US President Joe Biden shakes hands with Israeli Prime Minister Benjamin Netanyahu as they meet on the sidelines of the 78th United Nations General Assembly in New York City on September 20, 2023. (Photo by Jim WATSON / AFP)AFP

Les complices de génocide, ça ose tout

L’encre du verdict de la Cour internationale de Justice était à peine sèche que de nombreux partisans d’Israël annonçaient couper les vivres à l’UNRWA, l’agence qui s’occupe des réfugiés palestiniens et de l’aide humanitaire à Gaza. Le sens du timing. Mais les complices des génocidaires israéliens ne devraient pas s’en tirer à si bon compte. La propagande ne fait plus recette et les actions se multiplient.

Quand un crime est commis, il n’y a pas que les auteurs qui sont inquiétés. Les complices doivent également rendre des comptes : celui qui laisse tourner le moteur devant la banque, celui qui planque le matos, celui qui fournit des faux papiers ou même celui qui livre des armes en contournant le Congrès ou qui agite son droit de véto dès qu’une demande de cessez-le-feu pointe le bout de sa résolution au Conseil de Sécurité.

Et c’est là où l’arrêt provisoire rendu le 26 janvier par la Cour internationale de Justice sonne comme autre chose qu’un coup d’épée dans l’eau. La plus haute instance juridique des Nations unies a ordonné à Israël de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir un risque de génocide à Gaza. Certes, il ne fallait pas s’attendre à ce que Benyamin Netanyahu et ses sbires lèvent le pied. Le droit international est à Israël ce que le Code de la route est aux chauffards : un concept relativement abstrait. D’ailleurs, depuis que la CIJ a reconnu le risque de génocide à Gaza et ordonné des mesures conservatoires, Israël a mené des frappes meurtrières aux abords des hôpitaux Nasser et Al-Amal qui abritent des milliers de réfugiés ; deux journalistes palestiniens – ces petites choses insignifiantes pour RSF – ont été tués, ce qui porte le bilan à 122 journalistes morts en 115 jours de guerre ; des ministres israéliens ont réclamé la recolonisation de Gaza ; des ministres israéliens ont bloqué l’entrée de l’aide humanitaire à Gaza.

Des armes en veux-tu en voilà

Israël n’allait pas se plier aux injonctions de la justice. Comme tout ce qui déplaît aux dirigeants sionistes, la CIJ a même été qualifiée d’antisémite. En revanche, le verdict de vendredi dernier offre un formidable moyen de pression pour le vaste mouvement de solidarité qui défend les droits des Palestiniens à travers le monde. S’il y a risque de génocide, il y a risque de complicité de génocide. Et pour certains gouvernements, les faits sont accablants.

Depuis le début de la guerre, les États-Unis ont ainsi livré plus de 10.000 tonnes de matériel militaire à Israël. L’Allemagne a multiplié par dix ses livraisons d’armes. Le magazine Der Spiegel vient en outre de révéler que Berlin s’apprêtait à envoyer quelque 10.000 obus de 120 millimètres. Même la Belgique qui tente d’adopter une position plus mesurée dans le concert des nations européennes a été prise la main dans le sac : 16.000 tonnes de poudre à munition exportées vers Israël. Quant à la France, mystère ! Si l’on sait que 15,3 millions d’euros d’armement ont été vendus en 2022 selon les derniers chiffres officiels, le ministre des Armées se montre plus circonspect sur les livraisons depuis le début de la guerre. Fidèle à la doctrine du « en même temps » de son patron Macron, Sébastien Lecornu indique que la France « n’exporte pas et n’exportait pas avant les événements dramatiques du 7 octobre de matériels létaux susceptibles d’être employés contre des populations civiles dans la bande de Gaza ». Mais en même temps, Lecornu reconnaît que la France « exporte des équipements militaires à Israël afin de lui permettre d’assurer sa défense, comme l’article 51 de la Charte des Nations unies lui en donne le droit. »

Je lui dirai des mots bleus

Les serials killers qui hantent les chancelleries occidentales risquent peu d’être rongés par les remords pour finalement se plier aux injonctions de la justice. Comme le souligne l’avocat Jan Fermon, l’un des principes fondamentaux pour rendre effectives les décisions et les règles du droit international, ce n’est pas le bon vouloir des édiles, c’est l’action des peuples.

Et aux États-Unis, le peuple s’en donne à cœur joie, ne laissant aucun répit à « Génocide Joe ». Un rassemblement électoral en Caroline du Sud ? Des cris « Cessez-le-feu maintenant ! » viennent plomber la parade triomphaliste du président-candidat. Il débarque à l’aéroport de Dallas ? Un comité d’accueil agite des drapeaux palestiniens sur le tarmac. Un speech en Virginie ? Constamment interrompu par des pacifistes, le président doit s’y reprendre à treize fois pour venir au bout de ses palabres. Et lorsque le convoi présidentiel met les voiles, c’est sous les chants de “Genocide Joe has got to go” et “f*ck Joe Biden”.

Il n’y a pas que des mots doux. En Californie, des associations ont saisi le tribunal fédéral d’Oakland. Le président Biden, son ministre des Affaires étrangères Blinken et le ministre de la Guerre Austin sont poursuivis pour complicité de génocide. Les audiences ont commencé vendredi dernier. Devant le tribunal, le message de bienvenue était aussi explicite qu’incontournable.

Les trois larrons se déroberont certainement aux poursuites. Leur défense invoque déjà l’incompétence du tribunal et devrait faire mouche. Biden n’en est pas moins poursuivi par les fantômes de Gaza où qu’il aille. Et la mobilisation des militants pro-palestiniens porte ses fruits. En effet, les Étasuniens se rendront aux urnes en novembre. Or, selon un récent sondage, 53% des électeurs voteraient pour un partisan du cessez-le-feu à Gaza. À l’inverse, ils ne sont que 23% à accorder leur préférence aux fauteurs de guerre. Parmi l’électorat démocrate, la proportion est même de 60% contre 17. Candidat à sa succession, le président Biden finira-t-il par comprendre que le crime de génocide ne paie pas ? Peut-être. Mais l’octogénaire de la Maison-Blanche est manifestement dur de la feuille.

Haro sur l’UNRWA

Après le verdict de la CIJ, les soutiens inconditionnels d’Israël ont-ils pris des mesures fortes ? Oui ! Pour prévenir tout risque de génocide ? Non ! L’encre du verdict à peine sèche, une douzaine de pays annonçait suspendre le financement de… l’UNRWA ! On compte parmi ces bailleurs touchant le fond les États-Unis, le Canada, l’Allemagne, l’Italie ou encore la France.

L’UNRWA, c’est l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient. Il a été mis sur pied de manière provisoire en 1949, après que 700.000 Palestiniens ont été chassés de leurs terres. 65 ans plus tard, l’UNRWA est toujours là comme une bouée de sauvetage à laquelle s’accrochent quelque 5,9 millions de réfugiés dans les territoires palestiniens, mais aussi en Jordanie, en Syrie et au Liban. Enseignement fondamental, santé, aide sociale, emploi ou encore formation dépendent en grande partie de l’agence onusienne. Dans la bande de Gaza qui subit un blocus illégal depuis 2007, l’UNRWA est le principal fournisseur d’aide humanitaire. Son rôle était indispensable jusqu’à maintenant. Il est devenu vital.

« La population meurt de faim »

Gaza offre en effet un aperçu de ce que pourrait être l’enfer sur terre. En quatre mois de guerre, l’armée israélienne a tué 26.900 Palestiniens, principalement des femmes et des enfants. Elle en a blessé 66.000 autres. 1,9 million de Gazaouis ont été déplacés, soit 83% de la population totale. Méningite, jaunisse, gale, poux et autre varicelle sévissent comme jamais. L’OMS a recensé 120.000 cas d’infections respiratoires aiguës et 86.000 cas de diarrhée, dont 44.000 chez des enfants de moins de cinq ans.

Ce n’est pas tout. La population meurt de faim, alerte le directeur du programme des urgences sanitaires de l’OMS. « Et si vous mélangez le manque de nourriture au surpeuplement ainsi qu’au froid et au manque d’abris, vous obtenez les conditions parfaites pour qu’il y ait une épidémie massive chez les enfants », prévient Michael Ryan.

Dans ce décor d’apocalypse, l’UNRWA n’est rien de moins que « la colonne vertébrale de la réponse humanitaire à Gaza » selon les termes du secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres. Alors, pourquoi les États-Unis, le Canada, l’Australie, l’Italie, le Royaume-Uni, la Finlande, les Pays-Bas, l’Allemagne, le Japon, l’Autriche, la Roumanie, la Nouvelle-Zélande, la Suède, la Suisse et la France suspendent-ils leur financement de l’UNRWA ?

Welcome back

12 employés de l’agence ont été accusés d’avoir participé à l’attaque du 7 octobre. 12 employés sur les 13.000 qu’occupe l’UNRWA à Gaza – c’est le deuxième employeur de l’enclave. Les accusations proviennent des services de renseignements israéliens. On a connu plus fiable comme source. D’autant plus qu’Israël tient l’UNRWA dans sa ligne de mire depuis un bail.

En effet, l’agence est l’incarnation du droit au retour des réfugiés palestiniens. Ce droit est gravé dans le marbre de la résolution 194 des Nations unies. C’est un véritable problème pour Israël : les Palestiniens font des enfants ; et ni le temps ni la répression coloniale n’ont entamé les revendications légitimes de ce peuple digne parmi les peuples. Si bien qu’aujourd’hui, 5,7 millions de réfugiés palestiniens peuvent prétendre à juste titre retourner sur leurs terres. C’est la hantise démographique d’Israël qui ne ménage pas ses efforts pour tipexer la résolution 194 et couler l’UNRWA. En 2018 déjà, Netanyahu reprochait à l’agence d’entretenir le statut des réfugiés palestiniens de génération en génération plutôt que de les fondre dans les pays d’accueil. L’objectif d’Israël est clair : plus d’UNRWA, plus de réfugiés ; plus de réfugiés, plus de menace démographique pour l’État suprémaciste.

Liquidation totale

Faute de financement, l’UNRWA pourrait disparaître. Mais son sabordage n’a pas commencé cette semaine avec les dernières « révélations » des services de renseignements israéliens. En 2018, après avoir reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël, Donal Trump annonçait la fin des subventions US à l’agence onusienne. Biden a ensuite rouvert le robinet, mais comme l’explique l’avocate Dalal Yassine, le financement s’est vu lier « à un certain nombre de questions relatives à l’identité et aux droits nationaux du peuple palestinien ».

En 2020, le Monde rapportait qu’en pleines papouilles de rapprochement diplomatique, Israël et les Émirats arabes unis travaillaient « à un plan d’action destiné à faire disparaître progressivement l’UNRWA, sans conditionner cette évolution à une résolution du problème des réfugiés. Ce faisant, Abou Dhabi se rallierait à une revendication de longue date d’Israël, qui martèle que l’agence fait obstacle à la paix en entretenant les réfugiés dans le rêve d’un retour sur les terres d’où leurs parents ont été chassés en 1948. »

Pas étonnant que le directeur de l’UNRWA se retrouve régulièrement à mendigoter pour la survie de l’agence dont le budget dépend du bon vouloir de ses donateurs. « Nous sommes entrés dans une zone dangereuse. (…) À un moment donné, nous pourrions atteindre un point de rupture qui conduirait très probablement à la suspension des activités », redoutait déjà Philippe Lazzarini l’an dernier. Le directeur pointait notamment le manque de solidarité des pays arabes. Leur contribution représentait 25% du budget en 2018 contre 4% en 2022. Destinés à normaliser les relations d’Israël avec les laquais de Washington au Moyen-Orient, les accords d’Abraham sont passés par là.

Le coup de grâce ?

Ce n’est pas la première fois que l’UNRWA est pointée du doigt pour ses relations supposées avec le Hamas. À la suite des dernières révélations, l’ONU a tout de même décidé d’ouvrir une enquête. Et sans doute pour faire amende honorable, l’agence a déjà pris les devants en renvoyant les 12 employés incriminés.

L’affaire aurait pu en rester là. Mais quelques jours seulement après le verdict de la CIJ, elle a pris une ampleur démesurée. Dans le jargon, on appelle ça un contre-feu médiatique. Ce scandale monté en épingle permet d’éclipser les encombrantes mesures provisoires édictées par la CIJ. Mais aussi d’en finir une bonne fois pour toutes avec l’UNRWA.

Si les partisans d’Israël concourent aux pires monstruosités de l’Histoire, il faut leur reconnaitre le sens du timing. C’est au moment où l’agence n’est plus que le dernier filet séparant Gaza de l’abime qu’ils décident de lui couper les vivres. C’est au moment où leur possible complicité dans le génocide des Palestiniens est soulevée par la CIJ qu’ils décident d’en remettre une couche. Imaginez un flambeur qui partirait fêter son interdiction de casino à Las Vegas, et vous aurez une petite idée du rapport que ces psychopathes entretiennent avec le droit international. Pour paraphraser Audiard: les complices de génocide, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît.

Leurs mensonges ne suffisent plus. Le massacre de Gaza est diffusé en direct sur des écrans de smartphone, de Rio à Kuala Lumpur en passant par Bruxelles, Sanaa et Pretoria. Le monopole de la propagande occidentale a volé en éclats. La résistance du peuple palestinien l’a réduit en miettes. Et partout à travers le monde, des millions de voix s’élèvent pour réclamer justice. La répression s’intensifie évidemment. Des manifestations sont interdites, des associations dissoutes, des conférences annulées, des drapeaux confisqués… Cette apparente démonstration de force témoigne en réalité de la faiblesse d’un système aux abois. La résistance ne pliera pas. La solidarité persistera. Et elles donneront raison à la prophétie de Marwan Barghouthi, leader palestinien emprisonné depuis plus de vingt ans : « L’apartheid ne l’a pas emporté en Afrique du Sud et il ne l’emportera pas en Palestine ».


Source: Investig’Action

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