Les BRICS au carrefour du danger

Tandis que s’ouvre, ce mardi en Russie, le sommet des BRICS, deux mouvements sont porteurs de dangers. D’une part, celui des puissances hégémoniques, qui ont tout à craindre du regroupement multipolaire et se réjouissent à chacune de ses difficultés. D’autre part, l’augmentation du nombre de pays voulant adhérer au BRICS avec une liste de 59 candidats. Or, un tel élargissement n’est pas sans dangers pour le projet multipolaire... (I’A)

Le conseiller du président Poutine pour les Affaires étrangères, Yuri Ushakov a dévoilé, dans une conférence de presse tenue le 10 octobre, les réponses aux invitations lancées pour le prochain sommet des BRICS [Brésil-Russie-Inde-Chine-Afrique du Sud], qui se tient du 22 au 24 octobre à Kazan, en Russie. Une annonce qui était attendue tant la campagne médiatique affirmant l’existence d’une crise au sein des BRICS a été importante.

Certains commentateurs et analystes n’ont en effet pas hésité, en s’appuyant sur des contradictions réelles, telle que par exemple la candidature refusée de l’Algérie lors du dernier élargissement, à conclure à l’éclatement imminent de ce regroupement. Ces pseudo-experts voient leurs espoirs déçus, car ce nouveau sommet annonce une affluence significative.

Yuri Ushakov résume comme suit les réponses aux invitations au sommet de Kazan : « Les invitations à ce sommet ont été envoyé à 38 pays. Trente -deux ont déjà confirmé leur participation, dont 24 seront représentés par leurs dirigeants. Le secrétaire général des Nations-Unies, Antonio Guterres et la présidente de la nouvelle banque des BRICS, la Brésilienne Dilma Roussef ont également confirmés leur participation. »

Parmi les chefs d’Etat attendus figurent le chinois Xi Jinping, l’Iranien Massoud Pezeshkian, le Turc Recep Tayyip Erdogan, L’Egyptien Al-Sissi, le Brésilien Lula da Silva, etc.

Forte affluence annoncée


La simple lecture des noms de ces chefs d’Etat, ayant confirmé leur participation, souligne la spécificité des BRICS ; à savoir un regroupement qui n’est pas basée sur un accord idéologique mais sur le constat d’intérêts matériels et politiques communs.

Cette spécificité est, à la fois, une force et une faiblesse. Une force parce qu’il existe une base matérielle concrète à ce regroupement c’est-à-dire l’intérêt partagé à desserrer l’étau de l’hégémonisme occidental sous direction états-unienne. Une faiblesse parce qu’une telle hétérogénéité est porteuse de nombreuses contradictions que n’hésiterons pas à attiser ceux qui ont le plus à perdre à un tel regroupement.

Présentant le prochain sommet le diplomate Russe n’a pas caché les difficultés rencontrées par les BRICS : « Le titre Brics ressemble au mot anglais “brick” (une brique dans le bâtiment). Les BRICS tente de construire brique par brique un pont vers un ordre mondial plus juste. Cela est possible malgré notre diversité car notre groupe a un caractère multipolaire réunissant le Sud Global et l’Orient pour faire contre-poids à l’hégémonie occidentale et aux Etats-Unis ».

Le nombre de pays candidats à l’adhésion au BRICS ne cesse pour sa part d’augmenter. Le dernier en date, la Turquie a officialisé sa demande d’adhésion rejoignant ainsi une liste de 59 pays candidats à l’adhésion allant du Venezuela à la Thaïlande et de la Malaisie à la Colombie.

Un tel élargissement ne va pas de soi et porte des dangers pour le projet multipolaire. Ce qui a conduit la Russie à proposer, le 25 juin dernier, une pause dans les adhésions en attendant l’affinement des conditions de l’adhésion aux BRICS. Parmi ces conditions, le vice-ministre des Affaires Etrangères Russe, Sergueï Riabkov a donné l’exemple suivant, : « Ne pas participer à la politique illégale des sanctions et mesures restrictives internationales appliquée contre d’autres pays ». Cet exemple illustre que nous ne sommes pas en présence de la construction d’une nouvelle hégémonie mais d’une démarche pragmatique d’approfondissement pas à pas de la logique multipolaire.

Contradiction principale et contradiction secondaire


Bien entendu, les pays dominant actuellement les institutions internationales feront tout pour accroître les divergences au sein d’un tel groupe hétérogène.

Les conseils pour accroitre ces divergences ne manqueront pas, les tentatives d’ingérences par pays membre interposé non plus, les articles de presse annonçant la rupture fleuriront à chaque divergence pour présenter celles-ci comme constituant des contradictions principales irrésolvables par la négociation. Deux exemples récents permettent de l’illustrer.

Le premier est celui du Venezuela de Nicolas Maduro, candidat à l’adhésion soutenu par la Russie et la Chine alors même qu’un autre poids lourd des BRICS, le Brésilien Lula Da Silva refuse toujours de reconnaître les résultats du scrutin des présidentiels de juillet dernier ayant donné vainqueur Maduro.

Soulignons d’ailleurs sur cette question que le propre parti politique de Lula, le parti des Travailleurs reconnaît lui la victoire de Maduro. Le président Lula a même été jusqu’à publier un appel commun avec Joe Biden résumé comme suit par un communiqué de la Maison Blanche du 30 juillet dernier : « Les deux chefs d’Etat se sont accordés sur la nécessité que soient publiées immédiatement les données électorales complètes, transparentes et détaillées par bureau de vote par les autorités électorales vénézuéliennes ».

Un tel communiqué est sans conteste une ingérence dans les affaires intérieures vénézuélienne et est de même contradictoire avec le principe de non-ingérence défendu par les BRICS depuis leur création. Les articles de presse se sont, bien sûr multiplié pour se réjouir de cette divergence au sein des BRICS et annoncer la non-viabilité de ce regroupement.

Polémique caricaturale sur l’Algérie


Le second exemple est celui de l’Algérie qui a vu sa demande d’adhésion refusée lors du dernier sommet en août 2023 malgré le soutien de la Russie et de la Chine.

Le quotidien El Watan commentait comme suit le refus de la candidature algérienne : « Absolument aucun argument plausible n’a été avancé pour justifier l’élimination de l’Algérie. […] L’Algérie est de très loin mieux lotie que plusieurs pays admis à l’organisation. […] La vérité est qu’un pays membre des Brics, obéissant à des intérêts mesquins bien loin de la rigueur économique, a mis son veto avec une insistance presque théâtrale”. Ce pays a agi sous les ordres d’un modeste émirat du Golfe, qui orchestre en coulisses une pression aussi sournoise que ‘stratégique’ sur le reste des membres, veillant à ce que l’Algérie soit éliminée ».

L’accusation algérienne est corroborée par le journal anglais The Cradle, du 29 aout 2023, affirmant pour sa part l’existence d’une demande française à l’Inde pour que ce pays fasse usage de son droit de véto pour la candidature algérienne:

« Les renseignements français ont contacté leurs homologues indiens avant le sommet des BRICS+ pour exhorter New Delhi à opposer son veto à l’entrée de l’Algérie dans le bloc. […] Les tensions entre Paris et Alger se sont exacerbées après qu’une junte militaire a renversé le gouvernement soutenu par la France au Niger, dernier exemple en date d’un mouvement anti-occidental croissant au Sahel. Depuis lors, l’Algérie s’est opposée à une opération militaire de la CEDEAO au Niger, a souligné le rôle de la diplomatie dans la recherche d’une solution pacifique à la crise et a refusé l’autorisation aux avions militaires français de survoler l’espace aérien algérien. »

Le résultat de cette crise a été le renoncement de l’Algérie à l’adhésion aux BRICS annoncée à la presse par le président de la République Abdelmadjid Tebboune le 5 octobre dernier. De nouveau de nombreux commentateurs se sont enflammés pour annoncer une « crise du multilatéralisme » pour les uns, « un isolement de l’Algérie » pour les autres, une « froid entre Alger et Pékin » et/ou entre « Alger et Moscou » pour d’autres encore.

Pourtant dans le même entretien avec la presse algérienne, le président Tebboune a rappelé que l’Algérie maintenait son adhésion à la banque des BRICS avec une contribution de 1.5 milliards de dollars : « La banque des BRICS est considérée comme la nouvelle banque de développement, équivalente à la Banque mondiale, avec un capital aussi significatif que celui de cette dernière ». Concernant l’isolement de l’Algérie, il a précisé : « Finalement, ceux qui se sont opposés à notre adhésion aux BRICS ont en réalité servi nos intérêts et nos amis restent nos amis ».

Ni alliance idéologique homogène, ni groupe entièrement inconsistant, les BRICS apparaissent ainsi comme l’expression d’une aspiration à un monde multipolaire anti-hégémonique. Cette aspiration multipolaire ne se limite pas, loin s’en faut aux BRICS. Enfin l’évolution des BRICS dépendra de l’évolution des rapports de forces internes et de leur capacité à résister aux ingérences externes par pays membres interposés.
 

Saïd Bouamama

Pour aller plus loin :

India vetoed Algeria BRICS+ entry at France’s request: Report, The Cradle, 29 août 2023.

BRICS : vers le sommet de Kazan, perspectives et processus, Pressenza International Press Agency, 13 octobre 2024.


Source : Investig’Action

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