This handout photo courtesy of the US Department of Defense taken on December 14, 2021 shows the US Army conducting live fire tests of the Army Tactical Missile System (ATACMS) at the White Sands Missile Range in New Mexico. - US President Joe Biden has authorized Ukraine to use long-range American missiles, such as ATACMS, against military targets inside Russia, a US official told AFP on condition of anonymity, confirming media reports. (Photo by John Hamilton / DoD / AFP) / RESTRICTED TO EDITORIAL USE - MANDATORY CREDIT "AFP PHOTO / JOHN HAMILTON / US DEPARTMENT OF DEFENSE" - NO MARKETING NO ADVERTISING CAMPAIGNS - DISTRIBUTED AS A SERVICE TO CLIENTSAFP PHOTO / JOHN HAMILTON / US DEPARTMENT OF DEFENSE

La victoire de Trump et les missiles de Biden : quelles suites pour la guerre en Ukraine ?

Donald Trump avait déclaré qu’il lui faudrait un jour pour mettre fin à la guerre en Ukraine. Et il a gagné les élections. Mais avant qu’il ne débarque à la Maison-Blanche en janvier 2025, c’est Joe Biden qui reste aux manettes. Et voilà qu’il vient d’autoriser l’Ukraine à utiliser des missiles à longue portée pour frapper le territoire russe. C’était une ligne rouge tracée par Moscou. Yves Smith analyse ces derniers rebondissements pour envisager les suites possibles du conflit. (I’A)

Interrogés alors que les élections US étaient en cours, les responsables russes ont déclaré à plusieurs reprises que l’issue du scrutin n’avait pas beaucoup d’importance pour eux, car ils estimaient que cela ne changerait rien à la situation en Ukraine ni aux relations entre les États-Unis et la Russie. De leur côté, les dirigeants européens, en colère et paniqués, ont clairement indiqué qu’ils pensaient le contraire. Quant à Joe Biden, il a autorisé le week-end dernier de manière pétulante et imprudente des frappes de missiles longue portée sur le territoire russe. Il franchit ainsi une véritable ligne rouge, mettant les États-Unis directement en guerre contre la Russie. Ce qui marque tout de même une certaine différence dans les élections US, même si cette décision n’empêchera pas la Russie de s’imposer en Ukraine. Cela ne devrait même pas la ralentir sur cette voie.

Moscou avait déjà déclaré que si Washington donnait son feu vert à de telles frappes, les installations US partout dans le monde deviendraient des cibles. La menace ayant été brandie depuis longtemps, la Russie a probablement déjà une idée de là où elle pourrait faire le plus de dégâts.

Nous examinerons brièvement cette démonstration de belligérance étasunienne que Trump pourrait annuler dès son entrée en fonction. Et nous analyserons les moyens par lesquels le nouveau président, une fois revenu au pouvoir, pourrait se démarquer.

L’autorisation des missiles à longue portée montre que l’attrition constante de la Russie et les avertissements parfois très sévères ont réussi à empêcher les États-Unis et l’Ukraine de faire quoi que ce soit de trop téméraire – à l’exception de la destruction du gazoduc Nord Stream par les États-Unis et du barrage de Kakhovka par l’Ukraine, qui, à long terme, sont en fait préjudiciables à leurs propres intérêts. Comme nous pouvons le constater, la perspective que Trump accélère la fin de la guerre a monopolisé beaucoup d’attention et produit une forme de flottement.

Néanmoins, la Russie reste maîtresse de l’étendue du conflit, en termes d’occupation territoriale. Reste à voir si l’élection de Trump et son impact sur le comportement de l’Union européenne pourraient finir par modifier les calculs de la Russie.

Que Trump parvienne ou pas à conduire l’UE à soutenir la neutralité de l’Ukraine – et l’intégration éventuelle de l’Ukraine semble vouée à l’échec – la Russie devra malgré tout composer avec une Ukraine occidentale peu encline à mettre fin à la guerre. Or, prendre le contrôle du pays impliquerait des coûts de subordination et de reconstruction beaucoup plus élevés. Cela pourrait également fâcher certains alliés économiques de la Russie au sein des BRICS. D’un autre côté, laisser l’Ukraine occidentale livrée à ses propres moyens lui laisserait le champ libre pour adhérer à l’OTAN. Et l’alliance militaire pourrait y installer des missiles, ne serait-ce que par dépit.

Comme nous le verrons, un autre scénario pour la Russie consisterait à s’inspirer du modèle des Alliés pour l’occupation de l’Allemagne à la fin de la Seconde Guerre mondiale[1]. Ce qui lui permettrait d’améliorer son image auprès de ses compagnons d’armes.

Plus loin, nous évoquerons également une voie de sortie que le gouvernement Trump pourrait finir par ouvrir pour mettre fin au conflit. Mais nous pensons que les chances qu’elle se concrétise sont extrêmement faibles. L’une des solutions au problème « Comment assurer de manière crédible la neutralité de l’Ukraine face à la mauvaise foi persistante de l’Occident collectif ? » serait que la Turquie et la Hongrie fournissent des garanties de sécurité. En ayant les plus grosses forces otaniennes à proximité du théâtre, la Turquie aurait certainement un rôle à jouer. Quant à la Hongrie, elle pourrait être incluse dans le processus ou même se porter volontaire, car son président Orban a déjà discuté des perspectives de paix à la fois avec Zelensky, Poutine, Trump et Xi Jinping. De plus, tant la Turquie que la Hongrie pourraient opposer leur véto à de futurs efforts visant à intégrer au sein de l’OTAN une Ukraine rabotée.

Si deux membres de l’alliance atlantique garantissent la neutralité de l’Ukraine, ils devraient (logiquement) voter contre toute adhésion de ce pays à l’OTAN.

Nous rappellerons ci-dessous la quasi-impossibilité d’une issue négociée ; même le fin diplomate Alexander Mercouris a conclu que la Russie imposera ses conditions. Mais s’il existait un moyen pour Moscou de ne pas devoir occuper l’Ukraine ou de ne pas laisser trainer l’Ukraine occidentale comme une plaie infectée, la solution serait sans doute préférable à tous points de vue[2].

Examinons d’abord l’escalade des missiles à longue portée des États-Unis, puis jetons un coup d’œil plus large.

Les États-Unis autorisent les frappes de missiles à longue portée en Russie

C’est le New York Times qui a révélé l’affaire. Et il l’a bizarrement justifiée par la présence supposée de troupes nord-coréennes pour défendre les positions russes à Koursk. Ce qui constituerait une escalade. Sauf que pour l’heure, cette présence n’est pas confirmée et pourrait relever d’une invention de la propagande ukrainienne.

L’article du New York Times reconnaît malgré tout que les l’autorisation de frappes de missiles à longue portée n’aidera pas beaucoup l’Ukraine :

Les responsables ont déclaré qu’ils ne s’attendaient pas à ce que ce changement modifie fondamentalement le cours de la guerre, mais ils ont ajouté que l’un des objectifs de ce changement de politique était d’envoyer un message aux Nord-Coréens pour leur faire comprendre que leurs forces étaient vulnérables et qu’ils ne devaient pas en envoyer davantage.

N’oublions pas que l’Ukraine dépend des États-Unis tant pour l’exploitation des missiles (des ATACMS dans ce cas-ci), que pour le ciblage. Si bien que les Russes n’ont pas tout à fait tort de présenter ces attaques comme des attaques étasuniennes.

Scott Ritter analyse les implications de cette escalade [3]:

Le gouvernement Biden vient de donner à l’Ukraine le feu vert pour utiliser des missiles ATACMS fabriqués et fournis par les États-Unis contre des cibles russes à l’intérieur du territoire russe, y compris Koursk.

Il convient de noter que les États-Unis, de concert avec l’OTAN, ont contribué à la planification et à l’exécution de l’incursion ukrainienne à Koursk. Aujourd’hui, alors que les forces ukrainiennes sont repoussées par les forces russes dans cette région, la décision d’autoriser l’Ukraine à utiliser des missiles ATACMS à Koursk ne laisse planer aucun doute sur le fait que les États-Unis participent directement à l’invasion et à l’occupation du sol russe par les forces ukrainiennes mandatées par l’OTAN.

En bref, les États-Unis sont désormais en guerre contre la Russie.

C’est la position adoptée par la Russie le 13 septembre, lorsque le gouvernement russe a mis en garde le gouvernement Biden contre l’autorisation donnée à l’Ukraine d’utiliser les ATACMS contre le sol russe.

La décision du gouvernement Biden reflète un sentiment croissant de désespoir de la part de l’Ukraine, de l’OTAN et des États-Unis, qui estiment que la guerre avec la Russie atteint le point de rupture, avec une victoire décisive de la Russie pratiquement garantie.

L’axe Ukraine/OTAN/États-Unis est également préoccupé par les résultats des élections US qui ont vu Donald Trump remporter une victoire décisive sur un programme visant à mettre fin à la guerre en Ukraine et à éviter une escalade avec la Russie.

Le gouvernement Biden semble avoir pris cette décision sur la base de deux hypothèses analytiques spécifiques.

Premièrement, la Russie bluffe et ne cherchera pas l’escalade.

Deuxièmement, cette escalade de la part de l’axe Ukraine/OTAN/États-Unis va piéger le futur gouvernement Trump en l’obligeant à maintenir le soutien à l’OTAN et à l’Ukraine.

Mais le gouvernement Biden a probablement fait une grave erreur de calcul.

La Russie n’acceptera pas cette escalade sans rien faire.

La réponse de la Russie sera décisive et pourrait inclure des frappes sur des cibles en dehors de l’Ukraine.

De plus, Trump ne veut pas d’une guerre avec la Russie, qu’elle soit héritée ou non. Plutôt que d’accepter cette escalade comme un fait accompli, l’équipe Trump informera probablement l’OTAN et l’Ukraine des conséquences néfastes de l’escalade une fois que Trump aura pris ses fonctions le 20 janvier.

Ce dernier point est de la plus haute importance.

Si Trump parvient à se démarquer de la décision d’escalade prise par Biden, la Russie pourrait tempérer sa riposte, évitant ainsi le type d’escalade tournante qui conduirait probablement à une guerre nucléaire.

Il s’agirait d’une action sans précédent de la part de Trump, d’une ingérence directe dans les politiques d’un président toujours en exercice, même s’il est boiteux.

Mais la survie de l’Amérique et du monde est en jeu.

Espérons que Trump restera fidèle à ses promesses et prendra des mesures pour éviter la guerre.

La paix comporte des problèmes pour la Russie

Il y a fort à parier que les efforts de Biden pour saboter Trump ne changeront pas grand-chose en fin de compte. Peut-être même qu’ils profiteront à la Russie, en lui permettant par exemple de justifier des représailles au Moyen-Orient.

Cependant, Moscou n’a pas de réponse évidente à apporter à l’Ukraine, même si sa position continue de s’améliorer à mesure qu’elle affaiblit l’Ukraine et les capacités de combat des États-Unis et de l’OTAN.

Sans vouloir refaire l’histoire, les États-Unis sont stratégiquement à bout de souffle. Leur sous-estimation de la Russie les a conduits à demander à leurs alliés, y compris à ceux qui ne se trouvaient même pas sur le théâtre des opérations, d’envoyer des armes à l’Ukraine. Ce qui a eu pour effet de réduire les stocks de chacun d’entre eux à de faibles niveaux. L’approvisionnement continu de l’Ukraine provient désormais d’une nouvelle production globalement inadéquate, à laquelle s’ajoutent des ponctions dans d’autres secteurs.

Une analyse objective et conventionnelle de la situation actuelle pointe deux facteurs qui pourraient épuiser l’Ukraine avant même que l’écart de puissance de feu avec la Russie ne rende impossible la poursuite des combats. Tout d’abord, le New York Times a rapporté début novembre que selon les estimations du Pentagone, l’Ukraine disposait de suffisamment d’effectifs pour continuer à se battre pendant encore six à douze mois.

Ensuite, les pénuries d’électricité au cours de l’hiver pourraient constituer un deuxième point de rupture, non seulement pour l’armée, mais aussi pour les opérations gouvernementales et la société civile. La Niña risque de provoquer un hiver froid en Europe. La Russie vient de lancer une nouvelle série de frappes punitives sur le réseau électrique. Et lorsqu’un réseau est endommagé, l’augmentation de la demande (ici par temps froid) peut également provoquer des ruptures supplémentaires.

Notons en outre l’antipathie ouvertement déclarée de Trump envers l’OTAN, ou du moins envers les dépenses US pour soutenir l’alliance. Elle complique aussi la poursuite du projet Ukraine. Trump a promis de « mettre fin à la guerre en un jour » ou même d’y mettre un terme avant son entrée en fonction. Certains suggèrent que pour tenir cette promesse, il pourrait stopper l’implication des États-Unis, c’est-à-dire couper le robinet des financements et des armes. Pour les électeurs étasuniens, la guerre serait terminée. Quant à l’OTAN, elle a admis qu’elle aurait des difficultés à poursuivre la guerre si les États-Unis interrompaient leur approvisionnement.

Les faucons anti-russes de Washington et les gouvernements européens craignent que Trump se désengage du conflit. En témoigne la ruée vers les mesures « Trump-proof » [résistant à Trump]. Mais cela intervient alors que les économies européennes sont faibles et que les dépenses publiques pour les filets de sécurité sociale sont déjà sous pression. Il n’est pas difficile d’affirmer que le gouvernement allemand est tombé à cause d’une dispute sur les dépenses en Ukraine.[4] Le ministre des Finances Christian Lindner a refusé de suivre les pressions du Premier ministre Olaf Scholz pour des dépenses plus ambitieuses. Selon Linder, il lui demandait de mettre sur pause le « frein à l’endettement » constitutionnel. Scholz a fini par limoger Linder et ce dernier a retiré son parti de la coalition, ce qui va entraîner rapidement la tenue d’élections anticipées.

Quoi qu’il en soit, la Russie reste toujours confrontée au même dilemme. Par prudence, Poutine ne souhaite probablement pas s’emparer de l’Ukraine plus que nécessaire. Mais l’objectif principal de la Russie est de garantir la neutralité de son voisin. Et si elle ne laisse ne fût-ce qu’un petit bout d’Ukraine, l’Europe ne manquera pas de s’en mêler, ne serait-ce que par blessure d’orgueil. Et si les démocrates reviennent à la Maison-Blanche en 2028, ils se joindront à eux.

Quid d’une occupation ?

Une résolution durable semble donc exiger que la Russie soumette l’ensemble de l’Ukraine, même si cela devait contredire l’une des promesses antérieures de Poutine, à savoir que la Russie n’irait pas là où elle n’est pas désirée. Bien entendu, en fonction de la manière dont les choses se déroulent, par exemple en cas d’effondrement du gouvernement, la Russie pourrait se positionner comme stabilisateur d’une situation autrement chaotique et anarchique. Dans tous les cas, elle chercherait à combler n’importe quel vide si cela est possible.

Mais « les solutions de marché » peuvent se révéler « loin d’être idéales ». Rappelons comment la Russie a intégré la Crimée et quatre oblasts ukrainiens en y organisant notamment des referendums. Malgré les protestations occidentales, l’adhésion qui s’y est manifestée était crédible, car ces régions avaient historiquement soutenu des candidats nationaux favorables à la Russie. Par ailleurs, ce mécanisme compte pour établir la légitimité de Moscou auprès de ses alliés qui ne sont pas encore tout à fait à l’aise avec le fait que la Russie continue de s’approprier une part de plus en plus importante de l’Ukraine.

D’autres oblasts, à la fois ethniquement russes et stratégiquement importants comme Kharkiv et Odessa, seraient également susceptibles de voter en faveur de l’adhésion à la Russie en cas d’effondrement militaire ou politique de l’Ukraine ou d’un scénario permettant à la Russie de forcer une reddition.[5]

Mais quel modèle pourrait suivre Moscou pour gérer les territoires conquis et pas vraiment amicaux ? John Helmer en a suggéré un qui, en poussant plus loin, pourrait déboucher sur une grande zone sans électricité. Elle ressemblerait à un « Territoire non organisé » du Maine, avec une très faible densité de population composée presque exclusivement d’ « hommes à barbe », c’est-à-dire de survivalistes endurcis.

Une autre piste est la manière dont les Alliés ont traité l’Allemagne après sa capitulation sans condition lors de la Seconde Guerre mondiale. J’avoue n’avoir fait que commencer à me pencher sur ce sujet et je serais heureux de recevoir des liens vers des études universitaires de qualité. Toutefois, un rapide coup d’œil sur Wikipédia montre quelques précédents qui pourraient être utiles à la Russie, comme celui d’une occupation de dix ans[6]:

À l’ouest, l’occupation s’est poursuivie jusqu’au 5 mai 1955, date à laquelle le traité général [Deutschlandvertrag] est entré en vigueur. Cependant, lors de la création de la République fédérale en mai 1949, les gouverneurs militaires ont été remplacés par des hauts-commissaires civils, dont les pouvoirs se situaient entre ceux d’un gouverneur et ceux d’un ambassadeur. Lorsque le Deutschlandvertrag est devenu une loi, l’occupation a pris fin, les zones d’occupation occidentales ont cessé d’exister et les hauts-commissaires ont été remplacés par des ambassadeurs normaux. L’Allemagne de l’Ouest est également autorisée à se doter d’une armée et la Bundeswehr, ou Force fédérale de défense, est créée le 12 novembre 1955.

Et :

Malgré l’octroi de la souveraineté générale aux deux États allemands en 1955, aucun gouvernement allemand n’a joui d’une souveraineté totale et illimitée en vertu du droit international jusqu’à la réunification de l’Allemagne en octobre 1990. Bien que l’Allemagne de l’Ouest soit effectivement indépendante, les Alliés occidentaux ont conservé une compétence juridique limitée sur « l’Allemagne dans son ensemble » en ce qui concerne l’Allemagne de l’Ouest et Berlin. Dans le même temps, l’Allemagne de l’Est est passée du statut d’État satellite de l’Union soviétique à une indépendance d’action croissante, tout en continuant à s’en remettre à l’autorité soviétique pour les questions de sécurité. Les dispositions du traité sur le règlement définitif en ce qui concerne l’Allemagne, également connu sous le nom de « traité deux plus quatre », accordant des pouvoirs souverains à l’Allemagne, ne sont devenues loi que le 15 mars 1991, après que tous les gouvernements participants aient ratifié le traité. Comme le prévoyait le traité, les dernières troupes d’occupation ont quitté l’Allemagne lorsque la présence russe a pris fin en 1994, bien que les forces belges en Allemagne soient restées sur le territoire allemand jusqu’à la fin de l’année 2005.

Ces approches ne réduiraient pas les coûts humains et matériels pour la Russie, qui connaît déjà de graves pénuries de main-d’œuvre. Mais elles permettraient de disposer d’un généreux délai pour régler les problèmes.

Des négociations ?

Malgré le départ de Biden – qui détestait Poutine à l’extrême – et l’arrivée de Trump – imbu de son image de maître négociateur, il est difficile d’imaginer comment les négociations pourraient démarrer et encore moins aboutir à quoi que ce soit. Certes, toutes les spéculations sur Trump essayant de négocier avec Poutine ou de faire pression pour obtenir des pourparlers augmenteront les attentes des alliés de la Russie au sein des BRICS. Car la plupart n’apprécient pas ce conflit, même s’ils ont accepté les justifications russes. Poutine sera donc soumis à une pression encore plus forte pour qu’il tienne sa promesse souvent formulée d’entamer des pourparlers s’il était approché.

Cependant, de nombreux Russes, si ce n’est la plupart, sont persuadés que négocier avec l’Occident fourbe, c’est demander à être trahi. Le comportement ouvertement hypocrite de l’Amérique en Palestine et avec la Chine (entre autres exemples) ne cesse de confirmer ces inquiétudes.

Il est intéressant de noter que Poutine semble avoir abandonné l’idée de « parler au joueur d’orgue [malhonnête] plutôt qu’à son singe ». En témoigne son récent entretien avec le chancelier allemand Olaf Scholz. Extrait du communiqué du Kremlin :

S’exprimant sur les perspectives de règlement politique et diplomatique du conflit, le président russe a souligné que la partie russe n’avait jamais rejeté et était toujours ouverte à la reprise des pourparlers interrompus par le régime de Kiev.

Poutine vient donc de poser un jalon sur le processus, et pas seulement pour la forme. De plus, les accords avortés d’Istanbul ne seront désormais qu’un point de départ qui sera ajusté aux nouvelles réalités du terrain (pas d’adhésion à l’OTAN, limites imposées à l’armée ukrainienne, et maintenant intégration des quatre oblasts à la Russie). La procédure prévoit en outre que la Russie négocie avec l’Ukraine et pas avec les États-Unis ou l’OTAN. Non pas que l’alliance atlantique ne puisse pas réellement négocier. Mais derrière ces apparences de solidité, il s’agit d’une coalition très faible où chaque État membre conserve son autonomie sur pratiquement tous les points, y compris celui de répondre ou pas à une violation de l’article 5. C’est pourquoi, au-delà des pressions exercées par leurs pairs et des manœuvres de Washington, chaque État a décidé indépendamment de l’envoi éventuel d’armes en Ukraine.

Cette exigence du processus, qui consiste à traiter avec l’Ukraine, tourne à l’avantage de la Russie de multiples façons :

  • Parce qu’ils ont été sabotés, les accords d’Istanbul n’ont pas conduit la Russie à un cessez-le-feu. Elle a donc poursuivi la guerre. Ainsi, même dans l’hypothèse lointaine où des discussions formelles seraient entamées, la Russie peut continuer à attaquer l’Ukraine (bien qu’à un rythme probablement moins agressif pour des raisons d’optique).
  • Zelensky est opposé aux négociations. Et s’il pensait à changer d’avis, les fortes probabilités qu’il soit rapidement assassiné par les Banderistes devraient le calmer.  
  • La Russie a de véritables objections procédurales qui doivent être levées avant d’entamer des pourparlers avec l’Ukraine. Tout d’abord, il y a l’amendement constitutionnel selon lequel l’Ukraine ne négociera pas avec la Russie tant que Poutine sera président. Cet amendement doit être annulé. Deuxièmement, Zelensky ne peut pas prendre d’engagements contraignants parce qu’il n’est pas le dirigeant légitime de l’Ukraine.
  • Même si les États-Unis et l’OTAN parviennent à soudoyer Zelensky pour qu’il parte et que l’Ukraine organise des élections présidentielles, le scrutin n’aurait pas lieu avant mai 2025, selon un récent article de The Economist. Il est peu probable que l’Ukraine soit encore en état de fonctionner d’ici là. Quant aux remplaçants préférés de l’Occident – ou du moins de l’UE – on trouve l’ancien général Zaluzhny ou l’ancien président Poroshenko. Ils seraient tout aussi opposés que Zelensky à faire les concessions minimales nécessaires. De plus, Zaluzhny est un banderiste pur et dur et cela serait inacceptable pour la Russie.

C’est une façon détournée d’expliquer que même si la Russie estime qu’il est dans son intérêt de discuter des modalités des négociations, l’effondrement de l’Ukraine progressera certainement plus vite que les pourparlers eux-mêmes.

En d’autres termes, l’idée que certains membres de l’OTAN garantissent individuellement la sécurité de l’Ukraine ne semble pas pouvoir aboutir[7]. S’il s’agit de pays indépendants comme la Turquie et la Hongrie, cet accord leur permettrait de résister à la pression qui s’exercerait plus tard, le cas échéant, pour voter en faveur de l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN. Donald Trump éprouverait également une certaine satisfaction à faire échouer les plans de l’UE et de l’OTAN visant à contrecarrer sa promesse de mettre un terme au conflit.

Notons tout de même que les phases finales d’une guerre peuvent engendrer les comportements les plus téméraires. Par exemple [en 1945­] les États-Unis ont pris prétexte de la difficulté à soumettre le Japon pour faire une démonstration meurtrière de leurs armes nucléaires. Scott Ritter aime aussi à rappeler que c’est au cours du dernier mois de la Seconde Guerre mondiale que l’Allemagne a infligé aux Alliés les pertes humaines les plus importantes.

Jusqu’à présent, l’équipe Trump peut vraisemblablement revenir sur le pari téméraire de Biden d’autoriser des frappes à longue portée sur la Russie, en espérant ne pas provoquer d’escalade durable. Jusqu’à présent, la « témérité » reste cantonnée au domaine politique. Mais y a-t-il une chance qu’elle y reste, alors que le Royaume-Uni et l’UE sont également déterminés à mettre des bâtons dans les roues ?


Source originale : Naked Capitalism
Traduit de l’anglais par GL pour Investig’Action


Notes

[1] Rappelons que la Russie se veut légaliste et qu’elle a utilisé la même procédure que les États-Unis pour le Kosovo afin de justifier son invasion de l’Ukraine en tant que défense d’un allié dans le cadre d’un pacte de défense mutuelle (l’allié étant ici les républiques séparatistes du Donbass nouvellement reconnues).

[2] Bien entendu, la dernière chose que souhaite l’establishment occidental, c’est une solution préférable à tous points de vue…

[3] La remarque de Ritter selon laquelle si Trump tentait de saper la provocation de Biden, il s’agirait d’un acte sans précédent, n’est pas correcte. Richard Nixon, en tant que candidat, pas même en tant que président élu, s’est livré à une ingérence sans doute plus grave à l’encontre d’un président en exercice en sabotant les pourparlers de paix de Paris.

[4] Il est frustrant mais prévisible que la presse et les commentaires grand public passent sous silence le fait que la détresse économique de l’UE est le résultat direct de ses actions. Les États-Unis ont conduit l’Europe sur ce que John Mearsheimer appelle le chemin de l’orée, en se convainquant et en convainquant les partisans de l’UE que la Russie s’effondrerait rapidement sous l’effet des sanctions économiques et que si les Russes étaient amenés à se battre, ils s’enfuiraient dès qu’ils seraient confrontés aux wunderwaffen et aux ubermenschen occidentaux. Lorsque cela n’a pas fonctionné, le plan B a largement consisté à durcir le plan A, notamment en faisant exploser les pipelines Nordstream. Pourtant, l’anglosphère et, on le suppose, la presse européenne dominante décrivent les prix élevés de l’énergie, la faiblesse économique qui en découle et le mécontentement croissant des citoyens comme s’ils étaient le fruit du hasard, et non le résultat d’actions visant à couper l’Europe de l’énergie russe bon marché. Michael Hudson a affirmé que les États-Unis s’étaient engagés dans cette voie pour affaiblir l’Europe.

[5] La Russie est confrontée au problème « Qui signe le document » ? Poutine et d’autres ont souligné que Zelensky n’est plus le président légitime de l’Ukraine puisque son mandat a expiré. Poutine a expliqué que, selon la lecture russe de la Constitution ukrainienne, le pouvoir exécutif revient au chef de la Rada, mais que l’Ukraine doit prendre cette décision.

[6] Rappelons que la Russie a promis des procès pour crimes de guerre, une autre tradition de l’après-Seconde Guerre mondiale. Il existe apparemment plus de vidéos horribles de soldats ukrainiens torturant des prisonniers de guerre russes qu’il n’en faut pour que les accusations soient retenues par les alliés économiques de la Russie. Cela contribuerait à renforcer l’idée que l’Ukraine a fait beaucoup de choses qui méritent d’être traitées comme des actes du Troisième Reich.

[7] Ce billet étant déjà un peu long, j’ai dû passer sur les raisons pour lesquelles il est peu probable que l’OTAN s’engage dans des garanties de sécurité, même si les principaux membres devaient avoir une conversion à la Saint Paul. Je ne suis pas sûr que cette initiative nécessiterait l’unanimité ; rappelons que les Baltes et probablement le Royaume-Uni resteraient opposés à toute résolution de la guerre dans laquelle une partie de l’Ukraine d’avant 2014 serait reconnue comme faisant partie de la Russie. Cela pourrait donc s’avérer être un obstacle insurmontable.

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