D’un côté Shaïna, 15 ans, morte brûlée vive qui, avant cela, avait été agressée sexuellement par des jeunes qui viennent d’écoper de peines allant de 6 mois à deux ans d’emprisonnement avec sursis. De l’autre, la chanteuse Hoshi, qui a pu faire condamner à de la prison ferme un internaute lui ayant envoyé des messages homophobes et grossophobes.
Shaïna avait 15 ans. Elle est morte brûlée vive. Deux ans avant, Shaïna était victime d’un viol en réunion. À peine sortie de l’enfance, à l’âge où on opère ses premières virées entre copines dans les centres commerciaux, à glousser devant les miroirs en essayant sa première mini-jupe ou en se mettant du gloss à paillettes tandis que maman vous harcèle sur votre portable pour que vous rentriez faire vos devoirs, Shaïna a été violée.
C’était en 2017. Son petit ami de l’époque l’avait fait chanter avec une photo d’elle dénudée pour qu’elle vienne le retrouver dans une clinique désaffectée de Creil. Là, trois autres garçons âgés de 14 à 17 ans l’attendaient. Sur Snapchat, ils ont diffusé des images de son agression, où Shaïna apparaît à moitié nue, essayant de cacher son sexe alors qu’elle est agonie d’insultes.
Après son calvaire, la jeune fille portera plainte contre ses agresseurs. L’un d’entre eux tentera ensuite de lui faire retirer sa plainte en la rouant de coups dans un parc.
Comme l’a rapporté l’avocate de la famille de Shaïna, Maître Negar Haeri, les prévenus ont soutenu lors du procès que « c’est Shaïna qui voulait forcer » son petit ami « à un rapport sexuel, qu’il l’a filmée pour la dissuader et qu’elle lui a ensuite fait un “coup de crasse”. »
Des propos risibles, qui n’ont cependant pas été totalement balayés par le juge puisque, de viol, les faits ont par la suite été requalifiés en agression sexuelle. C’est que, en plus, l’adolescente ne s’est pas comportée comme elle aurait apparemment dû : « Disons qu’au cours de l’audition, Shaïna ne manifeste aucune émotion particulière », a écrit, en majuscules, la policière qui a pris sa déposition. Pas une attitude de vraie victime, ça, Monsieur le Juge. Vous avez dit « culture du viol » ?
Victime de violences sexuelles, donc « pute »
Quelle que soit la qualification retenue, une chose est sûre : le poison mental des violences sexuelles s’était infiltré dans l’esprit de Shaïna. « Tu es un déchet ». C’est ce que ces garçons lui avaient signifié ce jour du 31 août 2017.
C’est ce que la société lui rappelait sans cesse, elle qui avait dû changer d’établissement scolaire pour tenter d’échapper, en vain, à la réputation de « pute » qui lui collait à la peau.
C’est ce même poison qui, deux ans plus tard, l’a très certainement conduite dans les bras de son meurtrier présumé, un jeune homme à l’époque âgé de 17 ans qui l’aurait entraînée dans un cabanon pour la poignarder et la brûler vive. En détention préventive, ce dernier se serait vanté d’avoir « tué sa copine, qui était “une pute”, qu’il avait mise enceinte ».
Son procès vient de s’ouvrir ce lundi 5 juin. Celui en appel des premiers agresseurs de Shaïna s’est clos quelques jours plus tôt. Verdict : des peines allant de six mois à deux ans de prison avec sursis.
Si son meurtrier présumé a un peu de chance, le juge sera sensible à l’analyse de l’expert psychologue qui l’a examiné, pour qui « le crime pourrait être une tentative désespérée de préserver son image, dans un contexte d’interdit culturel et religieux lié à la sexualité. » Après tout, un magistrat a bien réussi à faire preuve d’indulgence en estimant concevable la possibilité qu’une toute jeune fille de 13 ans ait pu tenter d’obliger un garçon à coucher avec elle en compagnie de trois de ses copains.
Deux mois ferme et 5.000 euros d’amendes
Rien ne change donc jamais sous le soleil du patriarcat ? Si, fort heureusement. Mais, pour obtenir justice, mieux vaut être en phase avec les débats de société actuels, comme la chanteuse Hoshi qui, la semaine dernière, a réussi à faire condamner un internaute pour harcèlement en ligne.
Et pas n’importe quelle justice, plutôt celle à poigne, puisque le jeune homme, 18 ans au moment des faits, a été condamné à huit mois de prison, dont six mois de sursis probatoire, et au versement de 5.000 euros de dommages et intérêts. C’est que le garçon, en plus de lui envoyer des messages grossophobes, l’avait également insultée à cause de son homosexualité (circonstance aggravante qui, selon la loi, aurait pu lui valoir jusqu’à six ans d’emprisonnement).
Entendons-nous bien : le harcèlement, qu’il soit en ligne ou dans la vraie vie, est un fléau qui n’a pas à rester impuni. Le nombre de suicides chez les jeunes suite à des attaques contre leur physique, ou à cause de leur orientation sexuelle, témoigne à lui seul de la détresse morale que ces agissements peuvent engendrer et qu’une société qui se dit civilisée ne peut pas laisser passer. Mais de là à condamner un jeune homme, à l’époque à peine majeur, à de la prison ferme pour des messages envoyés à une femme qu’il n’a jamais même croisée, cela pose question.
Cela pose d’autant plus question au regard de la légèreté des peines dont ont écopé les agresseurs de Shaïna qui, deux ans avant son meurtre, avaient amorcé sa démolition, non pas avec des mots, mais par des actes aussi réels que détestables.
En faisant preuve de laxisme dans un tel cas et d’une sévérité implacable dans l’autre, quel message la justice envoie-t-elle ? Si vous êtes “juste” une femme (en fait, même pas : à 13 ans, Shaïna n’était encore qu’une enfant), votre sort n’est pas intéressant. Si vous êtes victime d’agression, essayez au moins d’entrer dans une des cases minoritaires au sujet desquelles les éditocrates de tous bords passent leur temps s’entre-déchirer sur les plateaux télé.
Crimes de genre : aussi l’affaire des hommes
Enfin, à tou.te.s celles et ceux qui préfèreraient ne pas trop parler du calvaire de Shaïna de peur d’attiser le racisme contre les « jeunes-des-cités » ou, à l’opposé, voudraient se servir de l’affaire pour les assimiler en masse aux barbares qui l’ont violée et tuée, il faudra rappeler que le frère de Shaïna, Yasin Hansye, est lui aussi un « jeune-des-cités ».
Un homme qui, loin de ce que certain.e.s à l’extrême droite pourraient d’emblée supposer vu ses origines, ne se tait ou ne se cache pas au prétexte d’une quelconque honte liée à des raisons d’honneur familial. Au contraire, il n’a de cesse de dénoncer dans les médias l’injustice qui a consisté à faire passer sa petite soeur de victime à coupable, coupable d’une réputation qui a fini par la tuer.
Par son combat, Yasin Hansye vient rappeler que les crimes contre les femmes ne sont pas la seule affaire de ces dernières : cela détruit aussi la vie des frères, des pères, des conjoints et des enfants des victimes. Pour elles et pour eux, il ne faudra jamais se taire. Ni oublier.