la « situation la plus dangereuse pour les journalistes que nous ayons jamais vue », selon le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), basé à New York.

Selon le CPJ, au moins 105 journalistes et professionnels des médias ont été tués au cours des sept premiers mois du génocide israélien.

Le Syndicat des journalistes palestiniens estime à au moins 135 le nombre de journalistes tués à Gaza.

« En plus de documenter le nombre croissant de journalistes tués et blessés, les recherches du CPJ ont révélé de nombreux cas de journalistes pris pour cible dans le cadre de leur travail en Israël », ainsi qu’à Gaza et en Cisjordanie, a indiqué l’organisation dans un article publié le 23 mai sur son site Internet.

Al-Kahlout a été déplacé avec sa femme et ses cinq enfants dans la maison de ses parents à Beit Lahiya, au nord-est de la ville de Gaza, après qu’Israël a commis un massacre dans le quartier de Karama en octobre.

Mauvais traitements en détention

En décembre, il a été arrêté avec 11 hommes de sa famille et environ 200 autres hommes. Les hommes ont été menottés dans le dos, on leur a bandé les yeux et on les a forcés à monter dans des camions. Certains ont été agressés verbalement et physiquement et photographiés pour se moquer d’eux, a déclaré M. al-Kahlout.

Avant le coucher du soleil, le camion les a emmenés à la base militaire israélienne de Zikim, de l’autre côté de la frontière de Gaza, où al-Kahlout a été identifié par empreinte oculaire. Les détenus qui n’ont pas été libérés ont été interrogés par un officier israélien pendant environ 20 minutes chacun. Al-Kahlout a déclaré qu’il avait été interrogé sur son travail de journaliste. On lui a également proposé un examen médical et diagnostiqué un problème de dos, mais on ne lui a donné aucun médicament.

Al-Kahlout a ensuite été emmené dans une base servant de centre de détention temporaire pour les habitants de Gaza avant que certains d’entre eux ne soient transférés dans des prisons israéliennes, souvent après avoir été insultés verbalement et violemment passés à tabac.

Au cours de sa détention, M. al-Kahlout a déclaré avoir été interrogé tous les jours et s’être vu poser des questions similaires sur la nature de son travail journalistique, certains de ses reportages sur l’héroïsme de la résistance palestinienne lors des précédentes attaques israéliennes contre Gaza, ainsi que sur la nature de ses contacts avec les combattants palestiniens.

Il a déclaré avoir été forcé de répondre aux questions d’un officier israélien alors qu’il était à genoux et menotté. L’officier l’a giflé lorsqu’il n’a pas répondu comme on le lui demandait, a déclaré M. al-Kahlout.

Après chaque interrogatoire, al-Kahlout a déclaré qu’il était déplacé dans un nouveau baraquement avec une centaine de détenus et qu’il passait la plupart de son temps en position accroupie, menotté, avec les jambes attachées et les yeux bandés, ce qui lui a causé de graves irritations, des cloques, et un œdème au niveau des pieds et des chevilles.

Il a déclaré qu’on lui donnait peu de nourriture et qu’il n’était autorisé à aller aux toilettes qu’une fois par jour. Il a perdu plus de 40 kilos pendant sa détention par Israël.

Le 25e jour de sa détention, après plusieurs interrogatoires, al-Kahlout a été emmené dans un lieu inconnu où on lui a demandé de se déshabiller et où on lui a donné des couches à porter. Il a ensuite été menotté derrière une petite chaise basse, les jambes enchaînées. Il a déclaré être resté dans cette position pendant plus de huit heures alors qu’il était interrogé et torturé.

« J’ai énormément souffert au niveau des épaules, des jambes et du dos. J’ai ensuite été transféré dans une autre base où j’ai été examiné par un médecin de l’hôpital indonésien lui aussi en détention”, a déclaré al-Kahlout à The Electronic Intifada, dans un compte-rendu qu’il a également fourni au CPJ.

« Le médecin a crié aux soldats de me transférer à la clinique de la prison où l’on m’a administré un relaxant musculaire qui a un peu soulagé ma douleur ce jour-là. Quelques jours plus tard, j’ai été libéré avec 120 autres détenus. »

M. Al-Kahlout a indiqué qu’il avait fini par se rendre à la frontière de Rafah, où il a été accueilli par sa famille. « Je suis heureux que cette souffrance et cette humiliation soient terminées », a déclaré M. al-Kahlout, qui n’a pas pu reprendre son travail à Gaza et qui, en mars, a fini par trouver un passage vers l’Égypte.

Rien ne nous arrêtera

Sami Shehadeh, photojournaliste de 35 ans travaillant pour la société Turque de Radio et de Télévision (TRT), s’est rendu avec d’autres journalistes pour documenter le déplacement de familles palestiniennes à Gaza.

Le véhicule du journaliste était clairement identifié comme un véhicule de presse, et les journalistes portaient tous des gilets et des casques les identifiant comme des journalistes.

« Alors que je prenais des photos loin de mes collègues, j’ai vu quelque chose au-dessus de moi que je n’ai pas pu fuir avant qu’il ne m’atteigne. Je ne sais pas si c’était un missile ou un obus. Tout ce que j’ai vu, c’est que ma jambe saignait”, a déclaré Shehadeh.

Deux collègues, Sami Barhoum, de la TRT, et Ahmed al-Louh, d’une autre agence de presse turque, Anadolu, ont également été blessés, mais aucun n’a été tué.

Shehadeh a utilisé les connaissances en matière de premiers secours acquises lors de sa formation au journalisme pour survivre.

« J’ai attaché ma jambe qui saignait à la ceinture de mon pantalon pour arrêter l’hémorragie, puis j’ai rampé sur le dos jusqu’à un endroit plus sûr, à l’abri des bombardements incessants, pour que mes collègues puissent me rejoindre et me transférer à l’hôpital », a-t-il déclaré.

Shehadeh espérait que sa jambe pourrait être sauvée, mais en raison de la gravité des fractures, elle a finalement été amputée au-dessous du genou.

« J’ai supplié les médecins de ne pas me couper la jambe, car personne ne veut perdre un membre. Et maintenant, je ne peux plus continuer à travailler comme je le faisais auparavant”, a-t-il déclaré.

Il avait prévu de quitter Gaza pour recevoir une prothèse dans un hôpital en Turquie, mais l’armée israélienne ayant fermé la frontière de Rafah au cours de l’invasion actuelle, cela est impossible. Au lieu de cela, il est retourné travailler, même si sa blessure à la jambe n’est pas encore complètement guérie.

« Je suis revenu en m’appuyant sur une béquille », a déclaré M. Shehadeh.

« Rien ne m’empêchera de reprendre mon travail et de couvrir le génocide en cours contre mon peuple. Ma blessure ou le fait qu’Israël s’en prenne aux journalistes ne m’arrêteront pas ».

Perdre sa famille

Mohammed Alaloul et sa femme tentent de tourner la page sur une tragédie sans nom : Quatre de leurs cinq enfants ont été tués lors d’une attaque israélienne sur le camp d’al-Maghazi en novembre. Seul Adam, âgé d’un an, a survécu.

La veille du jour où le photojournaliste, qui travaille pour l’agence Anadolu, a perdu la majeure partie de sa famille, il était chez lui en train de s’amuser avec ses enfants.

Il a déclaré qu’ils l’avaient supplié de quitter son travail et de rester avec eux.

« C’est mon travail. C’est ce qui nous permet de gagner de l’argent et de trouver de la nourriture, et je reviendrai vous voir dans une semaine”, se souvient-il de leur avoir dit.

« L’occupation israélienne me les a arrachés et les a tués de sang-froid sans aucune explication. Je n’aurais jamais imaginé vivre un cauchemar aussi horrible ».

Il a raconté qu’il avait reçu un appel d’un voisin lui disant, d’une voix tremblante et faible, que sa maison avait été touchée par une attaque israélienne et que les membres de sa famille se trouvaient sous des débris et que des gens essayaient désespérément de les sortir de là.

Une fois l’appel terminé, M. Alaloul se souvient d’avoir vu les photos de ses quatre enfants les plus âgés, aujourd’hui disparus, circuler sur les réseaux sociaux.

Il s’est précipité à l’hôpital où ils avaient été transférés pour leur faire ses adieux. Sur le chemin, Alaloul a déclaré à The Electronic Intifada qu’il aurait aimé que quelqu’un le réveille de cet horrible cauchemar.

« J’essaie d’être fort pour ma femme et mon petit garçon », a déclaré M. Alaloul depuis la Turquie, où sa femme reçoit des soins médicaux.

« Mais je suis un corps sans âme. Chaque minute, je ressens la douleur qui me ronge le cœur à cause de leur perte ».


Source : The Electronic Intifada

Traduit de l’anglais par Falasteen pour Investig’Action


Note

Khuloud Rabah Sulaiman est un journaliste vivant à Gaza.

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