L'Afrique, les Noirs et le Darfour

Quel est le lien entre la tragédie du Darfour au Soudan et les attaques dont sont victimes les Noirs en France et dans d’autres pays occidentaux ?

De prime abord aucun, mais souvenons-nous, chers frères et sœurs, qu’il fut une époque, où nous étions appelés « nègres », nous ne pesions pas dans les instances internationales et Marcus Garvey tentait de rendre avec beaucoup de succès une visibilité internationale aux réalités du monde noir.

D’autres leaders africains ou antillais transformaient des siècles de frustration et de honte accumulée du fait des lois du « code noir » et des théories de Willy Lynch en des concepts plus positifs que sont le panafricanisme ou de négritude.

Pendant que des théories racistes élaborées par l’Occident suprémaciste et génocidaire conduisait notre communauté à sa destruction, des hommes et des femmes courageux surent nous amener à porter sur nous-mêmes un regard de fierté sur la beauté et la diversité du peuple noir, peuple originel.

Ayant fait ce travail de nous accepter comme Noirs (ou Kamit pour reprendre l’appellation originelle), nous fûmes en mesure de considérer toute personne « mélanisée », donc descendant d’africain, comme membre à part entière de l’immense famille kamit.

La diaspora noire

Ainsi, dans les années 60, rien ne pouvait affecter le continent mère l’Afrique en laissant les Noirs de la diaspora américaine, européenne ou antillaise indifférents. Rien ne pouvait se passer aux Etats-Unis, en France, au Vietnam, au Brésil, à Cuba ou aux Antilles qui n’interpella les Noirs du monde entier.

Pourquoi en était-il ainsi ?

Parce que le système nerveux qui reliait les Noirs sur la base d’une origine commune, fonctionnait pleinement et par conséquent, aucune souffrance ne pouvait affecter un Noir sur un point du globe, sans que les leaders de nos communautés ne se mobilisent par ailleurs.

Lorsque les malins vecteurs d’une civilisation criminelle, se mirent à assassiner nos loyaux représentants politiques, syndicaux, spirituels et intellectuels, les relais du monde noir se disloquèrent et nous cessâmes de nous sentir appartenir à cette majorité d’humains que représentent les Kamit.

Après la disparition des piliers de nos communautés, les leucodermes et autres Hyksôs commencèrent l’œuvre de destruction qui consista à changer notre langage, notre système de valeurs, afin de modeler à leur convenance la perception que nous avons de nous-mêmes.

Un demi siècle plus tard, nous avons perdu la maîtrise de notre histoire, de nos valeurs et même de notre alimentation. Nous sommes la majorité sur terre, mais nous acceptons le qualificatif de « Minorité » que les régimes occidentaux nous attribuent dans les différents pays ou nous résidons. Les plus zélés d’entre nous sautent le pas en s’affublant de qualificatifs comme « African-american » ou « Afro-européen » ou encore « Créole métissé », accentuant ainsi ce sentiment de non-appartenance au peuple noir qui, faut-il le rappeler, est le peuple originel et nous sommes majoritaires sur cette planète.

Le système nerveux qui unissait tous les Noirs du monde étant détruit, des génocides comme ceux du Rwanda ou du Darfour peuvent survenir dans l’indifférence totale des Noirs.

Nous ne sommes plus sensibles aux souffrances qui affectent d’autres Noirs à d’autres endroits de la planète. Quelquefois, il y a de timides réactions pour s’indigner des rafles d’enfants africains ou pour demander la condamnation des propos négrophobes tenus par certains Juifs dans les média nationaux. Il y eut aussi quelques tentatives de sympathie à l’égard des victimes de l’ouragan « Katrina » aux Etats-Unis. Mais globalement, nous marchons tête baissée, pétrie par le néant des sociétés occidentales et dans l’indifférence des maux qui affectent d’autres Noirs en Haïti, au Costa rica, en Colombie, au Nicaragua, au Brésil, au Paraguay, au Guatemala, à Puna, en Russie, à Bruxelles, à Paris, au Congo, au Zimbabwe, en Martinique ou à Washington-DC.

Le langage a changé nos jugements puisque nous ne regardons plus ces femmes, ces hommes et ces enfants noirs qu’avec la distance qui nous éloigne de leurs pays.

Les Noirs et le Darfour

Pour revenir au cas du Darfour au Soudan, 95% des délégations en mission de paix et qui viennent parader dans nos média nationaux sont des « leucodermes ». Nous ne doutons pas de leur sincérité mais nous constatons simplement que les problèmes qui affectent certains de leurs congénères sans emploi ou sans domicile ou vivant dans les banlieues-bidonvilles ou encore assassinés par des policiers les interpellent moins. Si les délégations noires n’apparaissent pas, c’est tout simplement à cause du boycott que subissent les Noirs dans les média français par exemple.

Mais qu’est-ce le Darfour dans l’échelle de la souffrance mondiale ?

Les chiffres qui circulent parlent de 180.000 morts et quelques 2 millions de personnes déplacées sur une population de 42 millions d'âmes. A titre de comparaison (terme que nous trouvons impropre ici), 3,5 millions de Congolais sont morts ces 3 dernières années, pour le plus grand bénéfice des compagnies pétrolières : silence média.

Au nord de l’Ouganda, où des centaines de milliers de villageois et d’enfants sont obligés de s’enfuir de nuit, évitant les rebelles qui cherchent à les enrôler pour attaquer le gouvernement de Kampala : silence média.

Mais pourquoi le soudan ?

Depuis 15 ans, le gouvernement de Khartoum est la cible des gouvernants occidentaux qui veulent le renverser, les Etats-Unis en tête. Cette ténacité vient du fait que le Soudan a successivement abrité des mouvements de la résistance palestinienne, puis Oussama Ben Laden.

Par-dessus tout, le pouvoir islamique soudanais refuse de reconnaître Israël.

La raison invoquée par les gouvernements occidentaux et les ONG qui œuvrent pour le changement de régime au Soudan est le génocide des Noirs et leur mise en esclavage par des Arabes.

Examinons un instant ces arguments.

Outre le fait que les Occidentaux font peu de cas de leurs responsabilités pour les 500 ans de déportations des Africains et de mise en esclavage des descendants d’Africains, les termes utilisés font fi du métissage qui s’est opéré entre les populations arabe et négro-africaines. Le Soudan d’aujourd’hui est un pays musulman mais dans lequel la ségrégation n’est pas raciale (les Noirs représentant environ 60% de la population), mais plutôt linguistique (entre ceux qui parlent Arabe et les Nubiens ou autres Nilotiques du Sud).

Pourquoi nos média ne nous montrent pas les images des membres du gouvernement soudanais, la peur de découvrir que Omar Hassan Ahmed El-Bechir, le président soudanais, est Noir comme ses autres co-disciples ?

Nul ne nie que les Arabes ont opéré des razzias et esclavisé des Africains, mais utiliser cette rhétorique pour justifier des agendas cachés est une préparation habile à laquelle les « leucodermes » nous ont habitués pour s’interposer par la suite comme les « véritables sauveurs » du peuple Noir.

Souvenons-nous, Il y a 12 ans, des leaders tels que Jerry John Rawlings du Ghana, Kenneth Kaunda de Zambie, Daniel Arap Moi du Kenya, Yoweri Museveni de l’Ouganda et John Garang du sud Soudan. Pendant 20 ans, ces leaders ont combattu le gouvernement autocratique de Khartoum, pour une meilleure justice au Soudan qui tienne compte des aspirations des minorités chrétiennes et animistes du sud du pays.

Ces leaders étaient mieux placés que quiconque pour combattre la moindre négrophobie au Soudan si elle s’était avérée. Il est certain que les mêmes stéréotypes hérités des théories suprémacistes occidentalles et qui amènent les Noirs clairs de peau à se sentir supérieurs à leurs frères et sœurs à la peau plus pigmentée ont cours au Soudan.

Ce que nous savons aussi, c’est que le Soudan est le plus grand pays d’Afrique noire par sa superficie (5 fois la France), riche en terres arables et en ressources minières ou pétrolières, notamment au sud.

Nul n’imagine l’impact que pourrait avoir ce pays dans une Afrique développée.

L’intérêt des régimes occidentaux en perte économique et morale est donc de s’approprier le sud du Soudan, comme ils avaient tenté de le faire avec la région du Delta du Niger (Nigeria) lors de la guerre du Biafra en 1968.

Mais laissons nos émotions de côté et examinons un peu plus rationnellement la composition des organisations autoproclamées militantes de la paix.

Les pétitions qui circulent sur Internet pour une paix au Darfour mènent soit vers des sites d’extrême droite chrétienne, soit vers des organisations féministes radicales, soit vers des intellectuels juifs pro-sionistes qui veulent protéger les Noirs au Soudan tout en appelant aux ratonnades « négricides » en France et en cautionnant des rafles d'enfants africains par le petit ministre français, descendant de Hongrois.

Il y a aussi tous ces politiques et artistes français qui réprouvent les déplacements de populations noires au Darfour, mais encouragent (voire financent) la colonisation des terres de Gaza et les meurtres d’enfants palestiniens.

Aux Etats-Unis, des personnalités comme Elie Wiesel, apôtre de la paix le jour, artisan des guerres américaines en Irak la nuit et surtout adepte loyal du sionisme, se sont placées dans le peloton des marches pour sauver les populations noires du Darfour. Les familles des 100.000 morts irakiennes et des millions d'irradiés à l'uranium apauvri apprécieront la subtilité des positions du « Prix Nobel de la Paix ».

Mais pourquoi tant de compassion pour le Darfour ?

Nous vous parlions au début de ce texte de l’échelle des souffrances humaines.

Comment expliquer que des personnalités ou des organisations aussi puissantes, capable d’arrêter l’escalade du régime israélien par un coup de fil à Ariel Sharon …bon ok, c’est mesquin, disons plutôt à Ehud Olmert ne le fassent pas ?

Cela apaiserait sûrement les souffrances de millions de Palestiniens.

Au lieu de cela, nous les retrouvons sur tous les fronts pour exiger la paix au Darfour, tout en écartant la présence des Noirs dans leurs délégations.

Pourquoi ne s’intéressent-ils pas aussi assidûment au génocide qui se produit au Congo depuis 3 ans ?

Pourquoi n’interviennent-ils pas dans leurs pays respectifs pour obliger leurs amis au gouvernement à assurer la protection des populations noires qui y vivent ?

D’aucuns objecteraient qu’ils s’intéressent au Darfour parce que nous les Noirs n’avons pas beaucoup investi ce terrain, parce nous avons brisé la chaîne de solidarité, ce système artériel unique, conçu pour le peuple Noir, qui nous unissait et permettait à chacun d’entre-nous d’entendre la douleur d’autres Noirs, comme des organes dans le corps humain.

Nous répondrions qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire, commençons par entendre les cris de nos proches et ensuite, réapproprions-nous ce système artériel qui lie les Noirs partout sur la planète.

Alors, à ce moment, jamais, plus jamais le Rwanda, le Congo, l’Afrique du Sud, L’Ouganda, le Darfour, la Mauritanie, les rafles d’écoliers et les insultes envers notre communauté en France n’existeront.

La Rédaction du MNH

http://association-mnh.com/modules.php?name=News&file=article&sid=102

Edité le 21 mars 2007

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