Eté 2023 à Chisinau : la Moldavie sur le fil du rasoir

Amoureux de la Moldavie, Philippe Stroot s’y rend régulièrement depuis plus de trente ans. Lors de son dernier voyage, il a pu constater que l’atmosphère y était lourde, mais ce n’est pas tant la chaleur estivale que le climat politique qui pèse. Là aussi, l’euro-atlantisme échauffe les esprits. La Moldavie sera-t-elle la prochaine Ukraine? Comparaison n’est pas raison, mais… (I’A)


 

Dans l’une de ses nombreuses interviews récentes, le colonel étasunien Douglas McGregor, ancien conseiller du pentagone et très bien informé de la situation géopolitique mondiale, comparait l’OTAN-UE au Titanic et l’Ukraine à l’iceberg qui a envoyé par le fond le célèbre transatlantique. Il est bien connu que quelques minutes avant la catastrophe l’orchestre continuait à jouer et les riches passagers à danser comme si de rien n’était. Nul n’a jamais entendu dire, en revanche, que des passagers retardataires seraient précipitamment arrivés en chaloupes pour s’empresser de monter à bord du navire afin d’être surs de ne pas rater le désastre. C’est pourtant bien l’impression que donne un pays comme la Moldavie, dont les dirigeants semblent impatients de renoncer à leur neutralité pour adhérer à l’euro-atlantisme, avec tout ce que cela implique comme perte de souveraineté et comme danger de guerre et de conflits.

Composée d’une majorité roumanophone et de fortes minorités russophone, ukranophone et bulgarophone, sans parler des Gagouzes orthodoxes mais turcophones, la population moldave est divisée entre « pro-occidentaux » et « pro-russes », comme l’Ukraine d’avant le coup d’État de 2014. Seule une politique de neutralité est donc susceptible de lui épargner une catastrophe comme celle qui dévaste l’Ukraine depuis neuf ans. Une telle perspective ne semble pourtant pas effrayer l’équipe de «young leaders » formés aux Etats-Unis qui dirige actuellement le pays. Les Moldaves assistent donc depuis le début de la guerre dans le pays voisin à un véritable défilé ininterrompu de dirigeants de pays de l’OTAN, et même de la Suisse, qui se succèdent à Chisinau pour tenter d’arrimer définitivement la Moldavie au Titanic occidental et accessoirement de la pousser à s’engager encore davantage contre la Russie. La dernière personnalité en date est une certaine Samantha Power, ancienne représentante des Etats-Unis d’Amérique à l’ONU et actuellement à la tête de l’USAID, agence « d’aide au développement » mais surtout paravent de la CIA. On se demande ce que quelqu’un de cet acabit peut bien aller faire à Chisinau par les temps qui courent…

La plupart de ces visiteurs qui se bousculent n’avaient jamais manifesté le moindre intérêt pour ce petit pays charnière entre le monde latin et le monde slave, et qui pourrait à ce titre jouer un rôle important en faveur de la paix et la coopération entre la péninsule extrême-occidentale de l’Eurasie qu’est l’UE et le reste de ce gigantesque continent. Mais comme cela ne plairait pas au maître de Washington, la Moldavie risque d’être entraînée à son tour dans une catastrophe militaire, économique, sociale et culturelle.

A la différence de l’Ukraine, la Moldavie ne compte pas de groupes fascistes ou néo-nazis influents, les partisans du rattachement à la Roumanie préférant lutter pour imposer l’usage unique du roumain comme moyen de promouvoir la « langue nationale ». Mais même cette ambition semble dépassée, tant l’anglais devient omniprésent, dans l’indifférence générale. En outre, de plus en plus de Moldaves quittent définitivement le pays par centaines de milliers pour aller chercher fortune à l’étranger, que ce soit en Russie, en Europe occidentale ou au paradis étasunien. Comme d’autres, le pays se vide peu à peu de sa population la mieux formée, alors même que de nouveaux immeubles poussent comme des champignons, au point que certains observateurs facétieux se demandent s’ils sont destinés à loger des migrants clandestins renvoyés des pays de l’UE ou plutôt les familles de futures forces d’occupation étasuniennes…      

Quoi qu’il en soit, l’atmosphère en Moldavie est plutôt lourde en ce début d’été 2023, même si la population continue à vaquer à ses occupations habituelles, à faire la fête avec des produits agricoles d’une qualité souvent insoupçonnable ailleurs, avec des vins excellents et l’une des plus belles musiques populaires du monde, le tout dans des paysages magnifiques et généralement préservés. Le nombre de voitures de luxe, souvent rachetées d’occasion à l’ouest, ne cesse d’augmenter et les bouchons aux heures de pointe dans la capitale ont de moins en moins à envier aux grandes villes des pays dans lesquels tant de Moldaves rêvent d’aller s’enrichir. Au point que certains se demandent s’il n’y aura pas un jour davantage de voitures que d’habitants… En l’absence d’incident à la frontière de l’est, un fait divers sanglant vient néanmoins de susciter l’inquiétude : un repris de justice tadjike, furieux semble-t-il qu’on lui refuse l’entrée dans le pays, a tué deux policiers à l’aéroport de Chisinau après s’être emparé de l’arme de l’un d’entre eux. Rien à priori de géopolitique, mais pas non plus de nature à rassurer la population. 

L’avenir de la Moldavie est plus qu’incertain, mais comme le pire n’est jamais sûr il faut espérer que les Moldaves seront, au bout du compte, capables de résister à l’appel de sirènes sans scrupules qui veulent les attirer dans leur jeu mortifère et de comprendre où se trouve leur véritable intérêt en tant que nation indépendante.

 

Source: Investig’Action

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