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John Catalinotto : “Les Démocrates et les Républicains représentent tous deux les grandes entreprises, le militarisme et l’impérialisme”

Le vote du 5 novembre pour la présidentielle approche aux États-Unis. Kamala Harris, la vice-présidente sortante démocrate, fait face à Donald Trump. Que peut-on espérer de cette élection? Quelles sont les différences entre les candidats ou plutôt les politiques de ces deux grands partis? Nous faisons le point avec John Catalinotto,  journaliste communiste, anti-impérialiste et antiraciste étasunien.  

Quels sont les thèmes majeurs discutés dans la campagne électorale et comment se différencient les deux grands partis ?

Tout d’abord, je tiens à faire une clarification importante. La propagande étasunienne produit un torrent écrasant de mensonges. La vie politique aux États-Unis, en ce qui concerne le vote et les élections, est entièrement dominée par les deux grands partis capitalistes-impérialistes, les Démocrates et les Républicains, qui représentent tous les deux les grandes entreprises, le militarisme et la volonté de maintenir l’hégémonie mondiale de l’impérialisme américain. Ces partis dépensent des milliards de dollars au cours d’une année d’élection présidentielle pour faire la publicité de leurs candidats. Et la plupart des publicités ne sont pas des discussions sur les programmes politiques mais des mensonges répétés à l’infini.

Aucun parti social-démocrate, sans parler des partis communistes, ne peut dépenser 1 % de ce que le Parti démocrate et le Partir républicain dépensent pour être élus à la présidence ou même au Congrès.

En outre, malgré toute la propagande pro-américaine sur la démocratie, le vainqueur de l’élection présidentielle est désigné par un décompte des voix totalement antidémocratique, déterminé principalement par le total des voix dans chacun des cinquante États, qui élisent les membres du collège électoral. Lors des élections de 2000 et de 2016, le candidat à la présidence ayant obtenu le plus grand nombre de voix populaires au niveau national a perdu l’élection sur la base du collège électoral.

Parmi les grandes thématiques, il y a l’économie. La masse de la classe ouvrière est mécontente de la situation économique, en particulier de la hausse des prix de l’alimentation, des transports, de l’éducation et des soins médicaux. Il n’y a pas eu de véritable reprise après la crise de 2008-09, et les prix ont fortement augmenté pendant la pandémie de Covid-19, plus rapidement que les salaires. La majorité de la classe ouvrière du pays a plus de mal à payer ce dont elle a besoin pour vivre qu’auparavant. En revanche, les très riches se sont considérablement enrichis.

Les jeunes travailleurs souffrent de l’augmentation considérable des coûts de l’éducation et du logement, qui rendent difficile, même pour les diplômés de l’enseignement supérieur, de vivre séparément de leurs parents et, s’ils le souhaitent, d’élever des enfants.

L’administration Biden-Harris est davantage blâmée pour la stagnation de l’économie et l’inflation que Trump, bien que les deux aient fondamentalement les mêmes politiques pro-entreprises et pro-riches. Les démocrates sont considérés comme moins antisyndicaux que Trump.

Sur l’immigration, Trump multiplie les déclarations provocatrices et racistes…

À en juger par leur rhétorique anti-migrants, quelle que soit la question, les républicains ont dû décider que la désignation de boucs émissaires parmi les migrants était leur principal cheval de bataille pour gagner des voix parmi les éléments rétrogrades de leurs électeurs potentiels. Ils calomnient les migrants et les rendent responsables de tout ce qui ne va pas aux États-Unis.

Chaque mot sortant de la bouche des candidats anti-migrants est un mensonge. Trump et son colistier Vance ont inventé une rumeur selon laquelle des travailleurs migrants haïtiens de Springfield, dans l’Ohio, auraient volé et mangé des animaux domestiques. Même après avoir admis qu’il s’agissait d’un mensonge, Vance a soutenu qu’il était justifié parce que ce mensonge mettait en évidence le problème de l’immigration.

L’impérialisme américain a rendu la vie impossible à des millions de personnes dans leur pays de naissance. Soit en promouvant un dirigeant réactionnaire meurtrier (Haïti, Honduras), soit en exigeant des politiques néolibérales (Équateur), soit en imposant des sanctions (Venezuela).

Trump-Vance promettent d’expulser les quelques 13,3 millions de migrants présents aux États-Unis sans autorisation officielle et d’empêcher l’entrée de nouveaux migrants. Ils veulent mobiliser les forces armées pour rassembler des millions de personnes et les forcer à partir et placer des milliers de soldats à la frontière. Les travailleurs sans papiers occupent des emplois essentiels au fonctionnement de l’économie américaine : construction, entretien, hôtellerie. Cela créerait un cauchemar pour les migrants et leurs familles et serait fatal pour l’économie américaine.

Depuis que Trump-Vance reprochent à l’administration Biden-Harris d’être trop « molle » à l’égard des migrants, l’administration a pris ses propres mesures anti-migrants. Elle vient de supprimer le statut de protection temporaire pour les migrants originaires de quatre pays: Cuba, le Venezuela, le Nicaragua et Haïti. C’est la version de l’hémisphère occidental de la crise des migrants de l’Union européenne. Les extrémistes de droite comme le parti de Le Pen en France, l’AfD en Allemagne ou les nationalistes flamands en Belgique attaquent les migrants et les partis de centre-droit et de centre-gauche leur cèdent la place. Au final, les migrants souffrent et la solidarité des travailleurs aussi.

Cela nous parait plus important, pour de vrais partis internationalistes de la classe ouvrière, de donner la priorité à la construction de la solidarité entre les travailleurs migrants et les travailleurs nés dans le pays, que de gagner des voix en concédant à une idéologie rétrograde.

La question de l’avortement marque également une différence entre Démocrates et Républicains.

Oui, plus globalement les droits reproductifs. En nommant des juges réactionnaires, l’administration Trump a pu éliminer la protection juridique des droits reproductifs, c’est-à-dire principalement le droit à l’avortement. Les démocrates, et en particulier Harris, sont considérés comme des défenseurs des droits reproductifs. Il s’agit de la question la plus populaire chez les démocrates, notamment parce que Harris s’est toujours battue pour les droits reproductifs. Une partie de la base électorale de Trump-Vance est constituée d’évangéliques, qui sont plus opposés à l’avortement que les catholiques. Des référendums distincts portant sur le droit à l’avortement sont en cours dans dix États. Dans l’ensemble, cette question donne un avantage à Harris.

Trump a pu se représenter malgré les nombreux procès contre lui….

Il y a une autre thématique importante que je qualifierai d’autocratie, l’anti-démocratie. Trump est à juste titre blâmé pour la tentative de coup d’État du 6 janvier 2021 au Capitole, qui a presque réussi à renverser une élection qu’il a perdu par 7 millions de voix au niveau national. (Le vote était très serré dans quatre États, de sorte qu’un gain de seulement 40 000 voix aurait pu faire de Trump le vainqueur). Trump refuse de s’engager à accepter les résultats du vote de cette année. Il fait face à de nombreuses accusations légales qui, s’il n’est pas président, pourraient le conduire en prison, bien que cela soit peu probable. Il menace de mettre ses rivaux en prison – il ne s’agit pas de révolutionnaires, mais de politiciens démocrates et républicains pro-capitalistes et même de fonctionnaires (que beaucoup d’entre nous considèrent comme des criminels de guerre impérialistes, comme Dick Cheney et John Bolton) qui ont contrarié Trump et qu’il considère comme ses ennemis.

Les organisations autour de Trump ou du MAGA (Make America Great Again) tentent de restreindre le droit de vote sous le prétexte fallacieux que les non-citoyens votent et qu’ils votent principalement démocrate. Cela a pour effet d’empêcher les gens de voter, en particulier les personnes de couleur ou celles qui parlent avec un accent anglais non américain. Ils menacent également la sécurité physique du personnel électoral.

Ils se font attaquer physiquement?

Oui, des personnes sont menacées d’agression physique, suite aux diffamations de Trump et de ses fans. Beaucoup des personnes agressées sont des femmes noires, par exemple on l’a vu dans des États comme la Géorgie.

Un grand nombre de personnes craignent que Trump ne s’oriente vers la dictature et qu’une victoire de sa part n’ouvre la porte au fascisme. Ils s’efforceront d’élire Mme Harris même s’ils sont sceptiques à son égard ou à l’égard de ses politiques. Cette question et les volontés de Trump jouent en faveur de Harris.

En politique étrangère, certains croient que Trump serait moins belliqueux que les démocrates.

La politique étrangère se résume ici à dire la guerre et la paix. Cette question devrait peut-être figurer en tête de liste, mais aucun des deux candidats n’en fait grand cas. Depuis la guerre hispano-américaine (1898), tant les démocrates que les républicains ont soutenu l’impérialisme américain dans ses guerres inter-impérialistes, ses guerres d’agression contre le monde socialiste (la guerre froide) et ses tentatives de reconquête des colonies depuis 1989.

Depuis 1999, les deux partis ont soutenu les interventions militaires en Irak, en Yougoslavie, en Afghanistan, en Irak à nouveau, en Libye, en Syrie et la guerre par procuration des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie en Ukraine. Trump affirme qu’il aurait pu éviter cette guerre, mais n’a pas de programme pour y mettre fin. Tous deux soutiennent une attitude hostile à l’égard de la Chine et une pression militaire sur la République populaire démocratique de Corée.

L’année dernière, l’administration Biden-Harris a soutenu la guerre génocidaire d’Israël à Gaza et son agression contre le Liban et l’Iran, en armant l’État colonisateur pro-impérialiste. Trump ne les attaque que parce qu’ils n’en font pas assez pour Israël et qu’ils sont indulgents envers l’Iran. De nombreuses personnes qui soutiennent la Palestine ou qui ont au moins agi pour mettre fin au génocide – qu’elles observent en direct – même si elles détestent Trump, ont déclaré qu’elles ne voteraient pas pour Harris et qu’elles ne travailleraient pas pour qu’elle soit élue. Sa politique à l’égard d’Israël pourrait même lui coûter l’élection.

Ce qui est remarquable, c’est que Harris a reçu le soutien d’une longue liste de républicains, dont certains (Cheney, Bolton, divers généraux de haut rang) ont travaillé au sein de l’administration Trump et que je considère presque tous comme des militaristes pro-impérialistes. Apparemment, une grande partie de l’appareil d’État américain considère Harris comme une dirigeante compétente qui travaillera dans les limites normales de la politique impérialiste – et ils considèrent Trump comme un électron libre qui ne tient compte que de ses propres priorités.

Aucun des deux candidats n’offre de solution qui aide la classe ouvrière, ni ne garantit que les États-Unis ne déclencheront pas une guerre ou que le capitalisme ne fera pas s’effondrer l’économie. Ou même que l’État ne deviendra pas plus répressif.

On entend peu la gauche du parti démocrate. Comment se placent les élus de gauche et les mouvements sociaux?

Il y a une poignée d’élus du parti démocrate qui peuvent être historiquement sociaux-démocrates ou même qui appartiennent au Democratic Socialist of America. Deux élus sortants ont déjà été battus lors d’élections primaires (pour être candidats au parti démocrate) par des démocrates qui bénéficiaient d’un financement important de la part de groupes pro-israéliens. D’autres ont gagné leurs primaires. Les candidats du parti vert pourraient obtenir quelques pourcents des voix de ceux qui veulent soutenir les questions environnementales ou qui veulent voter contre le génocide à Gaza. Certains petits partis situés à gauche des Verts se présentent (le Parti pour le socialisme et la libération, par exemple) et s’opposent aux guerres à Gaza et à l’OTAN.

En résumé, la « gauche » a beaucoup plus d’influence en organisant des manifestations qu’en participant aux élections capitalistes en ce moment.

L’écologie semble toujours absente des débats, même malgré l’ouragan Helen et ses nombreux dégâts?

Aucun des partis capitalistes n’a de solution à la crise climatique. Trump continue de nier qu’il s’agit d’un problème et certains de ses plus grands partisans sont issus des monopoles du pétrole, du gaz et du charbon. Les deux ouragans, Helen et maintenant Milton, ravagent des régions du sud des États-Unis mais ni le gouvernement local ni le gouvernement fédéral ne disposaient de plans d’évacuation ou d’une aide d’urgence en quantité suffisante.


Source : investig’Action

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