Photomontage par Baf.f ! pour Investig’Action
Au cours des dernières années, la Russie a connu plusieurs attaques médiatiques de la part de l’Occident. Mais ces derniers temps, ces attaques ont une tendance étrange à se focaliser sur le fait que la Russie dispose d’un arsenal important d’armes nucléaires. Le risque est grand que la guerre de l’information dégénère en un conflit beaucoup plus dangereux.
Dans le roman d’anticipation SNUFF, de Victor Pélévine, l’action se déroule dans un futur post-apocalyptique où, après une guerre nucléaire mondiale et une série de conflits locaux, la population de la Terre a été divisée par dix. Lorsque les jeunes héros demandent comment la catastrophe est advenue, on leur répond que dans le monde d’avant-guerre, les gens confondaient trop souvent les films et les nouvelles : « Par conséquent, si dans un film un peuple quelconque était constamment représenté comme un ramassis de meurtriers et dégénérés, c’était en fait une information. Mais on la faisait passer pour du cinéma « . La guerre a commencé après que certaines personnes « se sont passé un film sur un autre pays, puis ont imaginé que c’étaient les informations, alors elles se sont mis dans un grand état d’excitation et ont commencé à bombarder ce pays. »
La première du nouveau film de la BBC, l’histoire d’une guerre nucléaire déclenchée par la Russie, a coïncidé cette fois avec une déclaration du Secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, selon laquelle la Russie aurait simulé une attaque nucléaire sur la Suède en 2013. Où est le film et où sont les nouvelles ?
Annonçant que la Russie aurait étudié le scénario d’une attaque nucléaire sur la Suède, Stoltenberg n’a pas expliqué pourquoi une chose pareille pourrait arriver. Entre la Russie et la Suède il n’existe pas de conflits non résolus. Selon la doctrine militaire de la Fédération de Russie, l’utilisation des armes nucléaires n’est possible qu’ « en réponse à l’utilisation contre elle et (ou) ses alliés d’armes nucléaires et autres armes de destruction massive, ainsi que dans le cas d’agression contre la Fédération de Russie avec l’utilisation d’armes conventionnelles, au cas où l’existence même du pays serait menacée. »
Premièrement, la Suède ne possède pas d’armes de destruction massive. Ensuite, imaginer que les forces armées suédoises, qui n’ont pas combattu depuis 202 ans, puissent constituer une menace pour l’existence de la Russie, ce n’est pas sérieux. Et même si l’on met en doute la doctrine militaire, et que l’on suppose que la Russie pourrait déclencher une guerre d’agression avec des armes nucléaires, il suffit de réfléchir une minute : pourquoi gâcher une ogive nucléaire très couteuse pour une Suède pratiquement inoffensive, alors qu’un grand nombre de cibles existent dans le monde, contre lesquelles cette ogive pourrait être utilisée à meilleur escient ?
Ainsi, dans la représentation de Stoltenberg la Russie est représentée sous les traits d’un malfaiteur dément dans le style de Sorge du « Cinquième Élément », dont le but est de tuer tout le monde avant de mourir lui-même. Cela n’a rien à voir avec la réalité, et le fait que des personnes ayant une image pareille de la Russie occupent les plus hautes fonctions à l’OTAN est, bien sûr, inquiétant du point de vue de la sécurité mondiale.
Le film de la BBC, comme il sied à une œuvre d’art, est plus nuancé que le fantasme apocalyptique du Secrétaire général de l’OTAN.
Dans cette réalité imaginaire, cela commence par un « printemps russe » en Lettonie : les russophones locaux se soulèvent contre l’oppression par la « nation titulaire », criant Russie ! Russie ! « , La foule se met à changer les drapeaux sur l’hôtel de ville de Daugavpils et prend le contrôle non seulement de cette ville, mais aussi d’autres agglomérations à l’est du pays, ainsi que de la zone frontière avec la Russie… On entend des appels à conclure une Union Latgale-russe et la tenue d’un référendum sur la reconnaissance de la « République populaire de Latgale ».
Après quoi la Russie envahit la Lettonie, et après l’escalade du conflit, lance une attaque nucléaire sur un navire de guerre britannique (encore une fois les ogives nucléaires sont distribuées comme des petits pains). Washington, qui a également perdu un navire de guerre, ignorant les conseils du gouvernement britannique, lance à son tour une attaque nucléaire sur un « objectif militaire russe », poussant ainsi la Grande-Bretagne à une « guerre nucléaire à grande échelle. »
Au fur et à mesure que la tension monte et que le « scénario catastrophe » approche de son apogée, dans le poste de commandement on apprend que Poutine a « ordonné » que la frappe nucléaire suivante prenne pour cible Londres. Après une longue réflexion, les Britanniques décident finalement de ne pas riposter. L’histoire s’achève là.
Ainsi, le film remplit jusqu’à trois objectifs de propagande.
Le premier – les citoyens russophones de Lettonie sont étiquetés « dangereuse cinquième colonne », à partir de laquelle on peut s’attendre à tout moment à une opposition aux valeurs européennes. Étant donné la popularité croissante du maire de Riga Nil Ouchakov, cette hypothèse est une attaque directe contre lui et son parti « Concorde ».
A propos de l’ineptie de la fiction britannique, l’ambassadeur de Russie en Lettonie Alexandre Veshnyakov, ancien chef de la Commission électorale centrale, dit ceci : « Je travaille en Lettonie depuis huit ans et je ne connais aucune organisation séparatiste ici, en mesure qui plus est de » prendre le pouvoir » ne serait-ce que dans une ville frontalière (et sur le script il y en a 20). N’importe quel expert indépendant qui connaît la situation réelle en Lettonie vous le confirmera. Ce scénario est absolument artificiel et poursuit des objectifs politiques. Tout d’abord, se livrer à une guerre de l’information pour diaboliser la Russie. Deuxièmement, justifier les demandes du lobby militaire visant à quadrupler les dépenses de l’OTAN en Europe. Troisièmement, discréditer toute force politique en Lettonie, ou en Europe, qui considérerait la Russie sans préjugés et adopterait une position pragmatique par rapport à elle ».
Le deuxième – la Russie, comme dans le discours de Stoltenberg, est déclaré pays irresponsable, prêt à l’emploi des forces nucléaires « juste comme ça », sans souci de ce que préconise sa doctrine militaire.
Enfin, le troisième – les politiciens et les militaires britanniques ont l’occasion de se présenter sous un jour favorable, style : nous ne permettrons pas la destruction de l’humanité et la guerre mondiale nucléaire.
Le film de la BBC, c’est du cinéma qui est en fait une information. Et le discours du Secrétaire général de l’OTAN c’est en réalité du cinéma. Le résultat cumulatif est très simple : la Russie apparaît comme un Etat agressif irresponsable, prêt à utiliser des armes nucléaires à la moindre provocation ou même sans.
Non pas que ce mensonge nous chagrine beaucoup – les idées occidentales sur la Russie représentée comme un ours, prêt à dévorer tout ce qu’il peut atteindre, ont déjà des centaines d’années. Le problème est que, en pleine conformité avec le triste pronostic de Pélévine, les politiciens occidentaux se mettent dans un état d’agitation pas possible, et la moindre provocation (y compris organisée par un tiers) peut avoir des conséquences imprévisibles.
Si par exemple (essayons de rêver à la manière de Stoltenberg et de la BBC) un terroriste de l’Etat islamique fait exploser dans le centre de Stockholm une « bombe sale » et laisse sur la scène du crime un drapeau russe et une carte d’agent du KGB, qui peut garantir que Washington, à la demande de Stockholm, ne décide immédiatement une « frappe de représailles » contre l’ « agressive Russie » ? Et dans ce cas, en pleine conformité avec sa doctrine militaire, la Russie ne pourra pas ne pas répondre – et ce sera la fin de la civilisation humaine dans sa forme actuelle.
Brûlant dans les flammes de l’explosion thermonucléaire, les employés de la BBC n’auront guère le loisir de penser au rôle qu’ils auront joué dans leur production télévisuelle en diabolisant la Russie.
Source : vzglyad.ru
Traduit par Marianne pour Histoireetsociete