Les pays occidentaux se distinguent par leur silence complice sur les massacres en cours à Gaza et au Liban. Comment expliquer les comportements des États arabes face au bombardements incessants menés par Israël? Les BRICS peuvent-ils jouer un rôle dans cette guerre atroce menée par le gouvernement de Netanyahu? Ou plus précisément le rapprochement Iran-Arabie Saoudite? Assistera-t-on à des révoltes des populations des pays arabes? Des questions que nous avons posé à Gabriel Galice, président du GIPRI, Institut International de Recherches pour la Paix à Genève.
Avec le début de la guerre menée par Israël au Liban, on pouvait s’attendre à une opposition plus forte de la part des pays arabes.
S’il avait dû y avoir une opposition plus forte, elle se serait déjà manifestée au moment des massacres à Gaza. Je crois que c’est une des clés du problème, les États-Unis et Israël appliquent avec beaucoup de méticulosité le principe « diviser pour régner » . De ce point de vue ils réussissent très bien. Cela ne va peut-être pas durer éternellement. On est encore dans le prolongement des accords d’Abraham, ils n’ont pas été menés jusqu’à leurs termes.
Les attaques récentes d’Israël sur l’Iran ont été présentées comme mesurées, est-ce qu’il y avait une réelle intention de mesure ou la guerre extensive d’Israël arrive à ses limites ?
Je pense que c’est un calcul des deux parties, les attaques de l’Iran sont également très mesurées. Des deux côtés, ils font le minimum syndical parce qu’ils savent que c’est trop dangereux d’aller plus loin. Ils ne peuvent pas ne pas répondre mais ils ne peuvent pas non plus faire n’importe quoi. Israël est assez fort pour taper sur des civils, civils libanais, civils palestiniens, mais quand il s’agit de s’attaquer à une armée, c’est beaucoup plus compliqué.
La participation aux BRICS peut-elle changer le comportement de certains pays comme l’Égypte et l’Arabie Saoudite ?
Avant même les accords d’Abraham, il y avait une vieille complicité plus que tacite entre l’Arabie Saoudite et Israël. Elle est secrète mais explicite (lire notamment « Les dollars de la terreur » de Richard Labévière). Quant aux dirigeants égyptiens, ils sont tout simplement infâmes parce qu’ils participent au blocus et au massacre de la population palestinienne.
Le projet des BRICS, c’est une visée à long terme qui est construite sur une alliance des oppositions à l’hégémonie mondiale des États-Unis, hégémonie économique principalement, assise sur le dollar. Il y a une espèce de sursaut après le moment unilatéral qui a duré quelques années après la chute du mur de Berlin où les États-Unis se sont crus tous permis. Une opposition s’est constituée petit à petit et elle finit par se fédérer, par exemple avec l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), un volet complémentaire aux BRICS. C’est un ensemble de réactions qui, petit à petit, essayent de se dégager de la domination occidentale et étasunienne principalement mais ce n’est pas un outil diplomatique alternatif car chaque pays continue à avoir ses propres intérêts.
Vous parliez du rapprochement entre l’Arabie Saoudite et Israël, un papier de Médiapart montrait les projets économiques communs entre Israël et l’Arabie Saoudite. Les discours de l’Arabie Saoudite sont contraires à leurs actes ?
Ben sûr ! Il y a régulièrement des camions qui viennent d’Arabie Saoudite et qui passent par la Jordanie pour aller en Israël, donc il y a des livraisons, il y a des accords. Mais ce n’est pas seulement vrai pour l’Égypte et pour l’Arabie Saoudite, c’est vrai aussi pour la Turquie ! Vous avez entendu le discours d’Erdogan à l’assemblée générale de l’Onu ? Il a fait un discours remarquable où il dénonce le génocide et les massacres d’Israël à Gaza, mais il fait quoi Erdogan ?
J’ai publié un article qui a été repris notamment par Le Soir de Bruxelles, qui proposait de sauver Gaza par la mer. Par une intervention navale qui serait une intervention humanitaire appuyée par des navires de guerre et qui permettrait à des secours d’arriver. C’était avant que Biden ne lance son plan de pont provisoire, qu’il a abandonné depuis. L’idée était d’obliger Israël, sous le rapport de force, parce qu’Israël ne comprend que le rapport de force, en disant « nous on fait du droit humanitaire ».
Jusqu’à maintenant il y avait eu des flottes qui avaient été repoussées parce qu’elles n’étaient pas confortées par une marine de guerre. Mais si un certain nombre de pays musulmans ou arabes le décidaient, ils pourraient le faire. Or, ils ne le font pas et les seuls qui ont fait des choses concrètes, à ma connaissance, ce sont les Algériens.
Ils ont porté des initiatives diplomatiques, ils ont fait voter par l’ONU une résolution demandant le “cessez le feu”, qui n’a pas été appliquée. Ils ont accueilli des enfants palestiniens blessés, c’est du concret, le reste est du baratin. De la même manière que c’est du baratin aux États-Unis ou au sein de l’UE : on verse une petite larme et on continue parallèlement de proclamer que l’on soutiendra Israël quoi qu’il se passe.
Il n’y a qu’au PTB en Belgique que l’on entend des orateurs courageux mais à part ça personne n’ouvre sa bouche, cédant partout à l’argument terroriste que la critique d’Israël c’est de l’antisémitisme. On en est là !
Les pays arabes font beaucoup de gesticulations, le pire c’est l’Égypte. Ils ont un argument totalement vicié et vicieux qui consiste à dire, si on laisse passer c’est difficile maintenant parce que les Israéliens bloquent même la frontière intérieure de Gaza, ce qui n’était pas le cas au début. Mais si les Égyptiens l’avait vraiment voulu, ils auraient laissé passer les Palestiniens. Leur argument est de dire, « on ne va quand-même pas les mettre dans le Sinaï, ça serait une déportation et ils ne reviendront plus à Gaza parce que les Israéliens vont tout occuper ». Oui, d’accord mais en attendant ils se font tuer sur place, c’est d’un cynisme absolu. Il y a des degrés dans le cynisme, les summum c’est l’Égypte et puis parmi ceux qui sont les plus défendables, sous réserve d’inventaire, il y a les Algériens.
Vous avez toutes les nuances possible d’attitudes ambigües dont celle de la Turquie. Elle a directement les moyens militaires et les moyens logistiques de faire autre chose. Erdogan a fait un beau discours à New York mais après il est rentré chez lui. Il a menacé mais il ne fait rien, on est dans la rhétorique et ce n’est pas ça qui va sauver le pauvre peuple palestinien.
Est-ce que le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie Saoudite initié avant le 7 octobre pourrait se poursuivre et influer sur les guerres d’Israël ?
C’est la médiation chinoise qui a permis il y a quelques années déjà le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Et contrairement à ce que disaient tous les experts de plateaux de télé qui pensaient que c’était un débat chiites/sunnites, ce n’est pas du tout un débat religieux, c’est une rivalité entre deux puissances régionales. Pas la peine d’aller chercher des querelles religieuses là où il n’y en a pas.
Les Chinois ont rassemblé l’opposition palestinienne chez eux, ils sont très actifs et ils le font à la chinoise, comme d’autres orientaux, ils ne fonctionnent pas comme les occidentaux, ne font pas de spectacle. Nous on montre le pouvoir, en Asie on le dissimule.
En Asie, le plus grand chef est celui que l’on ne voit jamais a écrit Lao Tseu. Et ça c’est plus intelligent que de montrer ses muscles et de faire le Rambo à la télé. Le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie Saoudite est un élément fort.
Je ne suis pas de ceux qui pense que les BRICS et les accords de Shangaï soit une alternative à la domination occidentale. Pour certains c’est une alternative, pour d’autres cela relève du multi alignement. C’est un concept qui est pratiqué par les Turcs notamment, et ils y tiennent. On est pas aligné, on est multi-aligné, on reste dans l’OTAN mais on se rapproche de la coopération de Shangaï et des BRICS.
C’est ce qu’aurait dû faire la Suisse plutôt que de s’aligner simplement sur les États-Unis et l’UE.
Est-ce que la dissension entre le discours des gouvernements et leurs actes, leurs comportements par rapport à Israël, ne va pas pousser à un moment donné les populations à des soulèvements du type des printemps arabes?
Cela pourrait arriver, bien que les printemps arabes ne soient pas homogènes. Au début, la Tunisie était vraiment un soulèvement populaire suite au vendeur ambulant qui s’est immolé, il y avait une société civile active, un syndicat puissant, une population cultivée. C’était un cas particulier, il y avait une vraie résistance. Alors qu’ailleurs c’était beaucoup plus douteux, avec des luttes de factions qui ont été instrumentalisées de l’extérieur, les États-Unis ayant joué une fois les uns, une fois les autres. Par moments les islamistes et quand ça tournait mal ils ont remis les autres en place. Je pense que malheureusement les pauvres populations arabes sont assez désarmées, elles sont physiquement face à des pouvoirs assez autoritaires qui n’hésiteront pas à les réprimer violemment, dans à peu près tous les pays. Je crains que ce ne soit pas la solution, ça peut faire une pression qui n’est pas négligeable mais de là à ce que ça fasse une révolution, ce n’est quand-même pas sûr, mais ce n’est pas exclu.
Source : investig’Action