C’est sur cette question que s’achève la lettre publique adressée au Président de la République de Colombie Juan Manuel Santos par le meneur paysan Andrés Gil (1), également dirigeant du mouvement Marche Patriotique. Ce dernier appelle à la mise en détention des assassins d’activistes colombiens après l’assassinat en moins d’une semaine de William Castillo, Klaus Zapata, Marisela Tombe, et Alexander Oime, figures du monde paysan et estudiantin et du mouvement indigène.
Pour Andrés Gil le manque d’écho dans la presse et au sein du gouvernement concernant ces morts est inquiétant, et il remet en question la véritable volonté du gouvernement quant au processus de paix.
S’adressant au gouvernement, il déclare ceci : « Si vous continuez à nous tuer, alors nous comprendrons que la paix n’était pas mise en œuvre pour nous mais qu’il s’agissait uniquement d’un coup monté du gouvernement et des groupements d’intérêts économiques pour viabiliser le pays afin d’y développer leurs affaires, de transformer les paysans en travailleurs journaliers, les travailleurs en employés de prestataires de services, les patients en clients, les étudiants en apprentis d’instituts techniques (…) et les vendeurs ambulants en nécessiteux puisqu’ils gênent et enlaidissent les villes. »
La situation n’est pas moins préoccupante si l’on prend en compte que nous sommes deux ans après la création du mouvement politique de gauche Marche Patriotique et qu’en 2014 son dirigeant et ex-parlementaire Piedad Córdoba déplorait l’assassinat de 70 de ses membres (2).
Dans sa missive, Gil regrette également être fatigué de la persécution constante qu’il subit à l’instar de beaucoup d’autres dirigeants qui reçoivent des menaces répétées de nouveaux groupes paramilitaires affiliés à la politique droitière de la Colombie. Il dénonce aussi le harcèlement permanent contre Prensa Rural [NdT : Presse Rurale] et Contagio Radio, deux médias alternatifs qui sont constamment désignés par les médias de masse comme proches des FARC-EP.
Ces éléments posés, le tour d’horizon d’une éventuelle étape post accord comporte beaucoup d’écueils. Premièrement, la poursuite du phénomène du paramilitarisme qui allié à la politique droitière remplit un rôle central pour contrer l’avancée des forces démocratiques et révolutionnaires en Colombie. Le devoir du gouvernement est d’empêcher un génocide tel que celui qui a été perpétré contre l’Union Patriotique dans les années 80. Les FARC-EP ont de leur côté toujours déclaré qu’il était nécessaire que l’État combatte véritablement le paramilitarisme, mais il semble y avoir des liens profonds et très difficiles à dénouer entre les forces armées colombiennes et ces forces paramilitaires liées au narcotrafic. Les intérêts de nombreuses élites régionales sont menacés en cas d’un éventuel accord de paix.
Deuxièmement, il est évident que les élites colombiennes maintiendront leur campagne de dissimulation des mouvements sociaux à l’inverse des médias alternatifs qui sont aujourd’hui victimes de persécution officielle et officieuse. La possibilité d’une démocratisation des médias comme le propose cette même insurrection ne s’est pas traduite dans les accords de La Havane et il persiste même une sorte d’exception concernant les insurgés qui déclarent que sans démocratisation des médias une réelle participation politique des forces d’opposition n’est pas possible.
Si l’on arrive à percevoir tous ces éléments avant la signature des accords de La Havane, quelle sera la situation une fois que les guérilleros auront dit adieu aux armes et qu’ils deviendront un mouvement politique légal ?
Notes :
1) http://www.las2orillas.co/president…
2) http://www.telesurtv.net/news/Denun…
Traduit de l’espagnol par Rémi Gromelle
Source : Le Journal de Notre Amérique n°12, mars 2016 (à paraître prochainement)