People search through debris outside the site of the Ahli Arab hospital in Gaza City on October 18, 2023 in the aftermath of an overnight strike there. - A blast ripped through a hospital in war-torn Gaza killing hundreds of people late on October 17, sparking global condemnation and angry protests around the Muslim world. Israel and Palestinians traded blame for the incident, which an "outraged and deeply saddened" US President Joe Biden denounced while en route to the Middle East. (Photo by Mahmud Hams / AFP)

Iyad Alasttal : « Nous pouvons être tués à n’importe quel moment »

Après l'effroyable bombardement de l'hôpital al-Ahli situé au centre de la ville de Gaza, Investig'Action a pu joindre Iyad Alastta, journaliste et réalisateur gazaoui. Devant un bilan provisoire de près de 500 morts, Iyad attribue la responsabilité de cette « tuerie de masse » aux forces armées israéliennes. En danger de mort, comme chaque prisonnier de l'enclave palestinienne, il en appelle à la solidarité des peuples du monde afin que cesse le nettoyage ethnique...   

Que s’est-il passé exactement ? Pouvez-vous nous en dire plus sur l’attaque de cet hôpital chrétien situé dans le quartier d’al-Zaitoun à Gaza?

Cet hôpital porte deux noms : al-Maamadani ou al-Ahli. Beaucoup de blessés et de réfugiés s’y étaient massés pour se protéger des frappes israéliennes quotidiennes. Le premier bilan, donné par le ministère palestinien de la Santé, fait état d’au moins 500 morts et de centaines de blessés… L’armée israélienne a tiré sur cet hôpital qui a été partiellement détruit et brûlé. Parmi les martyrs, il y a beaucoup d’enfants qui vivaient et dormaient dans l’enceinte du bâtiment. C’est à nouveau catastrophique, c’est encore un crime contre l’humanité perpétré par l’armée d’occupation…

Y avait-t-il véritablement 4000 personnes dans l’hôpital al-Ahli ?

Tous les témoignages se rejoignent sur ce chiffre  : il y avait environ 4000 personnes dans l’hôpital au moment de la frappe israélienne. Il n’y avait pas que les patients et le personnel médical, il y avait une série de familles et de blessés. Des gens dont la plupart n’ont plus de maison, qui sont contraints de se réfugier dans des lieux sûrs. Des endroits où ils ont une chance plus élevée de rester en vie, tel que cet hôpital qui est situé dans la ville de Gaza [Gaza City]. Des endroits qui, en principe, sont protégés par les règlements internationaux. Selon la loi internationale, aucune armée ne peut s’attaquer aux hôpitaux, aux blessés, aux civils… Mais Israël ne respecte pas cette loi, il ne la respecte jamais ! Cet hôpital a été délibérément pris pour cible ! Et c’est la seconde fois que ce bâtiment est touché par des tirs de roquettes israéliennes : le 14 octobre, il y a eu quatre blessés parmi le personnel médical. Ici, c’est beaucoup plus grave ; déjà plusieurs centaines de victimes…

Est-ce tout le bâtiment qui a été détruit ou « juste » l’enceinte d’entrée, comme l’affirment la plupart des médias occidentaux ?

Selon les images qu’on a reçu sur les réseaux sociaux, c’est une partie de l’hôpital qui a été bombardée et, plus particulièrement, la cour d’entrée de l’édifice dans laquelle vivaient et dormaient de nombreuses familles… Je ne tiens pas à parler à la place des responsables palestiniens, mais ce que je peux vous dire, c’est qu’une partie de l’hôpital al-Ahli a été délibérément bombardée et que cela a tué au moins 500 personnes, selon les premiers bilans dont nous avons, ce soir, connaissance.

Vous attendiez-vous à ce que cet hôpital baptiste, géré par l’Église anglicane, soit pris pour cible ?

Vous savez, on ne s’attend plus à rien… On tente de survivre, toutes et tous, d’une heure à l’autre. Dans la bande de Gaza, il n’y a aucune différence entre chrétiens et musulmans. On endure, on survit et on s’entraide ensemble. L’armée israélienne veut procéder au nettoyage ethnique de tous les Palestiniens, qu’ils soient chrétiens, musulmans ou athées. Nous sommes donc solidaires entre nous. Nous sommes tous opprimés par cette occupation israélienne qui – pour ceux qui en doutaient encore, – vient de démontrer à nouveau toute sa violence…  

Au moment où nous parlons, les porte-paroles de Tsahal restent étrangement silencieux avant, probablement, de « justifier » ce nouveau massacre par l’allégation selon laquelle des soldats du Hamas étaient dans l’hôpital al-Ahli… Qu’en pensez-vous ?

C’est le prétexte systématique de l’armée israélienne : affirmer qu’il y a des résistants palestiniens aux endroits qu’ils ciblent et bombardent, peu importe qu’ils tuent des civils par centaines… Il faut arrêter de se perdre dans leur propagande : le projet israélien est clair. Pour se venger de la très forte frappe que lui a infligée la résistance palestinienne [l’offensive militaire du 7 octobre, pilotée par le Hamas, qui a fait plus de 1400 morts Israéliens et étrangers ainsi que 150 à 200 otages toujours détenus dans Gaza], Israël met une triple pression sur la population gazaouie afin que 1) elle dénonce toute résistance palestinienne 2) elle ne résiste plus elle-même et 3) qu’elle quitte la bande de Gaza [enclave de laquelle les 3 points de sortie – israéliens et égyptien – sont fermés à double tour depuis le 7 octobre]… On voit  parfaitement que leur projet c’est de vider le nord et Gaza City par des massacres répétés et la fuite massive des civils vers le sud. Tout cela, avant de mener leur opération militaire terrestre dans le nord de Gaza. Et je veux ajouter que l’armée d’occupation israélienne a aussi pris pour cibles et bombardé des Palestiniens qui fuyaient vers le sud, à Khan Younes. C’est la ville où j’habite. J’ai aussi plusieurs nouveaux martyrs dans ma famille et… [silence]. Voilà, la situation est très dégradée et dramatique.

Le massacre israélien de civils à Gaza est-il aussi largement dû à l’inaction des grandes puissances ? Celles-si pourraient contraindre Israël au cessez-le-feu ; ne fût-ce que pour épargner la vie des otages israéliens détenus à Gaza…   

Si nous revivons l’enfer absolu, c’est à cause du silence de la communauté internationale et de leur complaisance criminelle envers l’État d’Israël. Vous devez comprendre qu’il n’y a plus aucun lieu sûr dans Gaza ! Les frappes arrivent partout, dans toutes les localités, tout le temps. Je peux être tué n’importe quand, comme tout habitant de Gaza. Alors oui : tenter d’en sortir, de fuir, d’accord, mais pour aller où ? Toutes les frontières sont fermées ; les 3 passages [Erez, Kerma Shalom et Rafah ] restent bloqués par les soldats israéliens et égyptiens. Nous sommes coincés de tous les côtés ! Avec, depuis 11 jours, des frappes permanentes de l’armée israélienne…

Vous qui êtes enfermé dans Gaza, en indéniable danger de mort, que souhaitez-vous dire à nos gouvernants européens ?

[Bref silence, suivi d’un profond soupir]… Les dirigeants européens qui prétendent sans cesse défendre les droits humains, la liberté d’expression et la démocratie ne sont plus crédibles. Le deux poids deux mesures en faveur de la colonisation est patent ! Nous avons vu comment chaque puissance occidentale (Allemagne, France, Angleterre, etc.) a réagi pour soutenir l’Ukraine attaquée par la Russie. Elles ont toutes envoyé des armes, de l’aide humanitaire par tonnes ou accueilli sans distinction les réfugiés ukrainiens. Et nous, parce que nous sommes des Palestiniens, nous sommes oubliés et abandonnés à la fureur criminelle de l’occupant israélien… Cela fait 75 ans qu’on souffre. Toutes les résolutions de l’ONU, dénonçant la violation de nos droits, visant à permettre le droit au retour [des réfugiés palestiniens exilés dans les pays voisins] n’ont jamais été appliquées ! Nous regrettons et reprochons à vos gouvernants occidentaux de, systématiquement, prendre position aux côtés de l’occupant, aux côtés de l’oppresseur israélien. Il s’agit pourtant d’une colonisation ! Cela ne nous surprend pas que les dirigeants des États-Unis d’Amérique, héritiers du génocide des Amérindiens, soutiennent Israël qui procède à la même colonisation de peuplement sur notre terre que celle perpétrée par les colons d’Amérique. En revanche, beaucoup d’entre nous ont longtemps espéré que des leaders politiques d’Europe se lèveraient, pèseraient de tout leur poids, pour que cesse le colonialisme israélien, pour que nous puissions, nous aussi, vivre dans un État où nos vies seraient en sécurité. Cet espoir n’existe plus. Les Palestiniens ont foi et comptent bien davantage sur la solidarité internationale, la solidarité des peuples du monde. Sur ces millions de citoyens, allemands, français, belges ou américains, qui ont compris la justesse de notre cause, boycottent, manifestent et font pression sur leurs dirigeants pour qu’un jour s’arrête notre oppression et – immédiatement – le nettoyage ethnique de Gaza.

Vous n’attendez rien de positif de la rencontre à Tel-Aviv entre Biden et Netanyahu ?

Non, rien. Je pense franchement qu’il existe un fort soutien international en faveur de l’État d’Israël et de Benyamin Netanyahu ; quels que soient les crimes que ceux-ci commettent contre les Palestiniens. On a bien vu comment le président Biden a directement envoyé deux portes-avions au large de Gaza. Cela, pour protéger l’armée d’occupation – en train de nous massacrer – de toute éventuelle réaction militaire des pays voisins dont les populations soutiennent largement la cause palestinienne. L’Angleterre a aussi envoyé des navires de guerre vers Gaza ; l’Allemagne, elle, des stock d’armes à Israël… Non, leur complicité avec Israël n’est même pas masquée ! Excusez-moi si je vous choque, mais il s’agit de maîtres de la honte qui se rendent complices de l’aggravation de notre oppression. Des maîtres de la honte qui refusent aux Palestiniens que ceux-ci défendent leurs droits, réclament l’arrêt de 17 ans de blocus de Gaza. Les Palestiniens veulent vivre une vie libre et digne, dans un État indépendant.

Source: Investig’Action

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