Les communistes, « agents de Moscou » ?

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Plus que n’importe quelle force politique, les partis communistes sont enracinés dans leur pays et leur terroir, par toutes leurs fibres en raison de l’origine sociale de la plupart de leurs membres.

 

Traiter les communistes de chaque pays, comme ils ont été, d’ « agents de Moscou » est totalement étranger a la réalité, alors que les partis bourgeois, tout au contraire, ont une sensibilité profondément « cosmopolite », en relation avec le mode de vie de leurs membres et leurs intérêts matériels, souvent transnationaux. La réalité est que chaque parti  communiste est tout autant «national» que communiste, ce qui explique les grandes différences de conception doctrinal et de pratique politique d’un parti à l’autre.

Les ressemblances étaient et sont toujours limitées entre le PC de Russie, celui de France ou de Grèce, celui du PAI du Sénégal, du PC du Vietnam ou du PC chinois, voisin, mais de tradition radicalement opposée, sans parler du Parti du Travail de Corée du Nord !

Les controverses des années 1970 entre le PCF, parti fondamentalement ouvrier de M. Thorez et le PCI, parti de Gramsci, de Togliatti et de Berlinguer, en sont une illustration significative pour deux pays occidentaux voisins et de même culture latine. Cet enracinement est parfois renforcé par la particularité des institutions nationales au sein desquelles chacun des partis est conduit à fonctionner.

Ces institutions ne sont pas neutres et contribuent à formater toutes les organisations politiques, y compris celles des communistes. Les élus, en particulier, qui jouent un rôle souvent déterminant (même si ce rôle « dominant » est traditionnellement critique dans la culture communiste comme étant la caractéristique de la social-démocratie) façonnent les comportements politiques (par exemple, dans le cadre du « communisme municipal » de l’après-guerre) et plus encore fournissent l’image médiatique qui s’impose à l’opinion.

Résultat aussi de cette « francisation » intense, les communistes français ont souvent interprétés les problèmes internationaux en les enfermant dans le débat franco-français, en se préoccupant avant tout de l’opinion nationale dominante sur le pays étranger concerné mais aussi selon une approche léguée par l’appartenance à une ex-grande puissance qui a dominé le monde jusqu’en 1918.

Cette déformation était très atténuée durant la période de l’hégémonie soviétique sur la communauté des partis communistes (avant et après la Seconde Guerre mondiale) qui poussait souvent a l’adoption de position à contre-courant; elle est progressivement devenue très forte depuis la fin de I’URSS et l’évolution de la Chine.

Ainsi, lors du différend sino-soviétique, les critiques portées sur Pékin par Moscou ont été jugées pertinentes, provoquant en retour des réactions de certains en faveur du Maoïsme (1). Par contre, en raison surtout de l’image préfabriquée dans l’opinion française par les médias de la politique nord-coréenne et la volonté de mettre en valeur la démocratique et les droits de l’Homme, toute solidarité avec le Parti du Travail a disparu, sans s’interroger même sur la confucianité de la société coréenne fournissant des éléments d’explication de ses caractères inédits (2). Se mêlent ainsi un internationalisme (sélectif) et une certaine étroitesse « provincialiste ».

Aujourd’hui, la prise en compte des exigences que la géopolitique soulève en effet n’existe que très peu. On ne s’interroge pas sur le « besoin » de Russie ou de Chine pour rééquilibrer les forces dans le monde ; on célèbre Cuba, parce que le Che et Fidel sont restés des symboles populaires ; on est partagé sur Marcos au Chiapas, Chavez ou Morales dont on ne saisit pas certains aspects, notamment leur indianité et leur contribution a l’anti-impérialisme sur le continent américain selon des modalités « non européennes » (3).

Le sentiment est que règne, presque malgré soi, un occidentalo-centrisme qui rend difficile l‘appréhension des révolutions hors schémas traditionnels. La notion d’« imaginaire politique », sur laquelle I’ex-Ministre Aminata Traore, du Mali, insiste particulièrement pour les peuples africains, en rappelant les dégâts provoqués dans ce domaine par la colonisation et le mimétisme politique qui a suivi, ne relève pas de la pensée dominante chez les communistes occidentaux dont la tendance est de se référer a un modèle standard européocentriste d’évolution vers le socialisme.

On constate que la prise en compte d’expériences révolutionnaires dans le sud ne fait pas vraiment partie de la culture communiste européenne, comme s’il existait dans l‘esprit de tout Français, même progressiste, des souvenirs encore prégnants du regard colonial et une prétention universaliste occidentalocentriste. 

 

Notes : 

1) A posteriori, il apparaît que les critiques de l’URSS sur la Chine et celles de la Chine sur I’URSS pouvaient être considérées comme fondées ajoutées les unes aux autres.

2)  II apparaît que l’approche officielle de la RPD de Corée, dénoncée comme « stalinienne » (ce qui est très occidentaliste !) par le PCF n’est que très peu éloignée des positions prises par les partis de droite et leurs médias. Voir R. Charvin. Comment peut-on être Coréen (du Nord) ? Ed. Delga. 2017 (Préface de J. Salem).

3) Les analyses plus scientifiques sont effectuées par des revues spécialisées, comme par exemple Recherches Internationales, dont l’audience cependant n’est pas très large au sein même du parti.

 

Extrait de Charvin, Robert; “L’anticommunisme d’hier à aujourd’hui”, L’Harmattan, 2017.

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