Le sommet de l’OTAN, un théâtre de l’absurde

Le sommet de Vilnius sera une fois de plus un coup de communication complaisamment relayé par les médias occidentaux. Les membres de l’alliance vont réaffirmer leur unité et leur solidarité à l’Ukraine. Et brandir l’adhésion de la Suède comme un trophée historique. Voilà pour ceux qui ont la mémoire courte. Pour ceux qui, comme Scott Ritter, analyse le sommet de Vilnius à la lumière des objectifs fixés lors du sommet de Madrid l’an denier, il semble que l’OTAN patauge. (I’A)


Les objectifs définis lors du sommet de Madrid l’année dernière n’ont pas été atteints, ce qui menace l’alliance militaire atlantique. Alors que les membres de l’OTAN se réunissent à Vilnius cette semaine, normaliser l’échec sera sans doute ce qui pourra être accompli de mieux.

Les dirigeants des 31 États membres constitutifs de l’OTAN ont commencé à se rassembler à Vilnius, la capitale de la Lituanie, pour le 33e sommet de l’alliance. Cet événement symbolise la tâche de plus en plus ardue consistant à transformer une volonté politique en une réalité tangible.

En 2014, lors du sommet du Pays de Galles, l’OTAN avait fait une priorité absolue de la Russie qui venait d’annexer la Crimée. Lors du sommet de Varsovie en 2016, l’OTAN décidait de déployer des “groupements tactiques” sur le sol de quatre membres de l’OTAN (Lettonie, Estonie, Lituanie et Pologne) en réponse au comportement « agressif » de la Russie dans la région. Depuis, la Russie a dominé l’ordre du jour de l’OTAN et par extension, l’identité de l’organisation.

Le sommet de Vilnius ne devrait pas sonner différemment.

L’un des principaux problèmes auxquels sont confrontés les dirigeants de l’OTAN est que le sommet de Vilnius se déroule dans l’ombre du sommet de Madrid de l’année dernière. Il s’était tenu à la fin du mois de juin, à la suite du lancement des opérations militaires de la Russie contre l’Ukraine.

Le sommet de Madrid s’est tenu juste après le sabotage délibéré par Boris Johnson d’un accord de paix entre l’Ukraine et la Russie qui devait être signé le 1er avril 2023 à Istanbul. Ce sommet s’est également tenu juste après la décision US de mai 2023 d’accorder à l’Ukraine une assistance militaire d’un montant supérieur à 45 milliards de dollars dans le cadre d’un nouvel accord de “prêt-bail”.

En bref, l’OTAN a renoncé à une résolution pacifique du conflit entre la Russie et l’Ukraine et a choisi de mener une guerre par procuration – la main-d’œuvre ukrainienne étant mariée à l’équipement de l’OTAN – afin de parvenir à ce que l’ambassadrice US auprès de l’OTAN, Julianne Smith, exhortait en mai 2022 : la “défaite stratégique” de la Russie en Ukraine.

Le sommet de Madrid a donné lieu à une déclaration officielle de l’OTAN selon laquelle “la Russie doit immédiatement cesser cette guerre et se retirer de l’Ukraine”, ajoutant que “la Biélorussie doit mettre fin à sa complicité dans cette guerre”.

En ce qui concerne l’Ukraine, la déclaration de Madrid était tout aussi ferme. “Nous sommes pleinement solidaires du gouvernement et du peuple ukrainiens dans la défense héroïque de leur pays”, pouvait-on lire.

“Nous réitérons notre soutien indéfectible à l’indépendance, à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues et jusque dans ses eaux territoriales.  Nous soutenons pleinement le droit inhérent de l’Ukraine à l’autodéfense et au choix de ses propres dispositions en matière de sécurité.  Nous saluons les efforts déployés par tous les Alliés pour apporter un soutien à l’Ukraine.  Nous les aiderons de manière adéquate, en tenant compte de leur situation spécifique”.

Vouloir en toute confiance une « défaite stratégique »

L’OTAN semblait alors avoir toute confiance dans sa capacité à atteindre le résultat tant désiré, à savoir la défaite stratégique de la Russie.

Combien d’eau a coulé sous les ponts depuis un an ?

L’aide de l’OTAN à l’Ukraine s’est traduite par une contre-offensive réussie qui a contraint la Russie à se retirer du territoire autour de la ville de Kharkov, ainsi qu’à abandonner des parties de l’oblast de Kherson, situé sur la rive droite du Dniepr. Une fois les défenses russes renforcées et l’attaque ukrainienne bloquée, l’OTAN et la Russie ont commencé à se préparer à la phase suivante du conflit.

L’OTAN a entamé un effort de plusieurs mois pour équiper et former aux normes de l’OTAN neuf brigades de l’armée ukrainienne. Elle leur a ainsi fourni des chars, des véhicules blindés et des pièces d’artillerie. Les brigades ont également été formées à la guerre combinée de type OTAN.

Pour sa part, la Russie a procédé à une mobilisation partielle de ses effectifs (en rappelant quelque 300 000 réservistes et en recrutant 150 à 200 000 volontaires supplémentaires). Mobilisation aussi de son industrie de l’armement (en augmentant considérablement sa production de chars, de missiles et de munitions d’artillerie). En outre, la Russie a préparé des positions défensives renforcées conformément à une doctrine militaire mise à jour pour tenir compte des leçons tirées de la première année de « l’opération militaire spéciale » en Ukraine.

L’OTAN avait fondé de grands espoirs sur la capacité de l’armée ukrainienne à mener une contre-offensive contre la Russie. Elle devait donner des résultats perceptibles en termes de territoires reconquis et de pertes infligées à l’armée russe. Cependant, les résultats ont été lamentables jusqu’à présent : des dizaines de milliers de victimes ukrainiennes et des milliers de véhicules détruits, sans même parvenir à percer la première ligne des défenses russes.

L’un des défis auxquels l’OTAN sera confrontée à Vilnius : savoir comment se remettre de ce revers. De nombreux pays de l’OTAN commencent à manifester une “lassitude à l’égard de l’Ukraine” alors qu’ils voient leurs arsenaux dépouillés et leurs coffres vidés dans ce qui, à tous points de vue, semble être une cause perdue d’avance.

La portée et l’ampleur de la défaite militaire ukrainienne sont telles que l’attention de nombreux membres de l’OTAN semble passer de l’objectif irréaliste de vaincre stratégiquement la Russie à un objectif plus réaliste de mettre un terme au conflit d’une manière qui préservera l’Ukraine en tant qu’État-nation viable.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky participera au sommet de l’OTAN. Toutefois, ses demandes d’adhésion à l’alliance ne seront pas satisfaites – le président US Joe Biden lui-même s’est exprimé sur la question, déclarant que cela ne serait pas possible tant que l’Ukraine est en guerre avec la Russie.

Des gestes pour sauver la face

L’OTAN fera des gestes pour sauver la face, comme la création d’un Conseil OTAN-Ukraine et l’évocation d’éventuelles garanties de sécurité après le conflit. Mais en réalité, la présence de Zelensky fera plus de mal que de bien à l’Ukraine, car elle ne fera qu’accentuer le désaccord interne au sein de l’OTAN sur la question de l’adhésion de l’Ukraine et mettra en évidence l’impuissance de l’OTAN lorsqu’il s’agit de faire quoi que ce soit qui puisse modifier de manière significative la trajectoire actuelle sur le champ de bataille. Une trajectoire qui se dirige vers une défaite stratégique à la fois pour l’Ukraine et pour l’OTAN.

La vision du sommet de Madrid était celle d’une OTAN capitalisant sur sa victoire stratégique contre la Russie pour étendre ses rangs en Europe (la Finlande et la Suède ont été invitées) et pour étendre son influence dans l’océan Pacifique. Les partenaires de l’OTAN dans le Pacifique (Australie, Nouvelle-Zélande, Japon et Corée du Sud) ont été invités à Vilnius, mais les espoirs que leur présence coïncide avec l’annonce de l’ouverture d’un bureau de liaison de l’OTAN au Japon ont été anéantis par la France. Paris s’oppose à ce qu’une alliance ostensiblement axée sur la sécurité de l’Atlantique Nord s’implique davantage dans le Pacifique.

Si la Finlande a déjà rejoint l’OTAN, ce n’est pas encore le cas de la Suède, dont l’adhésion est devenue de plus en plus problématique en raison de l’opposition de la Turquie. L’annonce récente du président turc Recep Erdogan, selon laquelle la Turquie acceptera l’adhésion de la Suède à l’OTAN lorsque l’Union européenne admettra la Turquie, semble être une pilule qui empoisonne l’adhésion de la Suède, étant donné que l’Union européenne n’est pas encline à admettre la Turquie.

Le sommet de Vilnius sera très probablement défini par ces questions et par l’incapacité de l’alliance à parvenir à un consensus significatif sur la meilleure façon de les aborder.

On peut s’attendre à une pléthore de discours et de postures de la part des membres de l’OTAN, mais le fait est que la véritable mission du sommet de Vilnius est de déterminer la meilleure façon de parvenir à un atterrissage en douceur par rapport aux objectifs non atteints qui avaient été définis l’année dernière à Madrid.

La normalisation de l’échec pourrait décrire au mieux ce que l’OTAN peut accomplir à Vilnius.

Si l’OTAN n’est pas en mesure de mettre un terme à l’accumulation de revers engendrée par sa politique envers l’Ukraine, on peut s’attendre à un nouvel effondrement de la situation militaire en Ukraine et à un nouvel effondrement de la situation politique en Europe. Ce qui, de manière globale, rapprocherait l’OTAN du moment de sa disparition définitive.

Cette perspective n’est pas de bon augure pour ceux dont la tâche est de donner une image aussi positive que possible de l’OTAN. Mais l’OTAN a depuis longtemps cessé de s’occuper d’un monde basé sur les faits. Elle se laisse plutôt aller à un théâtre de l’absurde où les acteurs se trompent eux-mêmes en croyant à l’histoire qu’ils racontent, tandis que le public les regarde avec consternation.

 

Scott Ritter est un ancien officier de renseignement du corps des Marines américains qui a servi dans l’ex-Union soviétique pour mettre en œuvre les traités de contrôle des armements, dans le golfe Persique pendant l’opération Tempête du désert et en Irak pour superviser le désarmement des armes de destruction massive (ADM). Son dernier ouvrage est Disarmament in the Time of Perestroika, publié par Clarity Press.

 

Source originale: Consortium News

Traduit de l’anglais par GL pour Investig’Action

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.