Présent au festival Manifiesta, organisé par le PTB les 9 et 10 septembre derniers, le député indépendant Jeremy Corbyn nous a accordé 5 minutes top chrono. Trois questions au plus célèbre des travaillistes britanniques, 74 ans, plus combatif et radicalement à gauche que jamais.
Investig’Action : Vous avez appelé, ici à Ostende, à l’unité et à la solidarité entre les différentes forces de gauche en Europe. Sur quel axe principal, quelles priorités, cette unité devrait-elle se réaliser ?
Jeremy Corbyn: L’unité de la gauche est essentielle et économiquement réalisable pour se mettre librement d’accord sur des actions communes. Nous devons reconnaître que les inégalités sociales et la pauvreté augmentent très rapidement dans les pays industrialisés en Europe, en Amérique du Nord et dans le monde. Ce n’est pas un accident ! Il s’agit d’une stratégie économique définitive qui ne taxe pas efficacement les plus aisés et ne fournit pas les services nécessaires à la population majoritaire.
Comme je l’ai dit hier dans mon discours : 8 personnes possèdent l’équivalent des revenus totaux de la moitié la plus pauvre de la population mondiale. C’est là une démonstration du niveau d’inégalités… Il faut donc un engagement des organisations, des personnes et des partis de gauche en faveur d’un système de taxation qui redistribue systématiquement bien dans nos pays (Grande-Bretagne, Belgique, France…) et ailleurs.
Deuxièmement, la propriété publique des principaux services (eau, électricité, gaz, poste, santé, éducation) est essentielle. Cela ne signifie pas seulement arborer un insigne ou un logo d’un service public national ; cela signifie ne pas permettre l’immixtion de contrats privés pour subvertir et exploiter ces services afin d’en tirer d’énormes profits !
Troisièmement, la solidarité concerne les droits des travailleurs, les droits syndicaux, le droit du travail, le droit de s’organiser et la nécessité d’une organisation syndicale internationale. Des entreprises mondiales comme Deliveroo, Uber, Amazon, Facebook et bien d’autres sont aujourd’hui extrêmement puissantes et riches. Elles s’organisent efficacement au-delà des frontières et, malheureusement, la gauche passe trop de temps à se concentrer sur le national en ne s’occupant pas des questions internationales.
Mon point suivant est justement international : la crise climatique est là ! Elle est réelle. Elle se produit et menace chaque jour davantage. Mais la façon dont elle affecte les gens est inégale. Ce sont les pauvres qui souffrent le plus, ce sont les communautés défavorisées qui souffrent davantage et ce sont les habitants des zones urbaines qui souffrent le plus de la mauvaise qualité de l’air. C’est pourquoi une révolution industrielle verte ne peut se résumer à ce que des classes moyennes puissent vieillir dans un système avec des codes, des datchas et des aliments durables. Non, il doit s’agir d’une alimentation durable et d’un air pur pour tout le monde !
I’A : Quelle est votre position sur la guerre entre la Russie et l’Ukraine, un conflit militaire qui semble, hélas, parti pour durer des années à l’instar de ceux du Vietnam, d’Irak ou d’Afghanistan ?
J.C: C’est le dernier segment des priorités sur lequel j’appelle à s’unir les forces de gauche. Celui-ci concerne la guerre et la paix. Les dépenses mondiales en armement atteignent aujourd’hui des niveaux record et ne cessent d’empirer. La guerre en Ukraine encourage à dépenser plus d’argent pour les armes de destruction massive. Or, ce dont nous avons besoin, c’est d’un processus de paix ! Oui : 1) la Russie a eu tort d’envahir l’Ukraine. 2) Il faut un cessez-le-feu immédiat et un processus de paix. Et il est de notre responsabilité à tous de les réclamer.
Cependant, il faut aussi reconnaître que la guerre en Ukraine n’est pas le seul conflit dans le monde. Il y a la guerre au Yémen, l’occupation de la Palestine ou la guerre qui se poursuit au Congo-Kinshasa pour les minerais…
Nous devons comprendre que nous avons besoin d’une économie durable, pas d’une économie qui se contente d’exploiter toutes les ressources naturelles sans se soucier des conséquences. Dès lors, la gauche doit être inconditionnellement écologique, pour la paix, la justice et l’égalité.
I’A : Quel regard portez-vous sur les récents coups d’État survenus en Afrique de l’Ouest et centrale francophone (Niger et Gabon) ?
J.C : Je suis très intéressé par ce qui se passe en Afrique de l’Ouest ! Et je me souviens d’une brillante vidéo de 30 secondes sur Youtube dans laquelle on posait une question à un homme marchant dans les rues de Paris. « Désolé Monsieur, puis-je vous poser une question ? », lui dit l’intervieweur. « Quelles sont les ressources naturelles du Niger ? » L’homme répond : « Uranium ». Deuxième question : « Quelles sont les ressources naturelles de la France ? » Il répond : « Niger ! » Cette spontanéité en dit tellement long…
Ce qui est aussi intéressant avec le coup d’État survenu au Niger, et la façon dont les forces de guerre économique ont été fondées par la France, l’OTAN et, dans une certaine mesure, la Grande-Bretagne, c’est que ceux-ci devaient essayer d’intervenir là-bas. Cela ne s’est pas produit en raison de l’unité des nations d’Afrique de l’Ouest contre cette intervention. Ainsi que la décision du nouveau gouvernement nigérien de vouloir développer une société plus démocratique à l’avenir.
Je ne suis pas favorable à des élections truquées comme à des politiciens corrompus et ne suis pas non plus favorable à un gouvernement militaire, mais je reconnais que, parfois, des hommes en armes sont plus représentatifs des plus pauvres de la société que certaines élites politiques. Et ces dernières ont été la cause d’une plus grande injustice antisociale dans leur pays. Je pense que l’actuel processus en Afrique de l’Ouest est un éveil de l’unité panafricaine.
Propos recueillis par Olivier Mukuna
Source : Investig’Action