Les récentes élections présidentielles en Equateur ont abouti à la victoire du magnat de droite Daniel Noboa. Dans cet entretien, la politologue Irene Leon, membre du Réseau des Intellectuels, Artistes et Mouvements Sociaux pour la Défense de l'Humanité, explique le contexte politique équatorien et les défis à venir.
Le 15 octobre dernier, le candidat de droite Daniel Noboa a remporté les élections présidentielles en Equateur. La candidate du “correísmo” Luisa González avait recueilli le plus grand nombre de votes au premier tour. Quels sont les principaux facteurs qui se trouvent à l’origine de la défaite de la gauche ?
La victoire de Noboa s’explique en trois points. L’un est systémique, l’autre contextuel et le troisième concerne les tactiques de campagne.
Le premier facteur est lié à la permanence du néolibéralisme et au positionnement des alternatives et des propositions de changement telles que celles que l’Équateur a connues. Dans le scénario électoral, le choix s’est posé de manière très tangible dans un contexte de retour du néolibéralisme. Il s’agissait d’une lutte sur le sens, l’avenir et des projets, cette lutte porte sur la capacité du secteur privé et des entreprises à se maintenir au pouvoir. L’Équateur connaît depuis six ans un retour très agressif au néolibéralisme, appuyé par une judiciarisation agressive de la politique et d’amples stratégies médiatiques.
De plus, une intense persécution politique est en cours, visant principalement la Revolución Ciudadana, (Révolution citoyenne); elle s’est exprimée au cours de la campagne avec une violence sans précédent. Des moyens inimaginables ont même été utilisés pour empêcher la victoire de Luisa González, y compris l’assassinat d’un candidat de droite, qui a semé le chaos au moment du premier tour. Dans le même temps, le marketing politique de Noboa, soutenu par les médias corporatistes, a vendu des personnages comme des produits; lui-même était présenté comme un jeune magnat dans lequel s’identifie le désir et l’aspiration, en particulier de la classe moyenne.
L’écart de 3,5 % qui a marqué l’élection peut être relativisé si l’on tient compte de tous les obstacles rencontrés par Luisa. Mais, ce qui importe c’est qu’il reste un grand défi à relever, celui de s’ouvrir encore plus au peuple, d’étudier comment déployer beaucoup plus d’idées et d’efforts pour convaincre la classe moyenne, pour mobiliser le peuple, pour mobiliser dans ce contexte de violence politique, etc.
Noboa aura un mandat assez court, avec des élections prévues en 2025. Comment va-t-il orienter sa politique pour se maintenir ensuite au pouvoir? Et d’autre part, que doivent faire les forces de la Révolution Citoyenne pour se regrouper et tenter de revenir au pouvoir ?
Le mandat de Noboa est court et il entrera très rapidement dans un processus de convocation électorale, mais le projet néolibéral est en train de se renforcer, tout comme le projet stratégique hémisphérique. Par conséquent, le temps compte, les accords peuvent être conclus sous peu et, par exemple, en matière géostratégique, Noboa a déclaré que pour lutter contre l’insécurité ou la présence de capitaux illicites dans le pays, il se tournerait vers des forces étrangères telles qu’Israël.
La continuité néolibérale est prévue, ainsi que les alliances avec les institutions financières internationales, même si nous pourrons en même temps avoir des politiques d’aide pour essayer d’impressionner la population en cette nouvelle période de campagne.
Pour sa part, la Révolution citoyenne bénéficie d’un soutien populaire de 35 à 40 %, basé sur la reconnaissance du projet et surtout sur le leadership de Rafael Correa. C’est un signe du fait que le mouvement pourrait se trouver dynamisé par le renforcement des processus organisationnels et participatifs, par des bonnes pratiques éthiques et politiques de la part des autorités locales qui en font partie. De même, elle doit différencier sa position par rapport à celle des autres courants néolibéraux, elle doit expliquer à la population pourquoi ces processus sont bénéfiques pour le pays, chercher des espaces pour se rapprocher des classes moyennes. En d’autres termes, assumer son rôle de première force politique du pays, car elle l’est encore.
L’une des grandes inconnues de l’échiquier politique équatorien reste le mouvement indigène. S’il a parfois ébranlé le gouvernement de Lenin Moreno, il est resté en marge de ce dernier processus électoral. Quel sera le rôle d’organisation telle que la CONAIE (Confédération des Nationalités Indigènes de l’Equateur) ? Une convergence avec les forces de gauche est-elle possible ?
Dans un pays qui est précisément reconnu comme un État plurinational et interculturel, les peuples indigènes ont une présence importante mais très hétérogène. Tous les courants et tendances politiques sont présents au sein des peuples indigènes.
La CONAIE, elle-même, révèle cette hétérogénéité. Il existe plusieurs organisations, mouvements, forces, de différentes tendances, et ces dernières années, cela s’est accru. Nous avons vu la base se mobiliser avec des propositions de changement face aux mesures néolibérales et les dirigeants s’asseoir à des tables de pourparlers, bien qu’aucune promesse n’ait jamais été tenue. Les dirigeants ont davantage adhéré aux propositions néolibérales qu’aux initiatives de changement proposées par la base. Ces derniers temps, cette situation s’est éclairée, la présence d’acteurs de droite au sein de la direction est désormais de notoriété publique, et il ne fait aucun doute que des mesures politiques doivent désormais être prises pour clarifier ce type de situation.
Il est également important de dire qu’il existe d’autres acteurs qui ont participé aux mobilisations contre ce modèle. Et enfin, la Révolution Citoyenne est le seul mouvement qui, lors de ces dernières élections, a obtenu à l’Assemblée Nationale une majorité d’indigènes et d’afro-descendants.
Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne correspondent pas forcément à celle des membres de l’équipe de rédaction d’Investig’Action.
Traduit par Sylvie Carrasco.
Source : Investig’Action