Police officers throw tear gas to demonstrators during a protest against insecurity in Carrefour-Feuilles, a district of Port-au-Prince, Haiti, on August 14, 2023. (Photo by Richard PIERRIN / AFP)

Haïti, un nouvel affront ?

Les dés sont jetés : en octobre 2023, la communauté internationale décide du destin d’un pays souverain, au prétexte de rétablir la sécurité, alors que le peuple revendique son droit à l’autodétermination comme inscrit dans la Charte des Nations Unies.

Une partie importante de ce peuple a travaillé, en assumant sa souveraineté politique,  sur la construction d’une alternative présentée dans les Accords de Montana qui contiennent un ensemble de mesures proposant une transition démocratique. Cela a été fait dans le souci de prendre des responsabilités citoyennes et de contribuer à une solution à la crise.

Malgré leur détermination à faire entendre une voix constructive, le CORE group représenté essentiellement par un syndicat d’ambassadeurs -ce qui n’existe dans aucun autre pays, -peut-être en Palestine dans la période post Accords de Camp David-, n’a eu d’autres propositions que de soutenir un premier Ministre, Ariel Henry, non légitime puisque choisi par ce même Core group et de rendre possible l’intervention d’une force étrangère. L’objectif de ce Core group est bien de réduire l’autonomie du pays en étouffant toutes les voix alternatives et critiques en renvoyant le peuple haïtien à un statut de peuple dépendant du maître, les Etats Unis. Beaucoup d’états devraient s’inquiéter : qui sera le prochain à perdre sa souveraineté politique ?

Cela ravive de bien étranges moments historiques ; entre autres lorsque la France a fait plier Boyer pour obtenir le paiement d’une dette illégale et illégitime ou lorsque les Etats Unis sont partis en pillant l’or haïtien contenu dans les coffres de la banque du pays ou lorsque de nombreux présidents haïtiens se sont maintenus au pouvoir grâce à l’utilisation de gangs qui aujourd’hui tiennent plus de 80% de la ville de Port au Prince… La communauté internationale a une perception fluctuante de ses obligations par rapport au « Peuple des Nations ». Ce Peuple n’existe plus, il ne reste que le marché financier et « la loi et l’ordre » à maintenir pour garantir la prospérité de quelques-uns. L’or d’Haïti suscite des envies, des jalousies, qui arrivera à se l’attribuer ?

Alors de violations du droit international en violation du droit à la vie, envoyer une force d’intervention -Multinational Security Support, MSS- achève de déstructurer et de délégitimer le droit international et le droit humanitaire international. Rappelons que cela a commencé avec la Palestine, s’est renforcé avec des interventions militaires illégitimes en Afghanistan, en Irak, en Libye, au Yemen menées par les impériaux Etats Unis soutenus par nombre de pays, dont la France.

Ceux qui assurent qu’il est important de restaurer « l’ordre démocratique » en Haïti, parmi eux Antony J Blinken, feraient mieux de se souvenir des arguments employés pour justifier des opérations militaires extérieures qui ont conduit des pays vers le chaos sans résoudre aucune des raisons pour lesquelles certains pays étaient partis l’index sur le bouton ´missiles’. Leur ordre et leur loi sont ceux employés par la mafia financière dont la fortune est bâtie sur du commerce illégal, du blanchiment d’argent et de la corruption.

Haïti, à coup de décisions prises par l’extérieur va-t-elle devenir ce qu’était Cuba avant l’arrivée de Castro ? Un centre de loisir à grande échelle, où tout est permis pour le plaisir des Nord-Américains et de leurs alliés mais avant l’Oncle Sam aura vidé ce pays éduqué, prolixe, curieux, de tous ses intellectuels en leur proposant des facilités d’émigration refusées à nombre de migrants. Une fois encore cela rappelle d’étranges souvenirs, on choisit sur catalogue son migrant ! On achète les cerveaux utiles.

Cette décision présentée comme « historique » par le centre des media de l’ONU, est au contraire dangereuse pour les peuples et les Etats réduits à être le jouet des décideurs financiers ou des faiseurs de guerre. Au-delà, demander au Kenya de prendre le commandement de cette force est d’un cynisme absolu. Les Blancs vont donc regarder les Noirs s’entretuer ; le Core group pense-il vraiment que les gangs, armés par certaines puissances occidentales, vont abandonner la manne que représentent les importations et le trafic de drogue dont bénéficient ces mêmes pays occidentaux ?

Les jeunes des gangs n’ont rien à perdre ; ils n’ont jamais rien eu, aujourd’hui, ils sont craints, adulés par certains, enviés par d’autres même s’ils suscitent une terreur fort légitime. Fatalistes, ils savent que leur vie ne tient qu’à une balle.

Le résultat est sans appel ; ce sont des Noirs qui vont venir sécuriser le pays ; encore une fois cela renvoie au moment où le propriétaire de mis en esclavage déléguait la gestion quotidienne des Bossales par les créoles, nés de l’acte de viol, cela pouvait se faire car ils étaient métisses. On voit bien ici que l’ONU joue un jeu délétère, cynique et cruel ; elle produit elle-même du racisme institutionnel et se lave les mains de ce qu’elle est entrain de produire.

Au lieu de réguler les va-t-en-guerre, elle pousse à l’intervention qui ne peut que se terminer par un bain de sang. Elle n’a même pas encore répondu de son crime contre l’humain en ayant introduit le choléra -toutes les demandes envoyées par les Haïtiens sont restés lettre morte- qu’elle s’embarque dans une nouvelle œuvre cynique, illégale. L’ONU, fondée pour maintenir la paix et réguler les rapports de force, s’est aujourd’hui vautrée dans le stupre de l’argent facile et sale.

Haïti n’a besoin ni de larmes, ni de mots s’apitoyant ni de Core group mais qu’on lui laisse diriger son devenir en obligeant la France à rembourser la dette exigée illégalement, le rapatriement de l’or volé par les USA, l’annulation de la dette publique. Ces pays se sont enrichis sur le crime et le vol, à eux de rétablir Haïti dans son Etat et dans sa nation. L’ONU devrait exiger que le processus des réparations politiques soit un point essentiel de son ordre du jour plutôt que de partir en guerre contre les peuples. Ceux-ci risquent bien un jour de se réveiller et de demander des comptes à cette communauté internationale tout aussi failli que le gouvernement d’Ariel Henry.

Haïti a besoin de la mise en place d’une solidarité sans faille, a besoin « de rompre avec ce type d’apartheid qui ne dit pas son nom qui veut que plusieurs Haïti vivent côte à côte sans se rencontrer ». Haïti ne doit plus être ce pays convulsionnaire décrit par Aimé Césaire, mais être « l’Haïti, d’Amour, de Solidarité avec les autres peuples, de générosité, d’émotion ».

Avec cette ingérence décidée, « la perspective d’un pays de rire, de danse, de force puisée dans la dérision, s’éloigne ». Allons-nous laisser ce pays être la proie des prédateurs ? Nous devons, tous, ne jamais baisser les bras, être aux côtés du peuple haïtien pour qu’il relève la tête pour ne pas se retrouver encore et encore à genou. La solidarité internationale doit s’obliger à reconquérir avec le peuple haïtien sa dignité volée par le système capitaliste libéral raciste. Nous devons partager notre force de résistance, nous devons lutter pour que le plan alternatif soit accepté, seul à même de lui permettre de reprendre sa souveraineté politique et son auto détermination. Nous devons être l’écho de la lutte de ces femmes et de ces hommes bravant l’indignité et la couardise de la communauté internationale.

Puisque la communauté internationale a décidé, par un coup de dé, de l’avenir fratricide du peuple haïtien, elle doit se rappeler qu’aucun « coup de dé ne peut abolir le hasard » (Poème ; 1914 ; Stéphane Mallarmé).

Ne nous contentons pas de nous indigner, soyons debout, résistons avec les Haïtiens à l’occupation et à la soumission qui s’annoncent. En nous tenant aux côtés du peuple haïtien souverain,nous sauvons la dignité qu’ils nous ont offerte en se libérant de la mise en esclavage et en instaurant la première République noire.

Source : Fondation Franz Fanon

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