Amérique Latine en Résistance: Elections en Bolivie

Éditorial / Le retour du MAS?

 

En Bolivie, les élections auront lieu dans quelques semaines à peine et le Mouvement pour le socialisme (MAS), dirigé par l’ancien président déchu, Evo Morales, alerte la communauté internationale sur ce qu’il considère comme une tentative du gouvernement de Jeanine Áñez d’éviter les élections.

La plainte intervient après que Luis Almagro, secrétaire général de l’OEA, réuni à Washington avec Arturo Murillo, ministre du gouvernement bolivien, ait exprimé sur son compte Twitter son inquiétude quant à une possible «fraude» aux élections. Cependant, quelques jours auparavant, cette instance avait annoncé “l’envoi d’une mission de l’OEA en Bolivie pour la coopération électorale avant les élections” et réitéré “l’appel à la pacification du pays”.

Almagro et l’OEA ont joué un rôle fondamental dans les événements d’il y a un an, à la fois au tout début de l’escalade du coup d’État en remettant en question les résultats électoraux du 20 octobre, et en accélérant la chute de Morales le 10 novembre en présentant le rapport d’audit en avance. Le rapport alléguant la «fraude» s’est par la suite révélé faux et partial, mais il avait déjà atteint son objectif.

Un an plus tard, Murillo est l’un de ceux qui sont chargés de diriger la politique de menaces et de persécution contre le gouvernement déchu, avec l’approbation de Washington et de l’OEA. De fait, Murillo a été, dès les premiers moments, à la tête du ministère du gouvernement et est resté dans un cabinet où seuls sept des 20 ministres d’origine demeurent.

Face à ce scénario, le candidat présidentiel du Mouvement pour le socialisme (MAS), Luis Arce, espère “ne pas recevoir d’instructions pour ne pas organiser les élections ou, enfin, et comme cela s’est produit au Honduras, se trouver dans une situation de fraudes électorales». L’exemple du Honduras est un parallèle dangereux, car Zelaya a été évincé lors d’un coup d’État en 2009 et le régime de Juan Orlando Hernández a frauduleusement obtenu sa réélection en 2017.

Or, le soutien au gouvernement putschiste ne vient pas seulement de Washington. Ce mois-ci, la chancelière Karen Longaric s’est rendue au Parlement européen (PE) à Bruxelles (Belgique), où elle a été vivement critiquée pour avoir organisé un «rassemblement électoral» au lieu d’expliquer comment des élections libres et transparentes seront garanties et si les résultats seront respectés dans la cas où le Mouvement vers le socialisme (MAS) gagne, comme l’indiquent les sondages d’intention de vote.

Malgré toute la propagande médiatique, la répression et les persécutions judiciaires, le parti d’Evo Morales continue d’être en tête dans les sondages. Selon le dernier sondage du Centre stratégique latino-américain de géopolitique, CELAG, le candidat du MAS arrive en tête des préférences électorales avec 44,4% des voix, suivi de Carlos Mesa, avec 34,0%.

Ainsi, il n’est pas surprenant que des responsables du gouvernement de Jeanine Añez cherchent à forcer le Tribunal suprême électoral (TSE) à annuler le statut juridique du MAS et à le retirer de la course électorale, en accusant Arce de “commenter les sondages internes en dehors du calendrier prévu”. Añez a rempli son rôle, en abandonnant sa candidature en faveur de Mesa pour ne pas diviser le vote de droite. Mais même ainsi, le MAS continue d’être le favori pour reprendre la présidence au premier tour.

Les prochains jours seront décisifs pour comprendre comment le gouvernement de facto et de la droite bolivienne vont avancer leurs pions pour tenter de subvertir la volonté du peuple bolivien dans les urnes. Les tentatives successives pour gagner du temps en reportant les élections ont été vaincues par la mobilisation dans les rues.

Dans le même temps, les élections ne sont pas la seule source d’instabilité dans le pays andin. Le gouvernement Añez a été largement critiqué pour sa gestion du coronavirus. Pendant ce temps, le déclin de l’économie bolivienne devrait être – dans le cas le meilleur des cas – de 6% (selon la Banque mondiale, ceci étant très semblable aux données de la Banque centrale de Bolivie). Mais il sera sûrement beaucoup plus important.

Tous ces éléments sont un terreau fertile pour créer une période tendue et décisive. D’une part, les secteurs conservateurs boliviens, de plus en plus discrédités, cherchent à tout prix à empêcher le retour au pouvoir du MAS. De l’autre, le MAS et les mouvements populaires boliviens essayent de restaurer l’ordre démocratique. Ce que l’on sait, c’est qu’on ne peut pas faire confiance à l’impérialisme. Pas même un tout petit peu.

 

Brèves

 

Venezuela / Maduro lance la loi Antiblocus

 

Le Venezuela a approuvé une loi antiblocus. (Prensa Presidencial)

Le président du Venezuela, Nicolas Maduro, a présenté devant l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) un projet de Loi constitutionnelle spéciale Anti Blocus pour faire face aux sanctions imposées par les Etats-Unis.

Selon Maduro, la loi établira “de nouvelles modalités qui contourneront et mettront en échec” tous les mécanismes du blocus nord-américain grâce à “des adaptations et des assouplissements” du cadre juridique national.

Le président a affirmé qu’en raison des sanctions, entre 2014 et 2019, la Venezuela a connu la plus forte baisse des revenus extérieurs de son histoire. A ce sujet, il a expliqué que “ pour 100 dollars ou euros que le pays obtenait par la vente du pétrole en 2014, il en obtient moins d’un aujourd’hui”.

 

Colombia / Motion de censure contre le ministre de la défense

 

Le Ministre de la Défense colombien, Carlos Holmes Trujillo, devra affronter un débat de motion de censure lors de la plénière du Sénat du 13 octobre prochain pour ne pas avoir demandé l’aval du sénat au sujet de la mission de conseil qu’ont mis en oeuvre les Etats-Unis dans le pays.

A la suite de ce débat, la plénière devra voter pour dire si les réponses du fonctionnaire répondent aux attentes et déterminer s’il peut ou non continuer à exercer ses fonctions.

Durant ces dernières semaines, Holmes Trujillo a également été remis en cause pour ne pas avoir respecté un ordre de la Cours Suprême de Justice qui exigeait la restructuration générale de l’usage de la force par les corps de sécurité du pays, y compris l’usage du fusil de calibre 12 par l’escadron Mobil Anti-émeute (Esmad).

 

Chili / Nouveaux abus des forces de police

 

Nouvel abus des carabiniers au Chili (EMOL)

Au Chili, le malaise citoyen s’est réactivé face à la violence policière après que le carabinier Sebastian Zamora ait jeté un adolecent de 16 ans depuis un pont, lors d’une manifestation dans la ville de Santiago.

Sur la vidéo prise au moment des faits, on observe également que lorsque le policier se penche, il voit le corps du jeune homme sur le fleuve et il s’en va. Néanmoins, le Ministre de l’Intérieur chilien, Victor Perez, a assuré que la police “avait bien agi”; elle a appelé les pompiers et un service d’assistance médicale.

Cette version a été démentie par la juge, Ximena Chong, qui a assuré que les carabiniers n’avaient apporté aucune aide à la victime; elle a inculpé Zamora pour tentative d’homicide. En même temps, elle a demandé la mise en détention provisoire de l’officier.

 

Costa Rica / Opposition au FMI

 

Les costariciens se sont élevés contre une possible négociation du Gouvernement avec le Fonds Monétaire International (FMI) portant sur 1750 millions de dollars, ce qui entraînerait une forte hausse des impôts, deux ans à peine après l’approbation d’une réforme de l’impôt qui a soulevé la polémique et causé une ample grève syndicale.

A la suite des fortes mobilisations, le président, Carlos Alvarado, a annoncé le retrait de la proposition de négocier avec le FMI et il a adressé à plusieurs secteurs un appel au dialogue national pour chercher des solutions aux problèmes économiques du pays.

Les prévisions officiels indiquent que le pays clôturera 2020 avec un déficit de 9% du Produit intérieur brut (PIB), une dette accumulée de 70% du PIB et une baisse de 5% de son économie.

 

Equateur / Le binôme Arauz-Rabascall se présente

 

“Le binôme de l’espoir” en Equateur (API)

Le Conseil National Électoral (CNE) d’Equateur a validé l’inscription d’Andres Arauz comme candidat à la présidence et de Carlos Rabascall à la vice-présidence, en remplacement de Rafael Correa, lequel a été radié par une décision de justice le 7 septembre.

Ce duo, baptisé “le binôme de l’espoir” entrera en lice pour représenter le corréisme aux élections de 2021.

Correa, qui considère que le gouvernement de Lenin Moreno “est brisé et tentera d’empêcher la victoire du peuple” a défini Rabascall comme étant un homme très proche, bien qu’il n’ait pas fait partie de la “Révolution Citoyenne”.

 

 

Interview 

 

Mark Weisbrot: “Les piliers de la politique des États-Unis envers l’Amérique Latine sont restés les mêmes tout au long du XXI siècle”

 

Mark Weisbrot est économiste et codirecteur du Center for Economic and Policy Research (CEPR), une organisation non gouvernementale de Washington DC qui se consacre à la réforme de la politique étrangère américaine à l’égard de l’Amérique Latine. Dans cette interview, Weisbrot nous parle de la politique de Trump dans cet hémisphère, des changements éventuels si Joe Biden remportait les élections ainsi que des élections présidentielles en Bolivie.

 

Selon vous, quels ont été les principaux axes de la politique de l’administration Trump à l’égard de l’Amérique Latine? Dans le cas d’un second mandat, peut-on s’attendre à un changement ?

Les principaux piliers de la politique de Trump à l’égard de l’Amérique Latine sont restés les mêmes dans la politique nord-américaine au 21ème siècle. Le premier : soutenir et aider les gouvernements de droite sur le continent. Au Brésil, par exemple, ils ont aidé à persécuter le Parti des Travailleurs. Au Honduras, lorsque Juan Orlando Hernández a «volé» les élections, en 2017, Washington a d’abord ordonné au gouvernement mexicain de l’époque de reconnaître ces résultats avant qu’ils ne se réunissent . Plus récemment, l’administration Trump a également approuvé un financement spécial pour l’Équateur, là où se trouve un gouvernement qui lui convient.

L’autre pilier : essayer de renverser les gouvernements qui ne sont pas assez dociles, et cela avec la collaboration d’autres gouvernements de droite. Le principal exemple, c’est le récent coup d’État en Bolivie, en novembre 2019. Nous avons assisté récemment à une autre tentative de «changement de régime» au Nicaragua. Naturellement, leurs plus gros efforts sont dirigés contre le Venezuela où Trump, de fait, a accru les sanctions qui ont tué des dizaines de milliers de personnes, peut-être des centaines de milliers de Vénézuéliens. Dans tous ces cas, l’alliance avec d’autres gouvernements de droite a été utile.

Selon les derniers sondages, Joe Biden est en tête. Que pourrait espérer le continent sud-américain d’un gouvernement Biden ? S’agissant du Venezuela, ce candidat a critiqué Trump à cause de son manque de résolution dans l’opération de changement de régime.

Je ne prendrais pas trop au sérieux ce que peut dire Joe Biden avant les élections. Il cherche à se positionner à la droite de Trump. C’est un thème de politique électorale intérieure et la Floride est un État décisif. Et puis, il sera bien difficile de le forcer à changer de politique au-delà de ce que nous avons connu sous les administrations Obama et qui s’est avéré terrible. Le problème, c’est que la plupart des présidents des États-Unis ne se soucient pas beaucoup de l’Amérique Latine ; ils laissent la gestion de ces politiques aux institutions en charge de ce que nous pouvons appeler «l’État de sécurité nationale». C’est pourquoi nous avons vu tant de ressemblances entre Obama et Bush. Trump, lui, par contre, a été beaucoup plus extrémiste dans l’opposition aux gouvernements nationaux indépendants et dans le soutien aux gouvernements de droite.

Nous ne savons pas jusqu’où pourrait aller un éventuel changement avec Joe Biden, mais je pense qu’il y a de bien meilleures chances de le forcer à adopter une autre direction. Mais, les changements dépendront des pressions qu’exerceront la base du Parti Démocrate et certains élus du Congrès. Par exemple, Ilhan Omar a proposé une loi qui ressemble à la « Loi sur les pouvoirs de guerre » (War Powers Resolution) de 1973, laquelle rendrait obligatoire l’autorisation des sanctions par le Congrès. Ce serait là un énorme pas en avant.

Le CEPR a été l’une des organisations qui s’est le plus consacrée à analyser la thèse de la “fraude” et à montrer son inanité, thèse largement soutenue par l’OEA, et qui a, à son tour, conduit au coup d’État en Bolivie. Que peut-on espérer des prochaines élections en Bolivie en ce qui concerne la régularité du scrutin ?

Il est bien difficile de prédire ce qui va se passer lors de ces élections, parce que l’OEA aura à nouveau un rôle d’observateur et on ne peut manifestement pas lui faire confiance. Il est parfaitement clair que l’OEA a menti au sujet des élections de l’année dernière. Ses agissements ont été délibérés et elle a accusé le gouvernement bolivien de fraude alors qu’il n’y avait aucune preuve. Un point positif : l’Union Européenne a décidé d’envoyer un petit groupe de députés du Parlement Européen comme observateurs, même s’ils n’agissent pas toujours en toute indépendance par rapport aux États-Unis. Il y aura également d’autres observateurs indépendants. Il faudra une grande vigilance et une bonne organisation pour garantir des élections transparentes.

On ne peut pas faire confiance à l’OEA, même s’il est vrai qu’elle sera sous les regards attentifs d’un grand nombre de personnes depuis que l’on sait que ses accusations de l’année dernière étaient des mensonges.

 

Palais de Carondelet, où la constitution de l’État de Quito a été écrit.

 

Veines ouvertes / L’Etat de Quito

 

Le 11 octobre 1811, au milieu du chaos provoqué par les invasions napoléoniennes, le Junte Souveraine de Quito, a proclamé une république indépendante dans ce qui était alors la province du vice-royaume de Nueva Granada.

Dirigé par des figures comme Ruiz de Castilla, l’évêque José de Cuero y Caicedo et Carlos Montufar, l’État de Quito a eu son propre gouvernement, sa propre armée et sa constitution.

Cet Etat indépendant a duré plus d’une année avant d’être vaincu par les troupes royalistes à la bataille d’Ibarra, le 1er décembre 1812. Malgré sa brève existence, il a été l’un des précurseurs de l’indépendance qui commençait à prendre forme dans les colonies espagnoles.

 

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Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne correspondent pas forcément à celle des membres de l’équipe de rédaction d’Investig’Action.

Traduit par Manuel Colinas Balbona, Ines Mahjoubi et Sylvie Carrasco. Relecture par Sylvie Carrasco.

 

Source: Investig’Action

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