A woman shouts slogans during a rally in support of Colombian President Gustavo Petro in Bogota on February 8, 2024. (Photo by Daniel Munoz / AFP)AFP

Diana Alfonso : “La paix totale doit reconnaître la justice sociale en Colombie”

Le président colombien Gustavo Petro et le Pacte historique ont rencontré de sérieux obstacles dans la mise en œuvre de leur programme progressiste. Dans cet entretien, la journaliste et historienne Diana Carolina Alfonso fait le point sur la situation actuelle dans ce pays d'Amérique du Sud.

Au début du mois, Gustavo Petro a parlé d’une “tentative de coup d’Etat” venant du secteur judiciaire : de quoi s’agit-il et quelle a été la réponse du mouvement populaire ?

Dans le cadre du remplacement des autorités judiciaires, qui concerne à la fois les tribunaux et les organes de contrôle, en l’occurrence le bureau du procureur général, il y a eu une série d’irrégularités coordonnées.

L’une d’entre elles a été l’implication de la procureure générale Cabello lors de l’embauche de membres de la famille de ceux qui allaient faire partie du remplacement des membres de la Cour suprême de justice; décision émanant du bureau de la procureure générale qui était une alliée solide du président Ivan Duque. Toujours au sein du bureau de la procureure générale, le procureur Francisco Barbosa ainsi que son adjointe Martha Mancera, que Barbosa propose pour le remplacer, ont été accusés d’entretenir des liens avec le clan du Golfe. Pour des raisons évidentes, les enquêtes n’aboutissent jamais.

Au-delà du débat juridique, le président Gustavo Petro se trouve, en ce moment même, entravé dans sa capacité à choisir un nouveau procureur. Il a proposé trois femmes qui ont excellé dans la lutte contre la corruption, mais aucune d’entre elles n’a pu être élue par la Cour suprême de justice, le 8 février dernier. En réponse, le président a appelé toutes les forces progressistes à se mobiliser en faveur de l’élection du nouveau procureur dans le respect de la souveraineté populaire, ce qui a suscité un grand malaise au sein de la Cour suprême.

Petro et le Pacte historique ont fait de la “paix totale” l’une de leurs priorités absolues. Quelle évaluation peut-on faire à ce stade des différentes initiatives de dialogue (en particulier avec l’ELN) ? Quels sont les principaux obstacles ?

Le programme de paix totale a été conçu comme une plateforme de dialogue très large, pas exclusivement entre les insurgés et l’État colombien, comme cela avait eu lieu par le passé, depuis la naissance de l’Union patriotique jusqu’à la signature de l’accord de paix avec les FARC en 2016.

Dans ce programme il s’agit de structurer la paix par le dialogue entre la société et ses représentants, tant au sein des structures de l’État que du mouvement populaire. C’est un pari qui doit nécessairement reconnaître la justice sociale, ce qui implique une nouvelle élaboration de la stratégie de mise en oeuvre de la souveraineté populaire à travers ce que l’on appelle les réformes pour le changement : réforme agraire, réforme de la santé et de l’éducation, parmi tant d’autres, sans lesquelles il est impossible de parler de paix totale.

En ce qui concerne les pourparlers de paix avec l’ELN, je pense que le principal défi est lié à la déstructuration de la guérilla elle-même. L’ELN n’a pas de commandement central avec lequel discuter et établir une dynamique coordonnée sur l’ensemble du territoire national. Elle opère plutôt par le biais de nœuds, chaque structure semblant avoir son propre commandement. Cette situation a causé de graves problèmes. Par exemple, dans la région du Valle del Cauca, dans les zones pétrolières, il existe des organisations qui, au nom de l’ELN, ne se sont pas engagées à respecter le cessez-le-feu demandé par les deux parties à l’étranger.

Le Pacte historique a dû faire face à des alliances fragiles pour les élections législatives; il a récemment obtenu des résultats peu encourageants lors des élections régionales et locales. Quelles sont les clés pour que le progressisme ne s’essouffle pas dans ce cycle (comme nous l’avons vu,par exemple, en Argentine) ?

Les élections locales de 2023 n’ont pas été entièrement positives et ont conduit les partis qui forment le Pacte historique à proposer une structure organique commune, que ce soit au sein d’un parti unique, d’un front de partis, etc., ceci en considérant la nécessité de présenter des candidatures beaucoup plus stables en leur sein et qui répondent au programme du Pacte historique. Sinon on peut même créer des alliances plutôt diffuses.

Le président Petro a lancé un appel dans ses rangs pour que ses partisans réfléchissent à la structuration d’un parti unique et, pour l’instant, il serait nécessaire de voir quels en seront les fondements, quels engagements entoureront ce programme politico-électoral et quels sont les modèles dont nous disposons pour y réfléchir. De nombreux militants organiques du Pacte historique ont évalué de manière critique et constructive des expériences telles que celle du Frente Amplio en Uruguay. Mais il y a aussi d’autres défis tout aussi importants, comme dans le cas de MORENA au Mexique, où l’on voit que la transversalité doit conduire à une ouverture assez large, ce qui implique nécessairement de revoir de nombreux points organiques du Pacte historique, évidemment en vue de gagner les élections de 2026.


Traduit par Sylvie Carrasco.

Source: Investig’Action

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