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Isabelle Minnon: “Pour l’impérialisme, il ne faut surtout pas que le Congo se développe”

La République démocratique du Congo (RDC) organise ses prochaines élections présidentielles dans moins d'une semaine, le 20 décembre prochain. Près de  50 millions de Congolais et Congolaises sont appelés aux urnes. La RDC est-elle face à un tournant? Quels sont les grands enjeux pour le pays? Nous avons interviewé Isabelle Minnon, activiste décoloniale dans le mouvement Intal également chercheuse sur le secteur minier en R.D. Congo et sur les relations entre les pays du continent africain et la Chine.

Quels sont les enjeux principaux des élections en République Démocratique du Congo qui doivent, normalement, se tenir le 20 décembre ?


Depuis son indépendance, l’enjeu principal en RDC, c’est le respect de sa souveraineté économique ce qui signifie l’exploitation souveraine de ses ressources naturelles dont ses ressources minières. En d’autres termes, ça veut dire mettre fin au pillage de la RDC, immensément riche en cobalt, cuivre, or, diamant, etc ; premier pays exportateur de cobalt au monde et troisième pays exportateur de cuivre. Ce respect de la souveraineté de la RDC et de cette exploitation souveraine du pays est indispensable afin de construire un État fort, un Etat économiquement solide face à des pays du Nord qui ont toujours comme but de soutenir leurs multinationales présentes ou même pas forcément présentes en RDC mais qui veulent garder le contrôle en poussant à la privatisation des sociétés.

Félix Tshisekedi, élu en 2018 dans des circonstances douteuses, a très fortement axé son discours ces deux dernières années sur la guerre. C’est un enjeu majeur. Cette guerre dure depuis plus de vingt cinq ans, il y a encore des massacres et beaucoup de déplacés à l’Est… Mais Tshisekedi évite de parler de l’économie du Congo et de l’exploitation souveraine des richesses. Mettre fin à la guerre, à ce déséquilibre, à la déstabilisation du Congo, cela ne suffit pas ! S’il s’agit d’avoir une économie forte, encore faut-il qu’après l’État redistribue ses richesses. Celles-ci doivent être redistribuées à la population et doivent lui servir. C’est vraiment l’enjeu pour le pays dans le cadre de ces élections. Ici, la population sait ce qu’elle veut. J’ai voyagé en 2022 et 2023, la population sait très bien que l’Occident n’est pas là pour les intérêts du peuple congolais. Elle l’a compris depuis très longtemps. Avoir une bourgeoisie locale au pouvoir, alliée de l’Occident et qui s’accapare les richesses, qui exploite les ressources du pays pour s’enrichir elle-même, pour enrichir les multinationales, cela ne va pas à l’encontre de l’impérialisme.

La souveraineté, c’est quelque chose qui vient de loin historiquement…


Oui, lors des indépendances, cette notion faisait partie des discours des grands panafricanistes, ainsi que de ceux de la lutte anticolonialiste des pays d’Amérique Latine, des pays asiatiques et d’autres pays d’Afrique. En RDC, on se souvient de Patrice Lumumba qui parlait d’indépendance politique et d’indépendance économique. Ensuite, tout cela a été fortement remis en question avec les institutions financières internationales au Congo après l’arrivée au pouvoir de Mobutu, aidé par les États-Unis et la Belgique. Mobutu représentait un allié important pour l’Occident et va totalement répondre au programme de la Banque mondiale et des institutions financières internationales. Aujourd’hui, on entend parfois des discours du type « c’était mieux avant ». Cependant, cette pensée nostalgique, récurrente, ne tient pas compte de deux points. D’une part, dans les années septante, sous la période Mobutu, la production congolaise était en réalité très faible. D’autre part, il y a eu une destruction de l’économie : les dettes ont très fortement augmenté ! Avant l’arrivée de Laurent-Désiré Kabila au pouvoir, le Congo avait une dette d’à peu près douze milliards de dollars. Il s’agissait d’une dette complètement insoutenable pour le pays et elle vient de cette période vraiment destructrice de l’économie avec tous ces programmes d’ajustement structurel. Sur le continent africain, les populations ont bien vu que leur sort ne s’est pas amélioré avec les politiques de la Banque mondiale et du FMI. Ce qu’elles réclament, c’est la souveraineté de leur pays respectifs, de pouvoir bénéficier elles-mêmes de leurs richesses, d’arrêter de répondre aux intérêts de l’élite bourgeoise de l’Occident. C’est le nœud du problème ! Il y a eu beaucoup de manifestations au Congo, notamment en provenance du secteur de la santé. Le personnel soignant a manifesté en 2022 et 2023. Là encore, allouer des budgets aux soins de santé implique un État suffisamment fort économiquement et que les autorités au pouvoir ne détournent pas l’argent public pour ses propres intérêts.

Parmi les candidats actuels, qui incarne ce projet d’un « État fort » ?

Actuellement, il y a une vingtaine de candidats déclarés dont quatre principaux. D’abord, Félix Tshisekedi, le président sortant, qui brigue un second mandat. Martin Fayulu,qui s’était présenté lors des élections de 2018. Ensuite, le docteur Denis Mukwege, prix Nobel de la paix, connu mondialement. Enfin, il y a l’ancien gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi. Au sein de ce quatuor, il faut être clair : aucun des candidats n’incarne une rupture avec l’impérialisme ; la rupture nécessaire avec les grandes multinationales pour aller vers la défense de la souveraineté économique, politique et territoriale du Congo ainsi qu’une redistribution des richesses. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de perspective pour le pays car les élections sont aussi un moment pour la population pour réclamer des améliorations. Et c’est aussi l’occasion, pour les mouvements progressistes du Nord, de mettre en lumière les manières s’ingère l’Occident.

Le docteur Denis Mukwege semble un candidat plein de qualités.

Il a effectivement soigné des milliers de victimes de violences sexuelles dans l’hôpital Panzi situé à l’Est du Congo où il a travaillé. Mukwege a accompli beaucoup et a reçu le prix Nobel de la paix en 2018, pour son travail en tant que médecin. Mais il faut savoir qu’il a rendu visite, en juin 2023, au président nord-américain Joe Biden, qu’il a effectué des tournées en Europe, au Canada et dans les pays du Nord qui promeuvent l’exploitation de la RDC via leurs multinationales. Son programme n’incarne pas cette rupture économique avec le grand capital international. Denis Mukwege parle en faveur de la paix, pour mettre un terme à la faim, aux vices…

Des slogans mais sans préciser quelles alternatives mettre en place pour y arriver ?

Exactement, ce sont des slogans. Or, s’il n’y a pas de rupture économique avec la politique du Fonds Monétaire International (FMI), des institutions internationales, des grandes puissances, la RDC ne peut pas prendre une voie qui sera réellement celle de la paix. Une voie de la paix passe par la maîtrise territoriale et l’exploitation de ses ressources naturelles. Ce n’est pas avec ces slogans qu’on peut arriver à répondre aux besoins vitaux de la population… Quant à Félix Tshisekedi, ces deux dernières années, il a privilégié un discours par rapport à la paix. Dans ses déclarations, il attaque Paul Kagamé, parce qu’il sait très bien que la population, particulièrement à l’Est, veut la fin de cette guerre, la fin de cette humiliation avec Kagamé et le gouvernement rwandais. Mais avoir recours à ces discours, c’est une manière pour Tshisekedi de pouvoir récupérer la confiance de la population et de pouvoir s’accaparer de nouvelles voix pour les élections. Il faut préciser que la guerre en RDC ne peut pas se résumer au voisin de l’est. Ce n’est pas le Rwanda qui fabrique des armes. Son économie dépend principalement de l’aide au développement fournie par les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Europe. Derrière le Rwanda, il y a donc surtout les États-Unis, mais Tshisekedi ne s’attaque pas à eux et ne dénonce que le seul Rwanda. Ces divergences entre la RDC et le Rwanda arrange d’ailleurs les États-Unis. Cela crée une déstabilisation et permet à ces derniers de pouvoir s’ingérer, de venir dicter comment il faut faire. Avril Haynes, la Secrétaire national de la sécurité aux États-Unis, s’est rendue au Rwanda et au Congo fin novembre pour présenter une sorte d’accord de paix entre les deux pays et attribuer une image de pacificateur aux États-Unis. Pour autant, beaucoup en Afrique ne croient plus que ce sont les États-Unis ou l’Europe qui vont apporter la paix. Avec les bouleversements survenus en Afrique de l’Ouest (Niger, Burkina Faso ou Mali), il y a toute une population sur le continent qui exprime son ras-le-bol face à des systèmes comme celui de la France mais aussi envers la mission des Nations Unies au Mali et celle au Congo. Idem avec ce qui s’est passé en Ukraine et en Palestine… Les populations d’Afrique savent parfaitement que les États du Nord ne sont pas les alliés des peuples opprimés.

Et les autres candidats à la présidentielle congolaise ?


Ni Tshisekedi ni Denis Mukwege n’incarnent ce changement nécessaire pour la RDC. Encore moins Moïse Katumbi, ex-gouverneur et richissime homme d’affaires qui a joué sur le fait d’être « proche des gens » en distribuant de l’argent. Il a surtout mis en place un système clientéliste. Martin Fayulu a contesté le résultat des dernières élections mais depuis, on l’entend peu et il n’a pas non plus présenté un programme en rupture avec le grand capital, pourtant à l’origine de la déstabilisation constante du Congo. Devant cette absence de candidats alternatifs au système dominant, il faut avoir à l’esprit plusieurs choses. Primo : le Congo est un pays immense, de près de cent millions d’habitants, situé au cœur du continent, frontalier de neuf autres pays africains, qui possède des ressources minières énormes, en plus de ressources naturelles (forêts, fleuve, poissons, agricole, etc.). De par son gigantisme, on ne peut redresser un pays comme le Congo de la même manière que le Botswana, qui a le vent en poupe et est par ailleurs l’allié du capitalisme, ou un pays comme le Rwanda, que l’on vente pour sa modernité (bien que bénéficiant avant tout à la bourgeoisie locale) mais qui dépend complètement d’aide au développement de l’extérieur et qui construit cette modernité aussi sur le pillage du Congo et l’exploitation de son peuple. Secundo : la RDC est vraiment stratégiquement importante de par ses ressources.

Pour l’impérialisme, il ne faut surtout pas que le Congo se développe et devienne réellement indépendant. Frantz Fanon a écrit : « l’Afrique a la forme d’un revolver dont la gâchette se trouve au Congo. Celui qui a le doigt sur cette gâchette détient le pouvoir de construire ou de détruire la sous-région, l’Afrique et le monde. Les Congolais doivent comprendre leur importance stratégique ». C’est pour cette raison que le Congo-Kinshasa a fait l’objet d’une agression intensive au moment de son « indépendance » début des années 60. Il y a eu de terribles massacres contre ceux qu’on appelait à l’époque « les nationalistes » – en réalité il faut comprendre les anticolonialistes – et contre les ouvriers et paysans qui étaient portés par les voix de Patrice Lumumba, puis de Pierre Mulele, deux leaders qui se sont battus pour une réelle indépendance et souveraineté du Congo. Il y a eu une véritable destruction de toute la gauche et des mouvements indépendantistes au Congo. Ce gigantesque pays d’Afrique centrale doit encore se redresser par rapport à cela et, pour se faire, compter sur ses millions de travailleurs, sa jeunesse (ouvriers, paysans, petits commerçants, étudiants…) et les forces progressistes. De notre côté, notre rôle, en Belgique – où le gouvernement contribue à exploiter un pays comme le Congo et d’autres pays du Sud – n’est pas « d’aider » comme veut nous faire croire la pensée dominante mais d’agir de concert contre un même système qui exploite, c’est la solidarité internationale entre les peuples.

Vous évoquiez des mobilisations récentes dont on n’entend pas parler dans les médias mainstream occidentaux : quelles sont-elles ?

Au niveau des grèves, effectivement, on ne les met pas en avant dans les médias. Ce type d’événement est parfois relayé par certains acteurs sociaux comme Viva Salud, une ONG belge. La dernière en date est une grève du personnel de la santé (infirmiers, médecins…) qui s’est produite tant à Kinshasa qu’à Matadi (située à 300 km de la capitale) mais aussi au Kasaï (région de l’ouest du Congo). Il y a également eu la grève des transporteurs routiers, plutôt localisée à l’Est, liée au transport de l’exploitation minière et des salaires qui étaient trop bas. Mais ce qu’on montre, ces derniers temps, dans la grande presse occidentale, ce sont des enfants qui travaillent dans les mines, la façon dont ils sont exploités et leurs conditions de travail horribles. Mettre en scène ces conditions sans livrer le contexte, l’historique, l’explication des processus économiques est une autre manière de s’ingérer davantage dans le pays. Ces images vont servir de support, par exemple, lorsque les États-Unis adoptent, en juillet 2023, un projet pour bloquer l’exploitation du cobalt. Quand on analyse leur utilisation, ces images peuvent servir à empêcher le développement souverain de la RDC. Il faut faire attention à cette propagande qui vise à toucher l’émotion des gens. En tant que population solidaire, en tant que mouvement de gauche, on ne doit pas tomber dans cette forme de piège des gouvernements occidentaux. On doit pouvoir dire que ceci est instrumentalisé dans l’intérêt des grandes puissances pour encore plus d’ingérence. D’autre part, ce qui n’est pas montré, c’est le développement d’usines modernes. La RDC au début des années 2000 n’est pas celle de 2023…

Des images misérabilistes ? Comme celles, par exemple, produites par l’ONG de l’acteur Ben Affleck, qui prétend travailler pour les Congolaises et Congolais ?


Oui, l’ONG de Ben Affleck, Eastern Congo Initiative, participe à cette sorte de campagne qui existe depuis des années. Précisons qu’en 2005 les relations économiques ont repris entre la RDC et la Chine. Celles-ci n’étaient pas absentes sous Mobutu mais, en 2005, le président Joseph Kabila a renoué des relations économiques plus forte avec la Chine. La RDC a ainsi connu une période de renouveau en termes d’exploitation minière. Alors que sa production était presque à l’arrêt, le pays est redevenu premier producteur mondial de cobalt et troisième de cuivre mais dans des relations qui ont été faites avec des sociétés chinoises, à capitaux chinois. Il y a aussi la Gécamines, société appartenant à 100% à l’État congolais, qui a conclu des partenariats avec des sociétés à capitaux chinois où l’on a un actionnariat congolais plus élevé que lorsque c’était avec des sociétés occidentales (comme par exemple Glencore). Il y a encore des sociétés telles Mutanda mining, Katanga mining, qui est à 100 % à Glencore, sont des capitaux anglo-suisse où l’État congolais n’a rien. Si on reprend les sociétés minières comme Sicomines, qui a été fortement critiquée par les États-Unis et par les médias mainstream, mais là l’État congolais a 32 %. En résumé, il y aura une remontée en terme de production industrielle vers une voie de l’industrialisation qui déplaît aux États-Unis dans sa guerre économique contre la Chine. Donc, cette campagne misérabiliste – qui n’est pas du tout une campagne pour les intérêts des travailleurs ou pour les enfants -, est à l ‘image de la colonisation. Celle-ci s’est faite soi-disant pour « la civilisation » du pays, pour y apporter le développement. On est complètement dans le même schéma narratif. C’est vraiment une campagne portée par les États-Unis, relayée par des personnalités comme Ben Affleck.

Comment se matérialise politiquement cette campagne de déstabilisation ?


Il y a eu un projet de loi aux États-Unis, en juillet 2023, qui déclarait vouloir mettre des conditions plus strictes à l’exportation du cobalt. Les termes utilisés sont l’exploitation des enfants, etc. La ministre congolaise des mines a répondu un communiqué de presse en disant qu’il y avait une série de règles qui étaient mis en place. Des règles qui devraient permettre de respecter les conditions de travail, maintenant ce qu’elle dit n’est pas à prendre à la lettre, mais ce qu’il faut savoir c’est que le discours des États-Unis veut empêcher toute production, exploitation et exportation autonome du cobalt, du cuivre. La production interne de diamants a aussi augmenté avec une société à capitaux chinois et capitaux congolais. Et qui dit exploitation et production qui augmente signifie des alliances entre des pays Sud-Sud, comme la RDC avec la Chine. Ce qui fait perdre le monopole aux États-Unis dans la région mais aussi à d’autres sociétés occidentales. En montrant et diffusant des images misérabilistes, c’est une manière de casser cette dynamique économique. Ensuite, ces images donnent aussi une perception aux populations dans les pays du Nord qu’un pays comme le Congo, un continent comme l’Afrique a besoin d’aide, a besoin de venir qu’on sauve les enfants, les femmes, il y a l’image de la population de fonctionnaires qui seraient incompétents, d’un État incapable. A l’époque des indépendances, lorsque Frantz Fanon parlait des attaques contre Lumumba, il disait : « Il faut créer l’image d’un État qui est faible ». Ces images contribuent à l’idée d’un État qui est faible, d’une population incapable, inhumaine, sauvage même. Or, rendre « sauvage », c’est déshumaniser l’Africain, le Congolais. Cela crée cette perception d’un besoin d’aide qui est complètement fausse. En propulsant cette image d’une aide qui serait inévitable, cela occulte le fait qu’il faut s’attaquer aux multinationales et aux différents accords économiques conclus au détriment de la RDC et de l’Afrique.

Des images qui ont donc des répercussions très importantes…


Le code minier congolais a été modifié en 2018. C’est un élément important à relever puisque le code minier avait été influencé en 2002 par les institutions financières, Banque Mondiale et FMI, donc poussant à la privatisation. Concrètement, cela signifiait une diminution de la part de l’État congolais dans les industries minières, des redevances de taxes moins élevées à l’égard des grandes entreprises, etc. Or, le code minier 2018, qui a mis du temps pour être adopté parce qu’il y a eu un grand lobbying des multinationales contre lui, prévoit une plus grande participation de l’État congolais avec des taxes plus importantes. Ce n’est pas quelque chose qui est mis en avant évidemment, mais plutôt caché par les gouvernements européens et nord-américain. Au Mali, le ministre actuel des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, confronte bien la France et l’Occident concernant l’exploitation des ressources du pays en disant : « ce sont nos richesses elles nous appartiennent, c’est à nous de décider ». Précisions que le Mali a aussi adopté récemment un nouveau code minier. Il s’agit d’un enjeu crucial dans toute l’Afrique. Au Sénégal, le président Macky Sall est un grand allié de la France et des États-Unis qui le montrent comme « un exemple de démocratie » alors qu’il y a un grand opposant au président, Ousmane Sonko, très populaire et qui incarne une rupture avec l’impérialisme. C’est un ancien fonctionnaire des finances qui explique que l’horizon à prendre pour son pays, c’est la rupture avec ce système qui accorde des privilèges énormes aux grandes entreprises et qui ne taxe pas les grandes multinationales. Là aussi une grande partie de la population se dit que les ressources du pays doivent lui servir et non pas produire bénéfices et profits incessants pour les multinationales. Cette question des richesses au profit de la population se manifeste d’une autre manière en RDC qu’au Mali, Sénégal, Burkina Faso ou encore au Niger mais elle est bien présente parmi la population, certains mouvements sociaux et même chez certains fonctionnaires.

Pour bien comprendre : les compagnies étasuniennes sont présentes en RDC mais voudraient une plus grosse part du gâteau minier et sont dérangées par la présence de la Chine ?

En fait, les grandes compagnies minières au Congo ne possèdent pas de capitaux étasuniens, plutôt canadiens, anglais, suisse. Les États-Unis viennent défendre ces sociétés même si elles ne sont pas étasuniennes, pour viser la privatisation du secteur minier.

Pour s’insérer dans les prises de décision ?

Oui, et pour déstabiliser constamment. Parce que si on prend Tenke Fungurume, production surtout de cuivre, c’est 20 % à la Gécamines (société minière publique, appartenant 100 % à l’État congolais) et 80 % à capitaux chinois majoritairement. Tenke Fungurume a appartenu à un actionnaire avec capitaux étasuniens (à l’époque Freeport-McMoRan) mais ils l’ont vendu à des sociétés chinoises. Ils se sont retirés. Parfois simplement l’Europe ou les États-Unis n’ont plus les moyens d’aller investir de gros capitaux alors ils déstabilisent. Ce qui leur permet de maintenir un Congo faible et de ne pas devoir investir. Il y a aussi la question des titres miniers. Au début des années 2000, beaucoup étaient achetés par des entreprises étasuniennes qui spéculent sur les titres miniers mais n’en ont rien fait. Elles empêchent alors des sociétés qui voudraient investir dans le pays d’acheter à des concurrents comme la Chine et, d’autre part, elles revendent. En résumé, on achète des titres miniers pour les revendre et pour pouvoir spéculer et mais sans faire aucun investissement dans le pays.

C’est important de préciser le rôle des populations. Dans les grands médias, on voit souvent la politique comme uniquement dépendante des politiciens…

Oui, si le président Tshisekedi s’oppose à Kagamé, c’est parce qu’il est poussé par la population qui en a ras-le-bol. Si Kagamé recule un peu, c’est parce qu’il est poussé aussi par la population congolaise qui le dénonce. Tshisekedi s’est rendu en Chine en 2023 pour la première fois. Il n’y avait jamais été. A la différence de Joseph Kabila, qui s’était rendu directement en Chine après son accession au pouvoir. Après son élection, Félix Tshisekedi, lui, est directement allé aux États-Unis et en Europe. S’il s’est rendu en Chine, ce n’est pas parce que la population a manifesté avec des pancartes, mais car elle lui a fait passer le message suivant : « On veut bénéficier de nos richesses, on veut du travail on veut de l’emploi, on veut des usines, on veut que nos richesses soient exploitées ici ». Nombre de Congolais poussent le président à trouver une solution, à chercher des voies qui mettent en concurrence finalement l’Occident avec d’autres puissances. Le multilatéralisme développé avec la Chine a permis d’apporter un autre paradigme pour la RDC. Tshisekedi est obligé de viser une économie qui tienne la route et est poussé par sa population politiquement vigilante, tandis que cette dernière est souvent présentée de manière misérabiliste dans les pays du Nord…

Comment, à partir de l’Europe, soutenir au mieux la population congolaise ?

En Belgique ou dans les pays du Nord, nous devons avoir conscience que le besoin relève d’une solidarité internationale entre les peuples, c’est-à-dire une solidarité indispensable tant pour les peuples vivant dans les pays du Nord que les peuples vivant dans les pays du Sud, nos luttes ont une base commune. On parle d’exploitation souveraine, on parle de richesses au profit de la population : il s’agit d’une remise en cause du système capitaliste. C’est aussi la construction de mouvements dans les pays du Nord. D’une part, pour dénoncer le rôle néfaste joué par l’Europe, par la Belgique, par les États-Unis et critiquer ce qui y est voté. D’autre part, au niveau de la presse, il doit y avoir un discours alternatif, parler des enjeux actuels, des analyses sur les enjeux internationaux par rapport au Congo et à l’Afrique en général, montrer les différents intérêts économiques et politiques. Ce qu’on peut aussi faire au Nord, c’est relayer vers les députés belges ou européens la demande de mettre l’actualité du Congo à l’ordre du jour. Car les points à l’agenda au parlement européen sont souvent des discussions sur des pays qui sont les alliés de l’Europe. Par exemple, ils ne mettront pas facilement à l’ordre du jour le fait que Macky Sall, leur allié, enferme plus de mille détenus politiques au Sénégal. Ou qu’une multinationale, comme Glencore, impose de mauvaises conditions de travail au Congo et ne paie pas ses taxes… Il faut changer de paradigme par rapport à ce système d’aide au développement dans lequel des acteurs sociaux belges vont « aider » des acteurs en Afrique. C’est fini, ça ! C’est néocolonial et sans avenir. Changer le paradigme, c’est être résolument dans une défense de la souveraineté des pays africains, suivre les mouvements qui tentent d’améliorer les choses et leurs luttes de terrain. Dernièrement des manifestations ont eu lieu à Bruxelles, à Paris pour dénoncer la guerre au Congo avec des jeunes rappeurs, Naza, Gradur, Mokobé, et de nombreux autres artistes issus de la diaspora congolaise et d’Afrique subsaharienne.


Source: Investig’Action

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