Les États-Unis veulent remettre le TPLF au pouvoir, le peuple éthiopien ne l’acceptera pas

Le conflit fait toujours rage entre les rebelles du Tigré et le gouvernement central d’Éthiopie. Tibebe Samuel Ferenji explique comment les États-Unis veulent remettre les rebelles du TPLF au pouvoir. Pendant près de 30 ans, ils ont dirigé l’Éthiopie en obéissant au doigt et à l’œil de Washington. Certains se sont considérablement enrichis en profitant des richesses de ce grand pays africain et de la corruption du régime TPLF. Aujourd’hui, ils travaillent à renverser le gouvernement démocratiquement élu d’Abiy Ahmed pour remettre le TPLF au pouvoir. Mais, prévient Tibebe Samuel Ferenji,  le peuple éthiopien ne se laissera pas faire. (IGA)


 

En 1991 [après la chute du dictateur Mengistu], lorsque le gouvernement US est intervenu dans les affaires intérieures de l’Éthiopie au nom de la “médiation”, l’ambassadeur Herman Chone a été désigné comme acteur clé pour diriger la négociation entre le gouvernement militaire et les opposants au gouvernement. Au cours de cette négociation dirigée par les États-Unis, Cohen a exclu les partis politiques qui défendaient l’unité et l’intégrité territoriale de l’Éthiopie. Et il a rassemblé uniquement les partis politiques à base ethnique. Cohen a justifié son exclusion en déclarant que les négociations se déroulaient entre des groupes rebelles armés et le gouvernement militaire. Cependant, les groupes rebelles armés tels que le Parti révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRP) et l’Union démocratique éthiopienne (EDU) ont été exclus de cette négociation. Ils avaient pourtant une force de combat active contre le régime militaire.

L’intention des États-Unis était très claire dès le départ. Les États-Unis ont soutenu le TPLF [Front de libération du peuple du Tigré] et l’EPLF [Front populaire de libération de l’Érythrée] pendant la lutte armée sous prétexte de chasser le communisme d’Afrique[1]. De plus, ils voulaient que des organisations à base ethnique contrôlent l’Éthiopie dans le but d’affaiblir l’un des pays africains les plus forts. La négociation a été conçue de manière à bénéficier principalement au TPLF et à l’EPLF ; l’OLF était un “bénéficiaire accessoire” de la négociation. Le TPLF, sous couverture de l’EPRDF[2], a été porté à la tête du pouvoir en Éthiopie par les États-Unis.

Bien que les responsables politiques US aient indiqué que le TPLF établirait un gouvernement de transition ouvert à tous, en réalité, le TPLF a reçu le feu vert pour exclure ceux qui défendaient l’unité de l’Éthiopie. Lorsque le TPLF a mis en place une forme de gouvernement qui a divisé l’Éthiopie selon des lignes ethniques, les responsables politiques US, conscients du danger d’une telle forme de gouvernement, n’ont pas objecté. Le TPLF prétendait avoir établi un gouvernement fédéral qui donnait du pouvoir aux différents groupes ethniques, mais en réalité, les soi-disant “présidents” des différentes régions ethniques étaient contrôlés et muselés par les hommes de main du TPLF. Ces “présidents” n’avaient aucun pouvoir réel et ne faisaient que suivre le chef d’orchestre du TPLF. Les États-Unis le savaient, mais ils ont continué à “admirer” les dirigeants éthiopiens en les qualifiant de “nouvelle génération de démocrates africains”. Les États-Unis ont fait l’éloge de personnes comme Meles Zenawi, tout en ayant connaissance de la brutalité de son régime.

Pourquoi les États-Unis, un gouvernement censé défendre la démocratie et les droits de l’homme, autoriseraient-ils des massacres, la torture et la division ethnique en Éthiopie ? Quel bénéfice tireraient-ils des atrocités commises par le régime qu’ils soutiennent sans réserve ? Un article que cet auteur a publié en 1992 dans le magazine Ethiopian Review intitulé “Le sort de l’Éthiopie est entre les mains des Éthiopiens, pas de Bill Clinton” indiquait que “l’intérêt des États-Unis n’est ni la démocratie ni la protection des droits de l’homme, mais l’établissement d’un régime fantoche fidèle aux États-Unis”.

Selon Thomas C. Mountain, rédacteur collaborateur du Online Journal, la CIA a établi ses contacts avec le TPLF par l’intermédiaire de Gayle Smith, l’une des responsables actuelles du département d’État. Selon Mountain, “Gayle Smith a commencé sa carrière au service de l’empire US en tant qu’agent secret de la CIA, se faisant passer pour une journaliste dans la Corne de l’Afrique à la fin des années 1970. Prenant son devoir au sérieux, elle est devenue la maîtresse d’un guérillero connu sous le nom de guerre de “Jamaica” au sein du Front de libération du peuple tigréen (TPLF), un mouvement marxiste-léniniste de tendance Enver Hoxha…” Dans l’article intitulé “Gayle Smith, la liaison entre la CIA et Meles Zenawi” publié en 2010, Mountain révèle que “Gayle Smith est la personne qui porte la plus grande responsabilité dans la montée en puissance et l’élévation au rang de leader international de l’Éthiopien Meles Zenawi, l’un des tueurs génocidaires les plus corrompus et les plus sanguinaires des temps modernes, qui allait une fois de plus fouler la scène mondiale lors de la réunion du G20 en Corée”.

Trois ans après la prise de pouvoir du TPLF en Éthiopie, Gayle Smith, la pseudo-journaliste, est devenue chef de cabinet de l’Agence américaine pour le développement international (USAID) sous Bill Clinton. En conséquence, le TPLF a bénéficié du soutien inconditionnel des États-Unis qui ont délibérément ignoré le massacre des Amharas et les atrocités commises contre les Éthiopiens. Le département d’État US nous a soutenus du bout des lèvres et a publié son “rapport annuel sur les droits de l’homme” caviardé afin d’apaiser les critiques de la politique US à l’égard de l’Éthiopie.

Ce “réseau de tromperies”, qui a débuté à la fin des années 1970, poursuit ses activités encore aujourd’hui. Le TPLF a pu s’assurer les “services” de personnalités telles que Samantha Power, Susan Rice, Herman Cohen et d’autres hauts fonctionnaires US en les faisant bénéficier des fonds pillés sur les maigres ressources de l’Éthiopie. En 27 ans de règne brutal du TPLF sur l’Éthiopie, les États-Unis n’ont jamais pris de mesures sérieuses contre le TPLF. Ils savaient pourtant qu’il y avait des détentions massives, des meurtres de masse, de la torture, y compris des viols de femmes et d’hommes en prison. Le TPLF partageait ses fonds illicites, riait et dansait avec les hauts fonctionnaires US en se moquant des souffrances atroces des Éthiopiens. Les États-Unis étaient satisfaits du TPLF parce qu’il faisait ce qu’ils demandaient, notamment sacrifiez les enfants éthiopiens pour les besoins de la guerre US en Somalie. Pour cette raison, les États-Unis ont fermé les yeux sur les élections bidon et leurs résultats surréalistes, y compris lors du scrutin de 2015. En 2015, lorsque le TPLF a affirmé avoir remporté les élections éthiopiennes à 100 %, les États-Unis n’ont pas demandé au TPLF de partager le pouvoir avec l’opposition et n’ont pas non plus condamné le résultat du scrutin. En fait, lorsqu’un journaliste a interrogé Susa Rice sur cette élection, elle a répondu que le TPLF avait gagné à 100 %, esquissant un sourire en coin. Son sourire et sa déclaration inconsidérés étaient très pénibles à regarder.

Six mois après l’élection, les Éthiopiens de toutes parts se sont révoltés contre le TPLF. La fin du parti approchait, c’était la panique chez les décideurs US. Lorsque Abiy est arrivé au pouvoir, on a tenté de le courtiser pour en faire un autre larbin des États-Unis. Cela n’a pas fonctionné ; ensuite, le réseau de tromperies visant à écarter Abiy du pouvoir a continué à se déployer. Lorsque le TPLF a violé la Constitution éthiopienne et s’est comporté comme un “leader régional renégat”, les États-Unis auraient pu intervenir et l’arrêter. Ils ne l’ont pas fait. En fait, selon certaines sources, les dirigeants du TPLF ont été encouragés et ont reçu le feu vert pour déstabiliser le régime d’Abiy. En particulier, les relations étroites d’Abiy avec Isaias Afeworki, le président d’Érythrée, ne plaisaient pas aux services de renseignement US. C’est bien connu, les États-Unis ne veulent pas d’un gouvernement en Afrique qui soit capable de refuser tout “ordre” des responsables US. Les États-Unis estiment que le rôle des dirigeants africains est de profiter aux États-Unis, et pas à leur peuple. Les États-Unis ont déstabilisé de nombreux pays d’Afrique précisément parce qu’ils pensaient que l’Afrique devait fonctionner sous le “commandement” US.

Aujourd’hui, les Éthiopiens ont élu un dirigeant qui se soucie des intérêts de l’Éthiopie et pas seulement de ceux des États-Unis. Les États-Unis utilisent leurs médias internationaux, les ONG, les agences de l’ONU, les Éthiopiens bénéficiant des fonds illicites du TPLF, les sanctions, les menaces militaires, le soutien satellitaire au TPLF et tous les autres outils disponibles pour écarter Abiy du pouvoir sans réaliser que cette guerre n’est pas une guerre contre le gouvernement, mais une guerre contre le peuple éthiopien. Pourquoi le gouvernement US, qui se considère comme un champion de la “démocratie”, voudrait-il mettre en place un “gouvernement de transition” en Éthiopie alors que nous avons déjà un gouvernement élu librement et équitablement par le peuple, un gouvernement qui a montré son engagement envers la protection des droits de l’homme, un gouvernement responsable devant son peuple et un gouvernement qui, pour la première fois dans l’histoire de l’Éthiopie, a placé ses opposants à divers postes gouvernementaux ? C’est incompréhensible de voir les États-Unis désigner comme ennemi et prendre pour cible l’un des dirigeants les plus populaires d’Afrique. Si les États-Unis s’intéressent vraiment au bien-être de l’Éthiopie, pourquoi ne condamnent-ils pas fermement le TPLF? Pourquoi ne reconnaissent-ils pas les élections éthiopiennes et ne prennent-ils pas ouvertement parti pour le peuple éthiopien plutôt que pour le TPLF ? La réponse est simple : les États-Unis ne veulent pas d’un régime dans un pays africain qui défende les intérêts de son peuple et de son pays.

L’année dernière, nous avons été témoin des actions coordonnées du gouvernement US, de l’ONU, de l’Union européenne, des médias occidentaux et d’autres organismes d’aide engagés dans la diffusion de fausses informations sur l’Éthiopie. En outre, ils ont rassemblé à Washington un groupe de “purs inconnus” prétendant incarner des organisations qui se sont opposées au régime d’Abiy. Ces personnes sont sélectionnées pour faire partie du “gouvernement de transition” “fabriqué de toutes pièces” par les États-Unis pour l’Éthiopie. Ces personnes ont été courtisées au Press Club et ont été autorisées à donner une conférence de presse. Nous avons également été témoins de la façon dont les Nations unies, les États-Unis et l’Union européenne ont battu leur coulpe pour demander l’arrêt des hostilités lorsque l’armée éthiopienne progressait, et se taisaient dans toutes les langues lorsqu’ils pensaient que le groupe terroriste TPLF prenait l’avantage. Honteusement, ces entités ont utilisé la tactique déjà employée en 1991, espérant que les dirigeants actuels de l’Éthiopie s’enfuient et que le TPLF puisse reprendre le pouvoir. Elles ont ainsi déclaré qu’Addis-Abeba était encerclée par les rebelles et ont ordonné à leurs diplomates de quitter l’Éthiopie. Mais tous ceux-là ont oublié l’Histoire. L’Italie a occupé Addis-Abeba pendant cinq ans avant d’être dégagée de toute l’Éthiopie au prix d’énormes sacrifices. Heureusement, nos dirigeants n’ont pas fui. En fait, ils ont montré leur détermination à rester pour continuer à diriger l’Éthiopie. Maintenant, l’Occident parle d’une attaque terroriste à Addis-Abeba pour créer la panique et le chaos. Cela ne fonctionne pas non plus.

Jeffery Feltman nous a dit que les États-Unis ne prenaient pas parti. Mais ne devraient-ils pas prendre parti pour l’Éthiopie ? L’Éthiopie est un allié supposé proche des États-Unis dans la lutte contre le terrorisme. C’est le discours que nous entendons tout le temps. L’Éthiopie a soutenu les États-Unis dans leur lutte contre le terrorisme. Pourquoi les États-Unis ne prennent-ils pas parti pour l’Éthiopie lorsque celle-ci lutte contre le terrorisme ? Si les États-Unis continuent de dire qu’ils ne prennent pas parti, c’est parce qu’ils veulent que leurs activités secrètes contre l’Éthiopie restent intactes. Si les États-Unis déclarent qu’ils soutiennent l’Éthiopie, le réseau de tromperies se dénouera et nombre de leurs partenaires dans cette conspiration sauteront du navire, laissant le TPLF livré à lui-même. Ainsi, les États-Unis agissent comme s’ils prenaient le “juste milieu”. Il y a un dicton qui dit : “Le diable citera avec éloquence les Écritures pour accomplir son dessein maléfique”. Ici, les États-Unis agissent comme un noble “artisan de la paix” alors qu’en fait, ils sont à l’origine du chaos dans lequel nous sommes plongés aujourd’hui.

Ce dont nous avons été témoins récemment lors de la réunion secrète tenue par Zoom et dévoilée par l’écrivain canadien Jeff Pearce, indique que diverses agences US, des employés du Programme des Nations unies pour le développement, des diplomates US – à la retraite ou en fonction- ont participé à cette réunion. Des diplomates US en fonction ne participeraient pas à de telles réunions sans l’approbation du Département d’État. Voilà la main des États-Unis prise dans le pot de confiture. Entre autres choses, l’une des parties intéressantes de la discussion a été la façon dont Berhane Gebrechristos, l’ancien ambassadeur d’Éthiopie aux États-Unis, et l’un des dirigeants du TPLF, ont raconté des mensonges évidents connus des participants à la réunion, sans que personne ne soulève la moindre question. Berhane prétend que le gouvernement d’Abiy dispose de quelques faibles forces de milice alors qu’en réalité, le monde a été témoin de l’un des plus grands rassemblements de forces militaires en Éthiopie. Il affirme également qu’Abiy n’a le soutien que des Amharas extrémistes qui veulent ramener une forme de gouvernement “unitaire”, alors qu’en fait Abiy bénéficie du soutien de la majorité des Éthiopiens, y compris de la majorité des Éthiopiens de la diaspora qui ont souvent été les voix des Éthiopiens lorsque le régime oppressif était au pouvoir en Éthiopie. Berhane explique également à son auditoire que l’intérêt du TPLF est d’établir un gouvernement fédéraliste. Or, les participants savent très bien que le TPLF n’a jamais établi un véritable système fédéraliste en Éthiopie.

Il est triste de constater que ceux que nous considérions comme des personnalités éminentes et des personnes intègres sont pris dans ce réseau de tromperies. Nous savons maintenant que certains des Éthiopiens qui conspirent contre leur propre nation sont des individus qui ont bénéficié de fonds illicites pillés en Éthiopie ; certains sont des conseillers en investissement, ils ont investi les fonds pillés de l’Éthiopie pour les dirigeants du TPLF et ils ont perdu leur “juteux business” lorsque le TPLF a été chassé du pouvoir. Ces actes de trahison doivent être punis et le ministère éthiopien de la Justice doit commencer à enquêter si l’une de ces personnes ou leurs associés sont impliqués dans le blanchiment d’argent et le transfert de fonds illicites depuis l’Éthiopie.

Il ne fait aucun doute dans mon esprit que des personnes comme Susan Rice, Gayle Smith, Samantha Power et d’autres diplomates, à la retraite ou en fonction, travaillent avec l’approbation du gouvernement US à un changement de régime en Éthiopie. Mais il y a un élément qui n’a pas été pris en compte dans cette discussion Zoom, quelque chose que ceux qui travaillent sans relâche à un changement de régime ne semblent pas comprendre: le peuple éthiopien n’acceptera pas ça. Le peuple éthiopien est uni, résilient, et il se tient debout avec un esprit inébranlable pour défendre sa nation. L’auteur de ces lignes s’étonne que les dirigeants du TPLF croient pouvoir revenir au pouvoir en Éthiopie alors que le peuple les en a chassés. Je suis choqué que des gens comme Donald Yamamoto aient sapé la détermination des Éthiopiens à se débarrasser du TPLF une fois pour toutes. Je ne parviens pas à comprendre comment une personne qui soutient le TPLF peut vraiment croire que le TPLF reviendra au pouvoir. Cela ne se produira pas avant que la dernière goutte de sang éthiopien soit versée.

Que Dieu protège l’Éthiopie et son peuple.

 

Source originale: Borkena

Traduit de l’anglais par Investig’Action

Photo: Rod Waddington, CC BY-SA 2.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0>, via Wikimedia Commons

Notes:

[1] La rédaction partage l’analyse de l’auteur sur l’Ethiopie, mais pas sur l’EPLF qui aurait été soutenu par les Etats-Unis pour chasser le communisme. Pour une vue complète sur l’histoire de l’Erythrée, voir l’interview de Mohamed Hassan sur notre site.

[2] Le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien était alors une coalition de différents mouvements politiques qui, dans les faits, était dominée par le Front de libération du peuple du Tigré.

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