Hanan Ashrawi a été membre du comité exécutif de l’OLP et a participé aux accords d’Oslo. Si elle n’est pas connue pour être l’une des figures les plus radicales de la résistance palestinienne, elle ne baisse pas sa garde pour autant, prête à boxer avec des mots qu’elle ne mâche pas, comme dans cette interview sans détours. Ashrawi y fustige les crimes de l’occupant israélien et la perception du Hamas en Occident. Elle insiste sur la nécessité de replacer le problème palestinien dans son contexte pour la paix mondiale. (I’A)
Hanan Daoud Mikhael Ashrawi, peut-être le visage le plus visible de la Palestine après feu Yasser Arafat, était la porte-parole officielle de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Chrétienne palestinienne, elle a représenté Jérusalem au Conseil législatif palestinien en 1996 et a été réélue en 2006. En 2020, Ashrawi a démissionné pour protester contre la décision de l’Autorité palestinienne de renouveler la coordination de la sécurité avec Israël. Elle a critiqué les accords d’Abraham, estimant qu’ils excluaient la question palestinienne. Récemment, Ashrawi a été nommée présidente du conseil d’administration de l’université de Birzeit, en Cisjordanie, ce qui la ramène à l’endroit où elle a enseigné la littérature anglaise en 1990. Elle s’est entretenue avec Frontline par téléphone depuis sa résidence à Ramallah. Extraits :
Avez-vous été surprise par l’opération du Hamas du 7 octobre ?
J’ai été à la fois surprise et pas surprise. C’est une opération sans précédent dans la mesure où les combattants palestiniens ont affronté l’armée israélienne, lui ont tenu tête et, à bien des égards, ont démenti sa prétention d’être une armée forte et invincible. Il s’agissait d’un acte de résistance contre l’armée d’occupation qui encercle Gaza et qui bombarde et tue régulièrement des civils.
Ce qu’Israël fait aujourd’hui à Gaza, il le fait depuis des décennies. Des milliers de Palestiniens ont été tués lors de cinq attaques précédant celle-ci contre Gaza. Il s’agit d’une terreur systématique. Ils tuent les habitants de Gaza à grande distance ; ils n’ont pas besoin de regarder les victimes dans les yeux. C’est une politique que l’armée d’occupation israélienne poursuit contre les civils palestiniens. Les médias grand public font de fausses déclarations, reprennent les déformations d’Israël et discutent de l’incident sans aucun contexte. Ce récit a pourtant été réfuté à maintes reprises.
Il y a un sentiment répandu selon lequel le Hamas n’a apporté que la mort et la destruction aux Palestiniens. Comment voyez-vous cela ?
Le Hamas est-il présent en Cisjordanie ? Avez-vous une idée de ce qui s’y passe ? Où est la moralité du monde lorsque des Palestiniens sont tués ? Pourquoi demande-t-on seulement aux Palestiniens de faire preuve de force morale ? Posez-vous ces questions et essayez de trouver des réponses. Blâmer les Palestiniens et les faire se sentir coupables fait partie du schéma. Ils sont déjà en train de conquérir la Cisjordanie. Chaque jour, des violences y éclatent entre des colons soutenus par l’armée israélienne et des Palestiniens. Avant même le 7 octobre, l’année 2023 était déjà la plus sanglante pour les Palestiniens. Et cela se passe en Cisjordanie, où il n’y a pas de Hamas.
Nous sommes attaqués tous les jours. Chaque ville et chaque village de Cisjordanie est assiégé par des colonies de peuplement, les gens n’ont aucune protection. C’est ce qui m’inquiète. Cette violence se déroule dans l’obscurité, sans bruit, et le monde n’en sait rien.
Que signifiera cette action du Hamas pour la cause palestinienne au sens large ?
Je crains qu’elle ne soit utilisée pour étiqueter les Palestiniens. Si vous regardez la colère des habitants de Gaza depuis 17 ans… Ils n’ont eu aucun espoir. Ils ont été bombardés et tués. La nourriture, l’eau, la terre, tout ce qu’ils avaient leur a été enlevé. Ils ont été traités comme des sous-hommes, privés de leurs droits.
L’Occident soutient la demande d’Israël d’éliminer le Hamas. Beaucoup ont assimilé le Hamas à ISIS.
Savez-vous ce qu’est le Hamas ? Ils [les Israéliens] ont déjà essayé de l’éliminer. Ils ont bombardé, pilonné et tué des gens, éliminé des familles entières. Mais cela n’a pas éliminé le Hamas. Ils ne comprennent pas que le Hamas est une organisation politique et militaire. Il est à la tête d’un gouvernement. Il dispose d’une organisation, d’institutions, de programmes de protection sociale. Ce n’est pas un simple groupe de combattants surgi de nulle part. Il fait partie du tissu politique. Ils se sont présentés aux élections.
Comment vont-ils éliminer le Hamas ? Vont-ils tuer tout le monde ? Si vous interrogez les habitants de Gaza, ils vous diront qu’au moins, quelqu’un les a défendus.
En tuant des gens et en bombardant, ils n’affaiblissent pas le Hamas, ils en réveillent d’autres. L’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a emprunté la voie de la négociation, mais n’a rien obtenu en retour. Nous avons essayé d’être gentils et nous avons pensé que le monde nous entendrait. Cela n’a pas été le cas.
Israël accuse les divisions dans les rangs palestiniens d’être à l’origine de l’échec de la solution à deux États convenue dans le cadre du processus de paix d’Oslo. Vous avez participé à ce processus. Pouvez-vous expliquer pourquoi il a déraillé ?
C’est une histoire tragique. Alors même que nous avions signé et progressé vers le processus d’Oslo, Israël a continué à confisquer des terres et à construire des colonies. Je les mets au défi. Ils ne peuvent pas rejeter la responsabilité de l’échec sur les Palestiniens. Ils voulaient contrôler de vastes zones. Ils nous ont dit : vous avez la partie haute de Jérusalem, nous aurons la partie basse. Je leur ai dit que Jérusalem n’est pas un oignon que l’on peut couper en tranches. Les négociations se poursuivaient, mais n’aboutissaient à aucun résultat.
En novembre 1995, [Yitzhak] Rabin est assassiné par un extrémiste israélien opposé au processus de paix. L’année suivante, Benjamin Netanyahou, opposé aux accords d’Oslo, a été élu Premier ministre. Il voulait mettre un terme au processus de paix, et c’est ce qu’il a fait.
Même dans la zone A [où l’Autorité palestinienne exerce un contrôle total sur la vie civile et la sécurité], les Israéliens entrent quand ils veulent, font sauter les portes, arrêtent et tuent des gens. Le processus d’Oslo est honoré davantage par la rupture que par le respect. Israël choisit ce qui lui plaît dans ce processus…. Oslo a été un outil très pratique pour les Israéliens afin de s’emparer de plus de terres, de gagner plus de temps et de créer plus de faits accomplis. Aujourd’hui, ils accusent les Palestiniens d’être responsables de la sécurité de l’armée. Leur armée pénètre dans les zones A et B [la zone B est celle où Israël et l’Autorité palestinienne exercent un contrôle conjoint de la sécurité] tout en ne permettant pas aux forces de sécurité palestiniennes de défendre les Palestiniens.
Comment le processus peut-il redémarrer ?
Il faut mettre fin à l’occupation et à la brutalité. J’aimerais que toutes les parties respectent le droit international et le droit humanitaire international. L’attaque du Hamas prouve que les Palestiniens n’ont pas oublié, qu’ils ne se sont pas exilés et qu’ils n’ont pas capitulé. Ce qui rend la droite israélienne folle, c’est que les Palestiniens n’abandonnent pas. Pour moi, c’est une source d’espoir. Il est temps que le monde comprenne le problème palestinien dans son contexte, et non pas au coup par coup. Et ce problème doit être traité dans l’intérêt de la paix mondiale.
Source originale: Frontline
Traduit de l’anglais par Investig’Action
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