Cette fois, c’est différent

Israël provoque, les Palestiniens protestent. Raids de la police et de l’armée, tirs de roquettes, bombardements… Encore un nouvel épisode de l’interminable conflit israélo-palestinien? Si certains aspects ont un goût de déjà-vu, l’écrivain gazaoui Ahmed Abu Artema explique, sous le feu des bombardements, pourquoi ces événements sont différents pour le peuple palestinien. (IGA)


Au moment où j’écris, le bâtiment dans lequel je vis ici à Gaza tremble continuellement. Au-dessus de nous, les avions de combat israéliens F-16 nous frappent avec une pluie apparemment sans fin de bombes.

J’écris au milieu d’un flux rapide d’événements en cours de développement, il est donc certain qu’au moment où cela sera publié, beaucoup de choses auront peut-être changé. Mais j’essaie de mettre en évidence les caractéristiques générales de ce cycle actuel d’escalade en Palestine.

L’escalade a commencé à Jérusalem au cours du mois de Ramadan, dans une série de provocations menées par les autorités d’occupation israéliennes.

La première de cette série a été la décision d’empêcher les Palestiniens de se rassembler à Bab al-Amoud (porte de Damas) à Jérusalem fin avril. Cela a déclenché une série de manifestations qui ont finalement forcé Israël à revenir sur sa décision.

Une autre provocation –  toujours en cours – qui a attiré une certaine attention internationale concerne les ordres d’expulsion à Sheikh Jarrah. Les tribunaux israéliens ont ordonné à des familles palestiniennes de quitter leurs maisons au profit de colons israéliens.

Une troisième provocation israélienne a été la prise d’assaut de la mosquée al-Aqsa pendant les prières le matin du vendredi 7 mai. Les forces israéliennes ont tiré des gaz lacrymogènes et des balles métalliques recouvertes de caoutchouc sur les fidèles, faisant plus de 200 blessés.

Dans une quatrième provocation, les colons ont annoncé que le 10 mai, ils marcheraient à travers Jérusalem pour célébrer ce qu’ils appellent le Jour de Jérusalem. Leur intention était de marcher près de la mosquée al-Aqsa.

Cette marche a dégénéré en une cinquième provocation le matin du 10 mai lorsque, pour la deuxième fois en une semaine, les forces israéliennes ont pris d’assaut al-Aqsa, attaquant les fidèles qui priaient à l’intérieur et saccageant le site sacré. Plus de 300 Palestiniens ont été blessés.

 

Une vague de colère

Ces provocations ont persisté tout au long du ramadan et ont provoqué une vague de colère qui a balayé les Palestiniens à travers toute leur patrie. Des manifestations ont éclaté à Haïfa, Jaffa, Ramallah et Gaza.

À Gaza, des manifestants ont appelé les Brigades Qassam, la branche armée du Hamas, à intervenir. Les Palestiniens de Gaza ont fermement soutenu la nécessité d’une réponse rapide des factions de la résistance pour riposter aux violations de Jérusalem.

J’ai lu ce qui semblait être des centaines de messages d’activistes sur les réseaux sociaux demandant au Hamas pourquoi ils avaient tardé à riposter. Chauffeurs de taxi et commerçants, gens ordinaires dans la rue: tout le monde posait la même question.

Finalement, Qassam a émis un avertissement selon lequel les troupes israéliennes avaient deux heures pour évacuer al-Aqsa, lever le siège des Murabitounes – les fidèles qui restent sur le site 24 heures sur 24 afin de le protéger par leur présence – et libérer tous les prisonniers.

Le délai expirant et Israël n’ayant pas répondu, Qassam a tiré une rafale de roquettes en direction de Jérusalem.

L’armée israélienne a répondu en bombardant la ville de Beit Hanoun dans le nord de la bande de Gaza.

Neuf personnes, dont trois enfants, y ont été tuées alors qu’elles s’apprêtaient à rompre le jeûne.

Les combattants de la liberté de Gaza ont continué à riposter et Israël a étendu ses bombardements pour inclure les maisons résidentielles.

L’armée de l’air israélienne a détruit plusieurs tours résidentielles qui abritaient également des dizaines de bureaux de presse et d’établissements commerciaux.

Israël a aussi attaqué des bureaux de police et plusieurs bâtiments gouvernementaux, tous des cibles civiles.

 

Pourquoi c’est différent

L’escalade actuelle se distingue par le fait que le peuple palestinien a exigé une réponse aux pratiques de l’occupation israélienne. Le Hamas, en répondant, est considéré comme héroïque.

Il n’y a pas de jugement public ni de dénonciation de la décision du Hamas d’agir, même lorsque les citoyens paient le prix le plus dur de l’agression israélienne, perdant leurs proches et leurs maisons.

Il est clair à Gaza que les Palestiniens restent fermes dans leur croyance en la résistance comme voie vers la libération de l’occupation.

Cette série de combats est également importante, car elle est venue en réponse aux violations continues à Jérusalem.

Tous les cycles précédents d’escalade du Hamas ont été provoqués par l’agression israélienne sur la bande de Gaza. Ainsi, lorsque Jérusalem a appelé Gaza à l’aide et que Gaza s’est levée pour défendre Jérusalem, cela a amplifié le sentiment naissant d’unité nationale palestinienne et cela a libéré la résistance palestinienne de son isolement à Gaza.

Que ce soit à Gaza ou ailleurs en Palestine, les Palestiniens luttent contre l’occupation, dont les attaques et les violations les affectent partout.

Cette escalade a également été caractérisée par un esprit de plus en plus provocateur au sein des factions de la résistance. L’annulation de la marche du «Jour de Jérusalem» a été une première victoire.

La réalité de la souffrance et de la tragédie est toujours présente dans les agressions israéliennes contre Gaza. Pourtant, cette fois, l’escalade semble apporter du sens, elle semble apporter de l’héroïsme.

Les gens à travers la Palestine avaient désespérément besoin de quelqu’un pour se sentir soutenus et défendus. Les Palestiniens doivent sentir qu’ils ne paient pas le prix seuls. Il est donc extrêmement significatif que la résistance ait explosé à travers la Palestine historique.

Israël s’est engagé à détruire l’identité palestinienne, en particulier dans les villes, les localités et les villages qui ont été délibérément ravagés sur le plan économique. Ces villes, localités et villages se situent à l’intérieur des frontières de 1948 – les zones où l’État d’Israël a été déclaré cette année-là, lors de la Nakba, le nettoyage ethnique de la Palestine.

Les manifestations de masse dans ces zones, l’incendie des postes de police et le remplacement des drapeaux israéliens par des drapeaux palestiniens, tout semble apparaitre comme un renouveau de l’esprit palestinien.

Les Palestiniens sont toujours profondément enracinés dans leur terre, attachés à leur identité. Leur profond sentiment d’unité est plus important que tous les facteurs susceptibles de diviser. Et leur capacité à survivre à la terreur et aux crimes d’Israël ne cesse de surprendre.

Israël dispose d’un puissant arsenal de missiles, et dans une tentative de retrouver la dignité perdue face à la résistance palestinienne, Israël continue de commettre des crimes contre les civils à Gaza.

Pourtant, la puissance israélienne n’assure ni la légitimité ni la stabilité. Le projet sioniste en Palestine est étranger à cette terre, et tous les efforts pour neutraliser ou éjecter la présence palestinienne ont échoué pendant plus de 70 ans.

Le peuple palestinien peut s’affaiblir, mais il ne mourra pas. Il a la volonté de se battre jusqu’au bout, jusqu’à une victoire certaine.

 

 

Source originale: Electronic Intifada

Traduit de l’anglais par Investig’Action

Photo: Bashar Taleb/APA images

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