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Le fascisme revient : l’appel de Caracas aux peuples du monde

27 morts. La cinquième tentative de putsch en onze ans. En cause ? De sanglantes émeutes orchestrées par l’extrême droite au Venezuela en juillet dernier, suite à la réélection de Nicolás Maduro, successeur de Chávez. Cette fois, le gouvernement a décidé de riposter en organisant un grand congrès mondial contre le fascisme et le néofascisme. Nous y étions présents pour Investig’Action. En quoi la lutte du Venezuela est-elle aussi notre lutte ?

« Je remercie Nicolás Maduro d’avoir pris l’initiative d’organiser ce congrès maintenant, il a eu un sens profond du moment historique » a déclaré l’ex-ministre de la Culture cubain, Abel Prieto. Nous devons « constituer une réponse globale, unir les noyaux de résistance. » Les1 200 congressistes, issus de 95 pays, ne sont pas venus seulement pour appuyer les institutions bolivariennes dans leur légitimité et reconnaître le vote des Vénézuéliens. Ils étaient là pour clamer : le fascisme ne passera pas ! Ni au Venezuela, ni dans aucun pays où le parrain états-unien promeut ces forces brutales pour écraser les peuples, piétiner la démocratie et préparer la guerre. Retour sur ces deux jours de conférences et tables rondes qui se sont clôturés par un appel à l’action.

Connaître l’histoire pour comprendre et agir aujourd’hui

Ce n’est pas un hasard si le gouvernement de Maduro a choisi l’anniversaire du coup d’État contre Allende pour tenir ce congrès, les 10 et 11 septembre. Nous avons revu les images de l’assaut pinochetiste mais aussi celles de la violence fasciste dans l’Allemagne nazie et l’Italie mussolinienne, et celles des émeutes meurtrières qui émaillent régulièrement le Venezuela depuis l’accession au pouvoir de Chávez en 1998. Une manière de montrer que les recettes employées n’ont rien de bien neuf en temps de crise du capitalisme pour briser les espoirs populaires d’un monde meilleur et maintenir ce système de prédation coûte que coûte. « Le fascisme distord la mémoire » mettait en garde Abel Prieto, d’où l’importance de transmettre l’histoire.

Vivons-nous un retour du fascisme ? Il faut pour y répondre s’armer d’une bonne compréhension de ce que c’est. D’emblée, le dirigeant péroniste Marcelo Koenig nous a interpelés. « La définition du fascisme a été posée en Europe à partir de sa propre expérience. La prendre pour unique référence constitue donc quelque part un héritage colonial. » Le nationalisme est ainsi trop souvent considéré, à tort, comme un marqueur du fascisme. C’est vrai dans les pays du centre impérialiste, où le nationalisme des classes dominantes se traduit par l’oppression des autres pays. Dans les pays périphériques, le nationalisme est synonyme de lutte « contre la botte impérialiste ». Ainsi les leaders fascistes du sous-continent latino-américain ne se sont jamais posés en défenseurs de leur pays mais en ont toujours appelé, au contraire, à l’intervention ou au patronage de l’oncle Sam. Et c’est encore le cas aujourd’hui.

L’analyse montre en réalité que les néo-fascismes actuels ne diffèrent du fascisme historique que sur des éléments de discours, pouvant d’ailleurs varier selon les pays. De l’avis de nombreux intervenants, le fascisme reste dans son essence « l’avant-garde extrémiste du capitalisme » à l’ère impérialiste, la « carte ultime quand la crise du capital s’intensifie ». C’est pourquoi nous voyons ressurgir la bête aujourd’hui. C’est d’ailleurs l’ensemble du système politique qui pave la voie aux forces fascistes quand les partis bourgeois, acculés, ne peuvent plus faire aucune concession aux demandes populaires. C’est particulièrement visible actuellement en France.

La fonction du fascisme, a précisé la politiste états-unienne Jodi Dean, est « d’empêcher le mécontentement de se diriger contre le capitalisme en réorientant les griefs vers des groupes honnis. Les groupes changent mais ce qui reste constant c’est l’anticommunisme. C’est ce qui unit le fascisme historique et les expériences et courants neofascistes actuels. Ils bloquent la lutte des classes pour défendre le capital financier. » Comme l’a rappelé en effet Jorge Rodríguez, le président de l’Assemblée vénézuélienne, « le discours “Chávez va te prendre ta maison, ta voiture. Il va te prendre un de tes fils” a été une constante ». Exactement les mêmes ressorts que contre Castro, les bolchéviks et les partis communistes en Europe. Mais aujourd’hui, les attaques atteignent un niveau supérieur, car elles revêtent un caractère mondial, a-t-il ajouté.

La globalisation de la menace néo-fasciste et le rôle des Etats-Unis

Il ne fait aucun doute pour les intervenants que l’impérialisme nord-américain est la source du fascisme aujourd’hui. Il se finance par les « ONG crées par les Etats-Unis ou l’Union européenne. Elles attaquent, persécutent et font des coups d’Etat. Leurs méthodes sont capables de convertir des assassins en victimes, en défenseurs des droits humains » assène Diosdado Cabello, le Premier ministre vénézuélien et vice-président du Parti socialiste Unifié du Venezuela (PSUV de Maduro). “Depuis Lenine, il y a eu des changements importants. Différents impérialismes se sont consolidés en un seul empire dirigé par les Etats-Unis. Les pays qui tentent de résister au mécanisme de super-exploitation, qui refusent le statut de néocolonie doivent affronter des guerres hybrides, des guerres juridiques (lawfare) et du sabotage. Après des décennies de guerres sans fin, l’empire US s’affaiblit. Nous sommes dans une période d’inter-règne” analyse Jodi Dean. “C’est une grande opportunité pour la gauche anti-impérialiste mais aussi une période de confusion car l’extrême-droite se présente comme la voix du changement.” 

Une vision que partage la vice-présidente du Venezuela, Delcy Rodríguez : « Dans 17 pays du continent américain il y a des partis ou leaders fascistes. Mais c’est pire encore en Europe où ils existent dans 21 pays. L’Europe s’enfonce dans la crise à cause de sa subordination aux Etats-Unis et ses peuples s’appauvrissent. Il n’y a plus de contradiction inter-impérialiste mais une subordination. » Cette mutation explique d’ailleurs que les partis fascistes européens, une fois au pouvoir, s’accomodent de cette Union européenne – sous domination états-unienne – qu’ils prétendaient pourtant combattre pour gagner des voix. Car les bases économiques et politiques d’un impérialisme national ont été grandement sapées. « Contre l’Otan, les Etats-Unis et leur guerre contre la Russie et la Chine, il faut s’unir – a-t-elle poursuivi. C’est une bataille pour l’humanité, pour le bonheur et pour la survie. C’est une lutte globale de tous les peuples libres. Si le fascisme arrivait à prendre tout l’espace, nous ne pourrions plus respirer. La tâche est dure mais il ne peut y avoir de tâche plus humble que la défense du genre humain. »

Les réseaux sociaux avantagent les discours néo-fascistes

Depuis des mois (et en prolongement de campagnes idéologiques incessantes depuis des années), des millions de dollars ont été investis dans une campagne de communication pour balayer Maduro, a rappelé la vice-présidente de l’Etat bolivarien. Une opération « dirigée par la CIA et les Etats-Unis ». Mais le plan ne s’est pas arrêté à la seule dimension psychologique. 136 institutions publiques vénézuéliennes ont été victimes de cyberattaques lors des élections, dont le système électoral lui-même. 36 millions d’attaques par minute ont été comptabilisées ! Ce qui a empêché le Conseil national électoral d’annoncer rapidement les résultats et permis à l’extrême droite de s’empresser de proclamer les siens, en violation totale des institutions. Un scénario bien rodé qui a fonctionné grâce à la complicité de nos médias occidentaux qui ont totalement passé cet aspect sous silence !

Mais les responsables vénézuéliens ont mis plus particulièrement l’accent sur le rôle des réseaux sociaux qui ont permis de démultiplier le pouvoir d’influence de l’extrême-droite fasciste. Les appels à tuer des chavistes y circulaient librement. Comment expliquer cette « normalisation de la haine, de la violence et de la mort ? » Delcy Rodríguez n’a pas mâché ses mots quand elle a décrété qu’Elon Musk faisait figure de leader du fascisme international. Il est vrai que le milliardaire états-unien, à la tête de l’empire communicationnel X et fort de près de 200 millions de « followers », a ouvertement promu Milei, Trump et Bolsonaro, et menacé personnellement Maduro. Le positionnement de ces milliardaires propriétaires de techno-médias a un impact considérable dans la mesure où ils se présentent comme « transgressifs et contre le système », a souligné Jodi Dean.

« L’impérialisme technologique » a fait l’objet d’une conférence en plénière de la chercheuse états-unienne, spécialiste du techno-fascisme, et d’une table ronde dédiée à laquelle ont notamment participé Victor Ternovsky, journaliste du média public russe Sputnik, Alina Duarte, journaliste indépendante mexicaine et Alan MacLeod, journaliste écossais collaborateur à MintPress News et spécialiste, entre autres, de la cyberguerre via les réseaux sociaux. De quoi s’agit-il ?
« Dans les années 1990, Internet était associé à la démocratie mais l’infrastructure a vite été privatisée. Et les liens entre la Silicon Valley et les services de renseignement américains sont très étroits » a assuré Jodi Dean. Les plus grandes entreprises technologiques mondiales, qui sont quasiment toutes états-uniennes et dont la capitalisation boursière est supérieure aux PIB d’un très grand nombre de pays dans le monde, peuvent ainsi mettre leurs outils au profit de la surveillance de l’empire US. Elles en sont « des extensions » pour Alan MacLeod, dont nous publions parallèlement le remarquable exposé. Il a ainsi rappelé que Google était au départ un projet de la CIA et que l’actuel responsable de la « désinformation » – c’est-à-dire de la censure – de Meta (Facebook, Instagram et WhatsApp) provient de la CIA, comme une dizaine d’autres membres de son service.

Pour Jodi Dean, « nous sommes devenus dépendants de plateformes sur lesquelles nous n’avons aucune prise. Et toute l’information qui nous est extorquée sert à renforcer notre propre exploitation. » C’est particulièrement vrai de ce qu’on a coutume d’appeler les « réseaux sociaux ». Un terme neutre, comme s’il s’agissait de vastes réseaux d’échange mondiaux, dénués de centre. Ces multiples plateformes, qui diffèrent par leurs caractéristiques techniques, donnent une illusion de diversité. Mais il faut prendre conscience qu’à l’exception notable de Tik Tok, et plus récemment de Telegram, toutes sont états-uniennes. Une caractéristique qui, hors du monde occidental, est loin de passer inaperçue. Car ces plateformes obéissent aux lois des Etats-Unis. Ainsi quand le général Qassem Souleimani a été assassiné, c’est une immense partie du peuple iranien qui a été empêchée d’exprimer son deuil sur ces réseaux d’apparence privée. Leur parole était censurée pour apologie du terrorisme. Et le Nicaragua, le Brésil et le Venezuela offrent trois exemples très récents d’utilisation de Facebook ou X pour tenter d’inverser le résultat d’élections et renverser des gouvernements indésirables aux yeux des intérêts des multinationales US.

« La communication est une grande tranchée qu’il faut occuper » a imagé Alina Duarte. Les réseaux sociaux sont un des terrains de la lutte politique. Mais c’est un terrain sur lequel l’extrême-droite fasciste jouit malheureusement d’un double avantage analyse Jodi Dean. D’abord l’affinité idéologique de classe avec leurs propriétaires milliardaires, mais plus insidieusement un avantage « technique ». L’intérêt des plateformes est de générer le plus haut degré d’engagement pour vous garder captifs. Or de l’aveu même d’un haut dirigeant de Facebook, les discours d’extrême-droite sont toujours plus « engageants » puisqu’ils parlent à nos instincts primitifs comme la peur, a-t-elle rapporté. Le cadrage irrationnel de l’extrême-droite a un avantage algorithmique sur les discours de la gauche, qui en appellent généralement à un raisonnement rationnel.

Chacun des intervenants a esquissé des solutions et toutes se rejoignent. L’idéal serait de décentraliser Internet en créant des plateformes alternatives issues du « sud global » (comme pour tous les services technologiques de base d’ailleurs : paiements, e-commerce, restauration à domicile, etc). « La solidarité au sein de l’ALBA et d’autres cercles entre gouvernements de gauche doit aller sur le terrain des médias » a encouragé la journaliste mexicaine. Ce congrès pourra-t-il être le point de départ pour de tels partenariats inter-étatiques ? Une suggestion que les intervenants ont lancé comme une bouteille à la mer, mais qu’ils jugent pour l’instant hors d’atteinte.

« On l’a vu au Venezuela, on l’a vu en Russie, les réseaux sociaux occidentaux autorisent les messages de haine. Leurs algorithmes les favorisent. Contre cela il y a plusieurs lignes d’action possibles – m’a confié Victor Ternovsky après la conférence. Premièrement les Etats sérieux et responsables doivent s’occuper de leur espace médiatique national. On ne peut pas le laisser aux mains de géants technologiques occidentaux, qui sont étrangers à la réalité du pays. C’est-à-dire qu’il doit y avoir des médias d’État qui parlent aux citoyens. Deuxièmement les réseaux occidentaux doivent respecter les lois nationales. S’ils incitent à la violence, s’ils propagent des informations qui peuvent affecter la sécurité de l’État, la cohabitation au sein de la population, s’ils s’emploient à la haine au lieu de contribuer à la paix, alors ils n’ont rien à faire dans ce pays. Je ne dis pas qu’il faut les censurer. S’ils respectent les lois du pays, très bien, sinon qu’ils s’en aillent. Troisièmement, le temps est venu de créer des alternatives. C’est devenu insupportable. Ces plateformes censurent toutes les voix discordantes. Pour le moment certains pays le font au niveau national. La Russie a créé une plateforme de vidéo alternative à Youtube tandis que Youtube est toujours plus ralenti par les autorités, du fait de leur non-respect de la législation nationale. Mais l’idéal évidemment serait d’avoir un réseau commun à tous les pays en désaccord avec le fascisme, à un niveau international. Mais là je parle du futur. » « Le contrôle étatique de l’espace médiatique » : une approche qui évoque d’emblée l’autoritarisme chez nous et qui revêt pourtant la forme de l’évidence dans les pays qui souffrent de l’impérialisme. « L’espace radio-électrique ne peut pas être envahi par des forces privées. Il faut développer plus de projets comme TeleSUR » a également revendiqué Alina Duarte.

Quel rôle de l’Europe dans la bataille contre le fascisme et pour la paix ?

En dehors des conférences, participer à ce congrès a aussi permis d’échanger avec des militants des quatre continents – responsables de partis politiques, syndicalistes, juristes, chercheurs et activistes. Beaucoup de latino-américains bien-sûr, mais aussi d’importantes délégations des États du Sahel par exemple, ou de Palestine. L’Europe semblait peu représentée. L’occasion de confirmer un double constat. Premièrement, les avant-postes de la bataille pour l’humanité, contre la résurgence du fascisme et du danger de troisième guerre mondiale se situent aujourd’hui hors du monde occidental. Deuxièmement, la lecture des événements mondiaux atteste d’une césure drastique entre la gauche européenne – car il existe aux Etats-Unis des courants anti-impérialistes beaucoup plus forts que chez nous – et celle du reste du monde. J’ai été moi-même frappée dès l’ouverture du congrès. Outre le peuple palestinien qui a bien sûr été chaleureusement encouragé pour sa lutte héroïque contre l’un des foyers fascistes les plus virulents de la planète, le seul pays à avoir eu un traitement de faveur lors de l’annonce de la présence des différents pays représentés a été… la Russie. Un grand applaudissement a ainsi été sollicité pour le « peuple russe », signifiant par là que l’intervention en Ukraine est vue comme une riposte antifasciste. Deux membres du gouvernement russe sont également intervenus en vidéo à différents moments du congrès.

D’Europe, je n’ai rencontré que des Grecs du mouvement Unité populaire, fondé par d’anciens de Syriza qui ont refusé la capitulation. Kostas Isychos, ex-ministre-adjoint de la Défense du gouvernement Tsípras me confiait ainsi : « L’Europe ne doit pas être eurocentrique dans son mouvement anti-impérialiste. Elle doit occuper peut-être le 2e ou le 3e plan. Parce que le droit moral de conduire ces mouvements, ce sont les Africains, les Latino-américains et les peuples d’Asie qui l’ont. Nous devons être les soldats. Nous ne devons pas être les généraux. » Une chose est sûre : hors du centre impérialiste occidental, l’aggravation fascisante de l’agression impérialiste se traduit par le danger palpable de confiscation de la démocratie, de guerre civile, de putschs et d’ingérences militaires, voire d’extermination comme à Gaza. Tandis qu’en Europe ou aux États-Unis, le danger est encore relativement circonscrit ou plus lointain. Il est donc plus difficile d’en prendre conscience. Mais comme le signalait le premier ministre vénézuélien, Diosdado Cabello, « le fascisme se déguise et se cache jusqu’à ce qu’il puisse sauter le pas et montrer qui il est. Tout l’enjeu est de l’identifier tôt. » Espérons que les forces populaires d’Europe entreront dans la bataille avant qu’il ne soit trop tard et contribueront à affaiblir la bête, du dedans. La porte est en tout cas ouverte : le congrès s’est clôturé par le lancement d’une grande internationale contre le fascisme, pour la paix et pour l’humanité. Au-delà de la seule solidarité morale, il y a urgence à bâtir une solidarité pratique et concrète permettant de renforcer partout la résistance des peuples.


Source: Investig’Action

 

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