L’appel lancé par le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas pour des élections dans les Territoires occupés est une manœuvre politique. Il n’y aura pas de véritables élections démocratiques sous la direction d’Abbas. La vraie question est : pourquoi a-t-il lancé cet appel ?
Le 26 septembre, Abbas s’est adressé à la plus importante plateforme politique au monde, l’Assemblée générale des Nations unies, pour appeler à des « élections générales en Palestine – en Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est et la bande de Gaza ».
Le dirigeant palestinien a ouvert son annonce en insistant sur la place centrale qu’occupe la démocratie dans sa réflexion. « Dès le début, nous avons cru dans la démocratie comme fondement de la construction de notre État et de notre société », a-t-il déclaré avec un aplomb total. Mais, comme cela s’est avéré, c’est seulement le Hamas – et non Israël et certainement pas l’héritage antidémocratique, transparent et corrompu – qui a rendu impossible la mission démocratique d’Abbas.
À son retour de New York, Abbas a créé une commission dont la mission, selon la presse palestinienne officielle, est de consulter diverses factions palestiniennes sur les élections promises.
Le Hamas a immédiatement accepté l’appel à des élections, bien qu’il ait demandé des éclaircissements supplémentaires. L’exigence centrale du groupe islamique, qui contrôle la bande de Gaza assiégée, est l’élection simultanée du Conseil législatif palestinien (PLC), de la présidence de l’Autorité palestinienne et, le plus important, du Conseil national palestinien (PNC) – la composante législative de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).
Alors que l’OLP est tombée sous la coupe d’Abbas et d’une clique au sein de son propre parti, le Fatah, les institutions restantes fonctionnent sans aucun mandat populaire démocratique depuis près de 13 ans. Les dernières élections du Conseil législatif palestinien ont eu lieu en 2006, suivies d’un affrontement entre le Hamas et le Fatah qui a eu pour résultat le clivage actuel entre les deux partis. Quant au mandat d’Abbas lui-même, qui croit soi-disant « dans la démocratie comme le fondement pour la construction de notre État », c’est un président qui règne de manière antidémocratique sans véritable mandat pour gouverner les Palestiniens.
Ce n’est pas que les Palestiniens hésitent à exprimer clairement leurs sentiments. Ils ont sans cesse demandé à Abbas de partir. Mais cet homme de 83 ans est déterminé à rester au pouvoir – peu importe comment on définit le « pouvoir » sous le joug de l’occupation militaire israélienne.
L’analyse qui prévaut à la suite de l’appel d’Abbas à des élections est qu’une telle entreprise est tout simplement impossible étant donné les circonstances. Tout d’abord, après avoir obtenu la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par les États-Unis, il est peu probable qu’Israël permette aux Palestiniens d’inclure Jérusalem-Est occupée dans un vote futur.
Le Hamas, d’autre part, est susceptible de refuser l’inclusion de Gaza si les élections sont limitées au Conseil législatif palestinien, et d’exclure la position d’Abbas et du Conseil national palestinien (PNC). Sans un vote du PNC, la réorganisation et la résurrection de l’OLP resteraient hors d’atteinte, une conviction partagée par d’autres factions palestiniennes.
Conscient de ces obstacles, Abbas doit déjà savoir que les chances d’élections réelles, équitables, libres et vraiment inclusives sont négligeables. Mais cet appel est la dernière tentative désespérée d’apaiser le ressentiment croissant des Palestiniens face à son échec qui a duré des décennies à utiliser le soi-disant processus de paix pour obtenir les droits dont son peuple a longtemps été privé.
Il y a trois raisons principales qui poussent Abbas à faire cette proposition à ce moment précis.
Premièrement la fin du processus de paix et de la solution à deux États, par une succession de mesures israéliennes et américaines, a laissé l’Autorité palestinienne et Abbas en particulier isolés et à court de fonds. Les Palestiniens qui soutenaient de telles illusions politiques ne constituent plus la majorité.
Deuxièmement, la Cour constitutionnelle de l’AP a arrêté, en décembre dernier, que le président devait appeler à des élections dans les six prochains mois, c’est-à-dire en juin 2019. La Cour, elle-même sous le contrôle d’Abbas, visait à donner au dirigeant palestinien un moyen légal de révoquer le Parlement élu précédemment – dont le mandat a expiré en 2010 – et de créer de nouvelles bases pour sa légitimité politique. Il n’a cependant pas respecté la décision de la Cour.
Troisièmement, et c’est le plus important, le peuple palestinien en a clairement assez d’Abbas, de son autorité et de toutes les manigances politiques des factions. En fait, 61% de tous les Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza veulent qu’Abbas se retire, si l’on croit un sondage d’opinion réalisé en septembre par le Centre palestinien de recherche politique et de sondage.
Le même sondage indique que les Palestiniens rejettent la totalité du discours politique qui a servi de base à Abbas et aux stratégies politiques de son AP. En outre, 56% des Palestiniens sont opposés à la solution à deux États ; plus de 50% croient que les résultats de l’actuel gouvernement de l’AP de Mohammed Shtayyeh est pire que celui de son prédécesseur ; et 40% veulent que l’Autorité palestinienne soit dissoute.
Fait révélateur, 72% des Palestiniens veulent des élections législatives et présidentielles dans tous les territoires occupés. Le même pourcentage veut que l’AP lève sa part du siège imposé sur la bande de Gaza.
Abbas est aujourd’hui dans la position politique la plus faible qu’il a connue depuis qu’il est arrivé au pouvoir il y a des années. Privé de tout contrôle sur les résultats politiques, qui sont déterminés par Tel Aviv et Washington, il a eu recours à un vague appel à des élections qui n’ont aucune chance de succès.
Alors que le résultat est prévisible, Abbas espère aujourd’hui apparaître une fois encore comme un dirigeant engagé, comptable de ses actes devant le consensus international et les souhaits de son propre peuple.
Il faudra des mois de gaspillage d’énergie, de querelles politiques et de cirque médiatique embarrassant avant que le stratagème électoral ne s’effondre, ce qui provoquera, entre Abbas et ses rivaux, un « jeu des reproches » qui pourrait durer des mois, voire des années.
Ce n’est guère la stratégie dont le peuple palestinien – qui vit sous une occupation brutale et un siège étouffant – a besoin et qu’il désire. La vérité est qu’Abbas, et quelle que soit la classe politique qu’il représente, est devenu un véritable obstacle sur le chemin d’une nation qui a désespérément besoin d’unité et d’une stratégie politique pertinente. Ce que le peuple palestinien exige n’est pas un appel tiède à des élections, mais une nouvelle direction, une revendication qu’il a exprimée à de multiples reprises et qu’Abbas refuse d’écouter.
Source originale: Dissident Voices
Traduit par Diane Gilliard pour Investig’Action
Source: Investig’Action