La Chine est en train de forcer quelques-unes des plus grandes multinationales à autoriser les travailleurs de leurs usines géantes, de leurs bureaux et de leurs grandes surfaces à se syndiquer. Dans une campagne largement médiatisée d’une centaine de jours, le gouvernement a fixé au 30 septembre la date limite pour que ces entreprises reconnaissent les organisations syndicales.
Publié le 18 Octobre 2008.
Cette décision profite à des millions de travailleurs qui auront désormais leur mot à dire non seulement sur les salaires mais aussi sur les conditions de travail, la sécurité et l’hygiène.
Ce changement radical se répercute sur la quasi totalité des sociétés de l’US Fortune 500 qui font des affaires en Chine. Wang Ying, un cadre supérieur de l’ All-China Federation of Trade Unions (ACFTU) explique qu’il y a des résistances, notamment au niveau de Microsoft et du géant pharmaceutique Wyeth qui, même « s’ils n’osent affirmer clairement qu’ils ne laisseront pas les syndicats s’organiser, trouvent toute sortes d’excuses pour en différer la mise en place. » ( Christian Science Monitor, 29 Sept.)
L’ACFTU est sous l’autorité du parti communiste. Il y a deux ans, il représentait 170 millions de travailleurs. Son objectif au terme de la campagne des 100 jours est de porter le nombre de ses affiliés à 200 millions, plus de 12 fois le nombre de travailleurs syndiqués aux USA.
Ces syndicats ne seront-ils que des organisations sur papier ? A en juger par l’hostilité des grandes multinationales, il semble bien qu’elles ne le pensent pas.
Jim Leininger, le patron de la firme de consultance Watson Wyatt à Pékin, explique que beaucoup d’entreprises étrangères ne voient dans les syndicats qu’un obstacle inutile aux affaires. Mais elles ont dû les accepter parce qu’elles ne pouvaient pas faire autrement. (CSM, 29 Sept.).
Ce sont ces compagnies qui se sont délocalisées en Chine pour profiter d’une main d’œuvre à bon marché et éviter les syndicats de leurs pays d’origine. Elles craignent maintenant que la reconnaissance des syndicats donne aux travailleurs la possibilité de perturber leurs activités tout en augmentant significativement les coûts de production. ( New York Times, 12 Sept.) En d’autres termes, ils devront céder plus en salaires et retours sur investissements. Cette nouvelle législation rendra également plus difficile le licenciement des travailleurs.
Wal-Mart, McDonalds, Disney.
Wal-Mart, McDonalds et Yum Brands – qui gèrent KFC et Pizza Hut – ont été contraints de reconnaître les syndicats. Yum Brands occupe 160.000 travailleurs en Chine et Wal-Mart 83.000 dans ses 108 grandes surfaces dispersées dans 55 villes. Wal-Mart, Disney et Adidas ont été pointés du doigt parce qu’ils recouraient à des sous-traitants qui ne respectaient pas la législation du travail.
Un accord signé avec Wal-Mart en Juillet dernier a entraîné une hausse immédiate des salaires ainsi qu’une meilleure protection au travail et un soutien juridique aux travailleurs dont les plaintes étaient jusqu’alors réprimées par l’intimidation, les heures supplémentaires forcées, des sursalaires ridicules et frauduleux ou des conditions de travail dangereuses. Les travailleurs des magasins Wal-Mart aux US et dans d’autres pays où les syndicats sont tenus à l’écart rencontrent les mêmes difficultés.
L’ACFTU par la voix de son représentant Wang Ying affirme que plus de 4.100 grosses sociétés étrangères reprises par le classement Fortune 500 font des affaires en Chine. Elle déclare qu’en dépit de « résistances désespérées », particulièrement des compagnies US, 82 % de ces sociétés ont accepté la syndicalisation à ce jour et que l’on devrait atteindre les 90 % d’ici la fin de l’année. En juillet, avant même que la campagne de syndicalisation ne démarre, les travailleurs n’avaient pu mettre sur pied des syndicats que dans moins de 50 % des firmes de Fortune 500.( China Daily, 7 Oct. )
Si les multinationales étaient la cible de la campagne des 100 jours, les compagnies chinoises et leurs sous-traitants constituent le noyau de l’industrie nationale et celles qui ne sont pas encore syndiquées vont être contraintes de le faire.
Le mouvement syndical des 100 jours est conforme à une législation contraignante sur les droits et arbitrages du travail votée par le parlement et le Congrès National du Peuple pour renforcer les droits des travailleurs après des décades d’une politique de « laisser faire » favorable aux investisseurs. Cette législation garantit le droit de grève et le droit de poursuivre l’employeur en justice. Les travailleurs recourent d’ailleurs de plus en plus souvent aux tribunaux pour faire valoir leurs droits à organiser leur défense. (China Law Blog, 15 Sept.)
Les grèves sauvages ont montré la voie
Cette vague de syndicalisation succède à plusieurs années de grèves sauvages croissantes, à des dizaines de milliers d’actions sur les lieux du travail et aux efforts des travailleurs pour organiser la défense de leurs droits contre la surexploitation dans les entreprises étrangères. De 1995 à 2006, les conflits au travail se sont multipliés par treize selon China Law Blog. Nombre de ces conflits se sont traduits par des manifestations de masse.
Le rôle des syndicats évolue aussi. Dans la province de Guangdong, au sud, depuis longtemps siège du plus grand nombre d’entreprises étrangères, les syndicats deviennent de plus en plus agressifs dans leurs exigences. La nouvelle législation du travail et sa mise en application plus stricte a contraint les entreprises à payer enfin les heures supplémentaires.
L’ACTFU mène aussi une campagne active pour sensibiliser les millions de travailleurs migrants qui continuent à affluer de la campagne profonde. Ce sont ces travailleurs les moins qualifiés qui se voient affecter aux tâches les plus ingrates.
Ces campagnes ne sont pas des mesures socialistes. Ce sont plutôt des actions défensives, soutenues par le combat des masses, qui visent à protéger les travailleurs des effets les plus pervers du droit de la propriété capitaliste qui s’était imposé en Chine avec l’adoption du « socialisme de marché « à la fin des années 1970.
« Socialisme de marché » – une concession
Le parti communiste, dans les premières années de la révolution, a mené un combat héroïque pour sortir de l’extrême sous-développement. Le grand bond en avant et les déplacements de populations des fermes collectives vers les industries rurales et urbaines en témoignent.
Ces efforts héroïques ont permis à la révolution de mobiliser une population largement paysanne pour poser les bases d’une société plus moderne. Des efforts gigantesques furent entrepris pour alphabétiser la population. Des campagnes de vaccination de masse et des brigades d’éducation sanitaire sont venues à bout des grandes endémies et épidémies. La mortalité infantile et l’espérance de vie se sont spectaculairement améliorées. Des projets pharaoniques ont été menés à bien par des millions de volontaires pour l’irrigation, les barrages, la construction de routes modernes jusqu’aux confins du pays et cela pour la première fois dans son histoire.
Pendant ce temps, le monde impérialiste développé organisait le blocus de la Chine, la sanctionnait et la maintenait à l’écart des technologies modernes qui transformaient l’Occident.
A la fin des années 1970, un groupe de dirigeants souvent qualifiés de « pionniers capitalistes » faisait de dangereuses concessions pour venir à bout du sous-développement, attirer les technologies modernes et les investissements. La Chine s’ouvrait ainsi aux multinationales capitalistes. Les communes furent démantelées et l’usage de la terre et de ses ressources virtuellement privatisé.
Au début, des zones d’implantation furent concédées aux entreprises capitalistes. Des milliers de sociétés occidentales s’installèrent pour profiter des bas salaires dont étaient prêts à se satisfaire les millions de paysans affluant des zones rurales.
A partir de 1990, l’économie socialiste fit encore des concessions. Aujourd’hui, plus de 150.000 entreprises étrangères travaillent en Chine. Elles distribuent du travail à plusieurs centaines de milliers de sous-traitants.
La fédération de l’industrie et du commerce publiait en Février dernier que plus de 200 millions sur une population totale de 1 milliard 300 millions travaillent dans le secteur privé. Ces entreprises génèrent 60 % du produit national brut.
La politique gouvernementale favorise le développement d’une classe capitaliste en Chine. Le parti communiste a été jusqu’à prendre le risque d’accepter des capitalistes au sein de son propre parti des travailleurs.
L’impérialisme reste hostile
Pendant des décades, l’impérialisme US s’est efforcé d’infiltrer l’économie et les structures politiques dans l’espoir de faire aboutir une contre-révolution capitaliste.
Alors même que les multinationales US envahissaient la Chine, le Pentagone poursuivait ses plans pour l’encercler de ses bases militaires. Il continue aussi à fournir en armes et soutient un gouvernement dissident et hostile à Taiwan alors que Taiwan est internationalement reconnue comme partie intégrante de la Chine.
Les Etats-Unis apportent leur soutien et font une publicité incessante au mouvement séparatiste tibétain. Ils financent aussi ce gouvernement bidon en exil dirigé par le dalaï-lama.
L’économie a continué de croître. Elle a maintenant un important surplus commercial avec les Etats-Unis. Mais cette réserve monétaire place une bonne partie de l’économie en otage d’un dollar dévalué. Malgré cela, la Chine a pu investir des milliards dans ses infrastructures et financer son développement.
Le marché capitaliste a fait d’importantes percées dans la production, la distribution et la finance. Les banques internationales sont depuis peu autorisées à prendre des parts importantes dans le secteur bancaire . Une bonne part de la croissance est liée aux industries manufacturières à l’exportation.
On ne connaît pas encore les répercussions de la crise capitaliste mondiale sur les entreprises étrangères actives en Chine. Pourtant, les intérêts de plusieurs millions de petits entrepreneurs, de commerçants et de courtiers, de même que ceux d’un nombre croissant de capitalistes , sont étroitement liés à cet impérialisme.
La rupture de la révolution avec l’impérialisme en 1949 reste une force sociale puissante. Elle continue à inspirer des millions de travailleurs à ce jour. Les lois et les campagnes récentes donnent aux travailleurs des énergies nouvelles où et quand ils en ont le plus besoin. Les médias chinois (et aussi occidentaux) rapportent que la classe ouvrière chinoise profite des nouvelles lois sociales et des campagnes de syndicalisation pour renforcer leurs poids dans la société chinoise.
Traduit par Oscar GROSJEAN pour Investig’Action
http://www.workers.org/2008/world/china_1023/