Honduras: participation et organisation populaires contre le putsch

Interview de Jennifer Moore, journaliste indépendante canadienne et spécialiste de l’Amérique Latine, qui s’est rendue au Honduras pour suivre les mouvements de contestation.

Par Erasmo Magoulas

 

« Nous maintiendrons la liberté, la justice et la démocratie au Honduras, même si pour cela, il est nécessaire d'en finir avec la liberté, la justice et la démocratie ! »Erasmo Magoulas: Après avoir passé plusieurs années en Equateur à suivre des cas de violation des droits de l’homme ainsi que les activités de la corporation minière, vous êtes arrivée au Honduras en plein coup d’Etat militaire. Comment pourriez-vous décrire votre première impression sur la situation des droits de l’homme au Honduras?
 
Jennifer Moore: Je suis arrivée au Honduras quelques jours seulement avant la journée d’action nationale pendant laquelle des marches en provenance de tout le pays ont convergé vers Tegucigalpa et San Pedro Sula. J’étais à Tegucigalpa en tant que correspondante pour la Latin American Information Agency (ALAI). Dès la première semaine, j’ai pu constater de visu la répression violente et systématique infligée à la résistance contre le putsch par le régime de facto depuis le 28 juin. A cela vient s’ajouter une polarisation des médias, dont deux seulement donnent la parole à l’opposition, ce qui leur vaut d’être régulièrement attaqués.
 
J’avais passé quelques jours dans la capitale lorsqu’un couvre-feu militaire a été décrété pour une nuit, au cours de laquelle les bâtiments abritant deux organisations sociales fortement impliquées dans l’opposition ont été la cible de tirs. J’ai également été témoin de la violence et du caractère arbitraire de la répression lors d’une manifestation. Manifestants et simples passants ont été attaqués au gaz lacrymogènes, et nombreux sont ceux qui ont été poursuivis et frappés. Plusieurs dizaines de personnes ont été brutalement arrêtées et emmenées à un poste des Forces Spéciales associées depuis les années 80 aux pratiques de torture et aux disparitions forcées. Un procès leur a ensuite été intenté pour des accusations graves, qui ont généralement été rejetées par la suite. Les militaires ont par ailleurs occupé une université publique pendant tout un après-midi et une soirée; les défenseurs des droits de l’homme ont dû attendre des heures avant de pouvoir entrer et s’entretenir avec les personnes détenues.
 
Le Comité des Familles des Détenus Disparus du Honduras (COFADEH), l’une des organisations honduriennes qui ont soigneusement consigné les violations commises au cours des quatre derniers mois, vient de publier son deuxième rapport. Il y fait état d’au moins dix morts violentes ou assassinats en lien direct avec le coup d’Etat, onze autres en lien étroit avec lui, ainsi que de centaines de violations du droit à l’intégrité personnelle et de milliers de détentions illégales. Le rapport conclut que le but premier de la répression est de criminaliser les manifestations populaires, de contrôler les médias, voire de fermer ceux qui s’opposent au gouvernement de facto, et de suspendre certains droits constitutionnels. Les travaux de plusieurs observateurs internationaux des droits de l’homme qui condamnent l’usage abusif de la force contre des manifestants – dont la Commission internationale des droits de l’homme de l’OAS, Amnesty International et Human Rights Watch – sont venus corroborer ces affirmations
 
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E.M.: Bien que les Honduriens aient été endoctrinés pendant des années par l’impérialisme culturel et politique des Etats-Unis, nous observons une augmentation massive de la conscience, du pouvoir, de l’unité et de l’organisation populaire. Comment expliquez-vous ce tournant social et politique?
 
J.M.: Pendant mon séjour au Honduras, j’ai pu avoir un aperçu des efforts fournis dernièrement en matière d’organisation, mais je dois avouer que ma compréhension de ce type de processus à plus long terme est limitée. Toutefois, selon Leticia Salomon, responsable de la recherche à l’Université nationale autonome, l’opposition a été bien avisée de définir son combat comme étant une opposition au putsch et non une lutte en faveur d’un seul parti politique ou d’une seule idéologie. Sur la base de cette définition très large, la résistance peut s’organiser de sorte à permettre à divers groupes de s’allier, y compris des groupes qui habituellement ne s’engagent pas dans des protestations sociales. Ces groupes ont en commun qu’ils souhaitent défendre la démocratie et qu’ils jugent tous nécessaire d’opérer des changements fondamentaux à long terme, comme demandé dans la proposition de réformes constitutionnelles. Il se trouve que justement, avant même le coup d’Etat, cette proposition avait commencé à rassembler des groupes sociaux organisés, mais le degré d’unité et de convergence n’était pas comparable à celui d’aujourd’hui. Sans doute les putschistes ne s’attendaient-ils pas à une telle résistance. En outre, ce processus semble favoriser l’éducation populaire à large échelle, grâce aux diverses manifestations et formes d’expression artistique que l’on peut voir tous les jours dans la rue.

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E.M.: S’il est vrai qu’il n’y a pas d’antagonismes entre le Président Zelaya et le mouvement de résistance contre le coup d’Etat, ce dernier semble avoir des exigences plus élevées, comme le référendum et l’assemblée constituante. Sous quelle forme avez-vous pu observer ce dilemme entre la restitution formelle et l’augmentation du pouvoir populaire en matière politique et économique?
 
J.M.: La restitution du Président Zelaya s’inscrira dans les victoires remportées par l’opposition au putsch et constituera une preuve de reconnaissance de ce qu’elle a affirmé sans relâche depuis le 28 juin, à savoir qu’un coup d’Etat avait été perpétré et avait perturbé l’ordre démocratique constitutionnel dans le pays. Toutefois, comme le putsch a interrompu les processus d’un grand changement politique et économique, je pense que le problème est loin d’être réglé. Il pourrait même s’envenimer, compte tenu notamment de la probabilité qu’un représentant éminemment conservateur de l’establishment politique et économique soit élu fin novembre. Toutefois, certains secteurs sociaux ont gagné en force et obtenu un plus large soutien non seulement en leur sein, mais aussi au niveau international, grâce à la solidarité qu’ils ont forgée et qui semble avoir donné au pays une place différente sur la carte. Je ne sais donc pas vraiment de quelle manière la base va acquérir encore davantage de pouvoir économique et politique, mais il me semble évident que les gens ne vont pas abandonner leurs efforts dans ce sens et j’imagine que les relations de plus en plus denses qui se tissent dans le pays comme avec l’extérieur grâce à la mobilisation actuelle vont jouer un rôle important.
 
(…)
 
E.M.: Traditionnellement, les corporations minières jouent un rôle important parmi ceux qui défendent les démocraties ouvertes aux investissements étrangers et attachées à une législation non régulatrice concernant l’industrie. Dans quelle mesure avez-vous pu observer ce pouvoir effectif au Honduras?
 
J.M.: Tout d’abord, rappelons qu’au Honduras, le secteur minier est dominé par les investisseurs nord-américains et qu’après les réformes de la loi sur les entreprises minières au lendemain du passage de l’ouragan Mitch, en 1998, il a bénéficié d’un climat particulièrement favorable en ce qui concerne les investissements. Parmi les grandes entreprises actives dans le pays, citons la Gold Corp, de Vancouver, et la Yamana Gold, de Toronto. La mine de San Martin, qu’exploite la Gold Corp, a été vivement critiquée et accusée de polluer l’eau, de provoquer des pénuries de cet élément, de déboiser certaines régions et d’augmenter le taux de maladies cutanées et pulmonaires parmi les populations locales. Pourtant, dans l’ensemble, l’exploitation minière, métaux et non métaux confondus, ne représente que 1,5% du PIB du Honduras et ne fourni que 0,3% des emplois.
 
Par ailleurs, avant l’éviction de Zelaya, des changements importants étaient proposés pour le secteur minier, comme pour bien d’autres. Depuis 2004, le gouvernement du Honduras a cherché à introduire des réformes de la loi minière qui soient plus favorables au pays et aux communautés; il a suspendu l’octroi de nouvelles concessions aussi longtemps que ces réformes ne seraient pas réalisées. Je comprends que le Président Zelaya ait maintenu cette suspension et qu’en mai 2009, il ait présenté au Congrès un nouveau projet, lequel, entre autres changements, interdirait l’exploitation à ciel ouvert ainsi que l’utilisation de substances toxiques comme le cyanure et le mercure. Ce projet devait être discuté en août, mais étant donné le coup d’Etat, il n’a pas eu lieu. Qui plus est, – et cela traduit peut-être certaines intentions de ceux qui ont pris fait et cause pour les putschistes -, Adolfo Facussé, le président de l’Association nationale des industriels (ANDI), dont les membres proviennent de secteurs industriels très variés, a proposé d’autoriser l’exploitation à ciel ouvert afin d’attirer davantage d’investissements étrangers et rattraper ainsi les pertes économiques colossales subies par le Honduras depuis le 28 juin. J’ai entendu parler d’autres cas où des intérêts dans le secteur minier étaient liés au coup d’Etat. A titre d’exemple, l’organisation Rights Action a révélé que la Gold Corp avait financé la participation de travailleurs à des marches en faveur du secteur minier.
 
E.M. En tant que journaliste travaillant pour plusieurs médias alternatifs dans les deux Amériques, quelle a été l’expérience la plus marquante de votre séjour au Honduras?
 
J.M.: J’ai été très émue de rencontrer des personnes extraordinaires, qui participent au mouvement de défense de la démocratie au Honduras.
Je pense à des meneurs infatigables, comme Rafael Alegria de Vía Campesina, qui vont au-delà de l’épuisement physique et mental pour poursuivre leur combat dans la rue jour après jour. Je pense également aux défenseurs des droits de l’homme du COFADEH, comme Bertha Oliva, qui enregistrent méticuleusement les violations commises afin qu’elles ne tombent pas dans l’oubli et ne restent pas impunies – car il existe des similitudes frappantes entre la répression actuelle et les violences des années 80. Je pense aussi aux journalistes indépendants honduriens, comme Felix Molina de Radio El Progreso et bien d’autres, qui font tout ce qui est en leur pouvoir pour informer les gens malgré les attaques répétées contre leur média, et en ce sens jouent un rôle déterminant. Et je pense, bien sûr, à tous ces hommes, ces femmes et ces jeunes, qui témoignent généreusement et réussissent, contre vents et marrées, à conserver leur énergie, leur créativité et leur détermination dans leur lutte pour une restauration de la démocratie au Honduras.

 

Traduit de l’anglais par Chloé Meier pour Investig’Action

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