Il y a 70 ans, les Soviétiques infligeaient aux fascistes une défaite mémorable, une « razgrom », pour le dire dans leur langue. C’est à Stalingrad que prend définitivement fin la Blitzkrieg des nazis. Les Soviétiques y ont encerclé 300 000 Allemands. Ceux-ci capitulent le 2 février 1943 alors que, dans son discours du 30 janvier, Hitler affirmait encore que le peuple allemand combattrait jusqu’à ce que la victoire soit certaine. La victoire finale des Alliés n’est dès lors plus qu’une question de temps. Une victoire forgée dans le sang, la sueur et les larmes. Surtout des Soviétiques.
Au milieu des années 1920, les Soviétiques tiennent déjà compte d’une nouvelle guerre mondiale. Dans toute l’Europe, des régimes fascistes arrivent au pouvoir. D’abord Mussolini en Italie, le 30 octobre 1922. Hitler, lui, accède au pouvoir le 30 janvier 1933 (voir aussi le dossier de Solidaire n° 5 de la semaine dernière : 80e anniversaire de la prise de pouvoir par Hitler). L’Allemagne se réarme à toute vitesse. Dans le premier Plan quinquennal, en 1928, la défense de la jeune URSS est une priorité absolue. Seule l’Union soviétique se rend compte du véritable danger. Dans le best-seller d’Hitler, Mein Kampf, il est écrit noir sur blanc que le bolchevisme est l’ennemi mortel du fascisme.
L’Italie est tout aussi belliciste. En 1935, elle occupe l’Éthiopie. Les dirigeants soviétiques pensent que l’Europe va se réveiller. Ils proposent un système européen de sécurité collective. En vain. Déjà en 1935, les Soviétiques savent par leur agent secret Richard Sorge qu’une attaque viendra certainement de l’Allemagne. Jusqu’en 1941, l’Union soviétique prendra des dizaines d’initiatives pour bâtir un front de paix contre les menaces de guerre fascistes.
Les autruches de l’Occident
Les puissances capitalistes ne veulent rien entendre et espèrent que les nazis choisiront l’URSS comme première cible. Jusqu’en 1921, la Grande-Bretagne, la France, les États-Unis et le Japon mettront tout en œuvre pour éliminer les bolcheviks. Le 24 juin 1941, juste après l’attaque allemande contre la Russie, le futur président américain Harry Truman déclarera dans le New York Times : « Si nous voyons que l’Allemagne gagne, nous devons aider la Russie et, si la Russie gagne, nous devons aider l’Allemagne, de façon à les faire s’entretuer au maximum. »
L’Angleterre et la France se perdent en concessions aux nazis. L’Autriche, la Tchéquie et la Slovaquie sont sacrifiées. Cette dernière paiera même les nazis pour qu’ils la débarrassent de ses juifs : 500 Deutsche Mark par juif… L’un des résultats de la politique occidentale de conciliation. En 1939, il ne reste plus grand-chose d’autre aux Soviétiques que de conclure un pacte de non-agression avec leur ennemi héréditaire.
La résistance doit venir de la gauche. En 1935, Georgi Dimitrov, secrétaire général du Komintern, un lien de coopération mondiale entre les partis communistes, invite instamment toutes les forces de gauche à s’unir en un large front populaire contre le fascisme. Partout où le fascisme prend le pouvoir, on fait régresser tous les acquis sociaux, on opprime la classe ouvrière, on supprime les syndicats et on brutalise les minorités.
Dans la vision hiérarchisée du monde du « Blut und Boden » (Le sang et le sol), il n’y a pas de place pour tous ceux que les fascistes qualifient d’« étrangers au peuple », de « dégénérés », d’« inférieurs » ou de « parasites ». Les patrons obtiennent carte blanche. Dans tous les pays, les communistes se tiennent à l’avant-garde contre cette idéologie. En Slovaquie, en 1944, ils organisent une insurrection nationale ; en Yougoslavie, les communistes parviennent quasiment seuls à flanquer les fascistes à la porte.
Une guerre de destruction
Le sentiment de supériorité de la « race des seigneurs » allemande débouche sur une guerre de destruction qui n’épargne absolument rien. Le 3 mars 1941, Hitler donne cet ordre : « La guerre contre la Russie ne pourra se faire de façon chevaleresque. C’est un combat d’idéologies entre des races différentes et il va falloir le mener avec une dureté sans précédent, impitoyable et ne reculant devant rien. (…) Aux soldats allemands qui se rendront coupables de violations des lois internationales, il ne sera adressé aucun reproche. »
Il n’y a pas que les hautes instances politiques nazis à vouloir un bestial génocide. La Wehrmacht allemande aussi. Le 2 mai 1941, le général Erich Hoepner écrit : « La guerre contre la Russie est un chapitre important dans la lutte pour la survie de la nation allemande. C’est le vieux combat des peuples germains contre les Slaves, la défense de la culture européenne contre le raz-de-marée de Moscou et de l’Asie, la lutte pour endiguer le bolchevisme juif. L’objectif de ce combat doit être la destruction de l’actuelle Russie et il doit être mené avec une dureté encore sans précédent. »
L’outsider rouge
Le 22 juin 1941, l’Allemagne nazie attaque l’Union soviétique avec plus de 3 millions d’hommes, 3 600 chars et plus de 4 000 avions. Plus un million de leurs alliés, dont des Italiens, des Roumains, des Hongrois, des Finlandais et des Slovaques. L’Opération Barberousse démarre. Les premiers objectifs : Léningrad, l’Ukraine et les champs pétroliers du Caucase. Le but final est la ligne A-A, d’Arkhangelsk dans le nord à l’Astrakhan dans le sud.
Les attentes sont très optimistes. « Il nous suffira de frapper sur la porte et toute la structure rouge va s’effondrer d’elle-même », déclare Hitler à propos de l’Union soviétique. Les Alliés aussi pensent que l’URSS va tomber très vite. Les premières semaines, l’agresseur a le vent en poupe. D’importantes parties de l’Armée rouge sont encerclées. Contrairement aux attentes, ces unités isolées poursuivent le combat. Les Allemands s’effraient de leurs propres pertes. C’est ce qui ressort à la lecture du journal secret de Franz Halder, le chef d’état-major d’Hitler. Le premier jour de l’invasion, il écrit : « Il n’y a pas de signes de tentatives de dislocation opérationnelle. Il ne faut même pas tenir compte de cette éventualité. » Le 24 juin : « La résistance opiniâtre de chacune des unités russes considérée individuellement est remarquable. » Et, le 29 juin : « Les rapports de tous les fronts confirment les premières indications selon lesquelles les Russes se battent jusqu’au dernier. » Dix jours après l’invasion, le 3 juillet, il parle de 54 000 morts du côté allemand. C’est déjà plus que toutes les pertes allemandes dans la conquête de la Pologne en 1939. Mais il continue à rêver car, le même jour, il écrit encore : « Il n’est sans doute pas exagéré de dire que la campagne de Russie aura été gagnée en moins de deux semaines. » Le 11 août, après des combats acharnés autour de Smolensk, le chef d’état-major allemand se réveille brusquement : « Toute la situation montre de plus en plus clairement que nous avons sous-estimé le colosse russe. »
Des usines sur roues
L’attaque confronte l’armée allemande à d’énormes gageures logistiques. Partout, les partisans perturbent les filières d’approvisionnement. Pourtant, les nazis s’attendent à ce que les Soviétiques rompent à tout moment.
Sur le plan économique, c’est toutefois l’imprévisible qui se produit. Tout de suite après l’attaque allemande, les Soviétiques démontent leur industrie à l’ouest de l’Oural pour la reconstruire plus à l’est. Fin 1941, pas moins de 1521 grandes usines ont été déplacées. Une prestation unique dans l’histoire mondiale (1). Ainsi, l’industrie soviétique se retrouve hors d’atteinte des bombardiers allemands. En 1942, les Soviétiques produisent trois fois plus de chars que les Allemands. Dont le fameux T-34, sans doute le meilleur char moyen de la Seconde Guerre mondiale.
Sur le plan idéologique aussi, les Soviétiques tiennent le coup. Ils appliquent à la lettre leur devise : « Les communistes doivent se trouver sur la ligne de feu. » En juin 1941, chaque comité provincial du parti doit avoir envoyé entre 500 et 3000 hommes et femmes à l’armée dans les trois jours. En quelques jours, on mobilise 95.000 membres du parti. 58.000 partent pour le front. Le prestige du parti s’accroît énormément. En 1943, le parti compte 2,7 millions de membres et il y en a quasiment autant dans la section des jeunes – le Komsomol – active dans l’armée. Les efforts de guerre des soviétiques paient. En décembre 1941, ils forcent les Allemands à l’arrêt en face de Moscou. C’est la première défaite allemande de la guerre.
L’Opération Uranus
Au printemps 1942, les Allemands repassent à l’offensive. Ils atteignent la Volga, près de Stalingrad. S’ils prennent la ville, les Soviétiques perdront leur principale voie navigable et leurs réserves de pétrole. En outre, un accord a été conclu avec les Japonais: que les Allemands s’emparent de n’importe quelle ville de la Volga et les Japonais attaqueront les Russes dans le dos (2). Les Stukas allemands font de la ville un monceau de ruines. Ensuite, les troupes terrestres allemandes prennent la relève. Mais les ruines que les Allemands ont créées se retournent contre eux. Dans les décombres, leurs chars peuvent à peine se déplacer. Les Soviétiques continuent à occuper une petite partie de Stalingrad, sur la Volga. Hitler déclare déjà triomphalement qu’il n’y a plus la moindre navigation sur le fleuve.
Le stratège Gueorgui Joukov se voit confier la mission de sauver la situation. Il veut encercler le général allemand Friedrich von Paulus et sa Sixième Armée. Les préparatifs de l’Opération Uranus ont lieu dans le plus grand secret. Les Allemands ne se doutent de rien. Les Soviétiques enclenchent un mouvement de tenaille. Ils attaquent sur les deux flancs de la Sixième Armée à Stalingrad. Les deux pointes de l’attaque font la jonction à l’arrière de la ville, près de Kalach. Sur les flancs des troupes allemandes, il n’y a que des troupes roumaines, bien moins armées. Le jour de l’encerclement, les attaques allemandes contre Stalingrad se poursuivent tout simplement, comme si de rien n’était.
La manœuvre d’encerclement réussit. 300 000 fascistes sont coincés dans le chaudron de Stalingrad. Hitler interdit à von Paulus de décrocher. Son armée doit se sacrifier pour faire gagner du temps à d’autres fronts.
Une « guerre de rats »
La presse allemande dissimule le plus longtemps possible la nouvelle de l’encerclement. Après la reddition, on fait croire au peuple allemand qu’il n’y a pas de survivants. Le régime criminel n’admettra jamais d’avoir commis une erreur. Le pont aérien destiné à sauver l’armée terrestre à partir du ciel est un fiasco. Le commandant en chef de la Luftwaffe, Hermann Göring, avait juré que c’était possible. Mais, même sur papier, c’était impossible. La Sixième Armée avait quotidiennement besoin de 700 tonnes de marchandises. En théorie, un total de 350 était possible et encore, uniquement dans les circonstances les plus favorables.
Ainsi donc, la Sixième Armée doit se débrouiller toute seule. La Rattenkrieg ou « guerre des rats » se poursuit dans un froid polaire. On se bat pour chaque maison, pour chaque pièce. Les Soviétiques défoncent les murs intérieurs des maisons pour faire circuler facilement leurs tireurs d’élite. Ils développent une véritable culture du franc-tireur, avec des vedettes nationales comme Vassili Zaitsev. Ironie du sort, dans ces combats au corps à corps, l’arme la plus efficace n’est autre qu’une « pelle aiguisée ». Les soldats dorment la nuit dessus afin qu’on ne la leur vole pas.
Les Soviétiques ne laissent rien au hasard. Sur le plan psychologique non plus. Ils jouent du tango afin de susciter une ambiance macabre dans toute la ville de Stalingrad encerclée. Sans arrêt, des haut-parleurs hurlent : « Toutes les sept secondes, un Allemand meurt à Stalingrad. Stalingrad Massengrab (fosse commune). » Des hordes d’Allemands se précipitent pour un billet de retour dans l’un des avions de transport. Ceux-ci ont de plus en plus de mal à se poser ou à décoller, dans ce chaudron. La situation est intenable. En dépit des ordres d’Hitler, von Paulus capitule en février 1943. Et, à la grande colère d’Hitler, ne se suicide pas.
Le commencement de la fin
Le prix payé par les fascistes est lourd. Parmi les 90.000 prisonniers de guerre, il y a 24 généraux. Quelque 140.000 hommes encerclés ont perdu la vie. Ils ont perdu 60.000 véhicules légers, 1500 chars, 6000 canons et 7000 motos. Dans toutes les opérations qui ont eu lieu à Stalingrad ou autour, les Allemands ont laissé 850.000 hommes, tués, blessés ou portés manquants.
Bien des citoyens et militaires allemands ne croient plus en l’Endsieg, la victoire finale. D’une enquête secrète des services de renseignement allemands ressort le désarroi : « Les gens demandent surtout pourquoi Stalingrad n’a pas été évacué ou dégagé, et comment il se peut que l’on ait décrit quelques mois plus tôt la situation militaire comme sûre. De nombreux concitoyens pensent désormais sérieusement aux conséquences d’une défaite. » Dans toute l’Europe occupée, les actions de résistance se durcissent contre la politique de terreur des fascistes. En mai 1945, les nazis sont battus. Les citoyens de l’Union soviétique se sont montrés plus résistants et plus productifs que l’ennemi. Ils ont défendu les acquis de leur révolution.
Notes
(1) The Soviet Economy and the Red Army, 1930-1945 (« L’économie soviétique et l’Armée rouge »), Walter Scott Dunn, p. 34.
(2) Stalin’s Spy: Richard Sorge and the Tokyo Espionage Ring (« L’espion de Staline : Richard Sorge et la filière d’espionnage de Tokyo »), Whymant, Robert, p. 206.
Les chiffres des pertes
Entre le 22 juin 1941 et le 9 mai 1945, chaque jour, plus de 17.000 soldats et citoyens soviétiques ont perdu la vie, soit un total de 25,3 millions. 27% de la population active de l’URSS mourra durant la guerre. Entre 16 et 18 millions mourront de facteurs extérieurs à la violence guerrière « normale » : au moins 3,5 millions de prisonniers de guerre soviétiques mourront de faim dans les camps allemands ; 4 à 5 millions de citoyens soviétiques – dont environ 1 million de juifs – périront dans des exécutions de masse ou dans des chambres à gaz ; 8 à 10 millions de civils soviétiques mourront de faim suite aux blocus et à la folie destructrice des Allemands. Et 7 ou 8 millions de militaires perdront la vie (1). 80% des pertes allemandes de la guerre concerneront le front de l’Est. Quant aux chiffres des pertes des Alliés durant la Seconde Guerre mondiale, les voici : 187.000 Américains, 400.000 Britanniques et 650.000 Français (chaque fois, militaires + civils).
Notes
(1) Atlas zur Geschichte, Band 2, Gotha (DDR), 1981/V. Koulikov, L’Aide internationaliste accordée aux peuples d’Europe, in : Histoire de l’URSS : Nouvelles Recherches, n° 4, Moscou, 1985
Source : Solidaire