A man sitting in a shop watches the televised speech of Lebanon's Hezbollah chief Hasan Nasrallah, in the occupied West Bank town of Tubas on November 3, 2023. - Nasrallah on November 3 spoke for the first time since war broke out between Hamas and Israel, in a speech that could impact the region as the Gaza conflict rages. (Photo by Jaafar ASHTIYEH / AFP)AFP

Ce qu’il faut retenir du discours de Nasrallah

Le discours de Hassan Nasrallah était très attendu, il n’aura pas marqué l’Histoire. Le politologue libano-américain As`ad AbuKhalil nous explique dans quel contexte particulier le chef du Hezbollah a pris la parole vendredi dernier et ce qu’il faut en retenir. (I’A)

Vendredi 3 novembre, Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, a prononcé un discours pour lequel les attentes étaient très élevées. Même le porte-parole du Conseil national de sécurité des Etats-Unis avait admis à la Maison Blanche qu’il attendait lui aussi ce discours. Dans le monde arabe, beaucoup prévoyaient ou même espéraient que Nasrallah déclare une entrée officielle dans la grande guerre, déclenchant ainsi un conflit régional qui changerait la face du Moyen-Orient.

Le Hezbollah avait imprudemment attisé les attentes en diffusant des bandes-annonces montrant Nasrallah tantôt assis, tantôt en train de marcher. Les Israéliens et une grande partie du monde retenaient leur souffle. Les Libanais aussi étaient nerveux, mais ils espéraient que Nasrallah tiendrait compte de leur situation.

Nasrallah n’agit pas hors de tout, il évolue dans un contexte particulièrement complexe. L’alliance entre l’Occident et les pays du Golfe a dépensé des milliards pour diaboliser Nasrallah et saper sa réputation dans les mondes arabes et musulman. Cette réputation avait atteint des sommets à la suite de la guerre de 2006 contre Israël.

L’implication du Hezbollah en Syrie et la diffusion de slogans à caractère sectaire et religieux ont contribué à la campagne des régimes du Golfe contre Nasrallah et le Hezbollah. Ils ont été dépeints comme de purs chiites et de simples marionnettes de l’Iran. La mission des pays du Golfe était de pousser le parti dans un recoin sectaire. Et le parti – par son comportement politique au Liban – a involontairement contribué à cette mission.

En effet, depuis l’effondrement de l’économie libanaise en 2019, le Hezbollah a poursuivi des choix politiques axés sur la consolidation des rangs politiques chiites. Cela n’est compréhensible que dans la perspective où le parti se protège d’un complot du Golfe et d’Israël visant à déclencher une guerre civile confessionnelle contre les chiites.

Il n’est donc pas facile d’évaluer le discours de Nasrallah sans tenir compte du contexte politique dans lequel il a été prononcé. Le chef du Hezbollah s’adressait à de nombreux publics à la fois : la base du parti, l’audience libanaise, l’audience arabe mais aussi ses ennemis occidentaux et israéliens.

Les teasers vidéos qui ont précédé le discours auraient pu fonctionner s’il y avait eu derrière une annonce spectaculaire sur une escalade majeure du conflit voire une déclaration de guerre. Mais rien de tout cela, si bien que les bandes-annonces ont paru creuses avec le recul. Elles ont toutefois réussi à mener une forme de guerre psychologique contre l’ennemi israélien – un journal israélien a ainsi rapporté que Nasrallah avait réussi à mettre les nerfs des Israéliens à vif.

Le Hezbollah est le premier parti politique arabe – ou même le premier Etat si nous l’ajoutons au panier – qui consacre de l’énergie et des ressources pour s’engager dans une guerre psychologique contre les Israéliens. L’Organisation de libération de la Palestine (OLP) n’avait aucune notion de cela. Les discours de ses dirigeants, tout comme ceux des dirigeants arabes, étaient grandiloquents et émotionnels, mais ils ne s’appuyaient pas sur une base de puissance et de préparation militaires. Nasrallah est un expert d’Israël ; il passe chaque jour des heures à lire sur Israël, sa politique et son armée.

Les mains liées

Nasrallah a dû ressentir une énorme pression avant le discours. Singulièrement dans l’histoire des dirigeants arabes et israéliens, c’est un leader qui prend des décisions sur la base d’une analyse coûts/bénéfices. Si bien que Nasrallah s’est retrouvé les mains quelque peu liées au Liban. La moitié du pays, au moins, est sous l’influence des pétromonarchies. Nombreux sont ceux qui ont des parents dans le Golfe craignant d’être expulsés. Et les régimes du Golfe ne manquent pas de rappeler régulièrement que si le Liban devait adopter des positions contre leurs intérêts, ils expulseraient massivement tous ces immigrants libanais.

De plus, on trouve à Dubaï le siège d’un énorme appareil médiatique US qui se coordonne avec Israël et les pays du Golfe pour mener la guerre contre les ennemis d’Israël, en particulier ceux qui sont engagés dans la résistance contre Tel-Aviv.

D’ailleurs, quelques semaines avant le discours de Nasrallah, des journalistes à la solde des régimes du Golfe et d’autres travaillant pour des médias financés par des pays membres de l’Otan ainsi que George Soros se sont réunis et ont promu une pétition rejetant la guerre entre le Liban et Israël. Ils ont insisté sur le fait que le Liban était trop fatigué pour participer à un tel conflit. Ce groupe de personnes a manifestement pu bénéficier de fonds pour acheter de grands panneaux d’affichage diffusant le même message : le Hezbollah devrait tenir le Liban à l’écart de la guerre.

Ce mouvement ne s’est pas massivement répandu. Mais il a tout de même touché des personnes inquiètes de leurs conditions d’existence après l’effondrement de l’économie et la perte d’épargnes de toute une vie. Enfin, les déclarations des dirigeant israéliens n’ont pas aidé : chaque semaine, ils menacent de ramener le Liban à l’ère préindustrielle ou de l’éliminer complètement.

Ces déclarations génocidaires ne sont pas relayées par la presse occidentale, mais elles inquiètent la population libanaise, qui sait parfaitement qu’en temps de guerre, Israël s’en prend avant tout aux civils.

En 2006, la plupart des victimes israéliennes étaient des combattants, tandis que la plupart des victimes libanaises étaient des civils. Les infrastructures libanaises sont délabrées. Par le passé déjà, Israël a régulièrement pris pour cible les hôpitaux, les centrales électriques, les aéroports, les écoles et les camps de réfugiés libanais.

Cela a dû peser lourd dans l’esprit de Nasrallah lorsqu’il a procédé à l’analyse coûts/bénéfices.

D’un autre côté, les piliers du parti ont été élevés avec le slogan, voire l’attente, de libérer la Palestine. Ils croient sincèrement qu’Israël disparaîtra lors de la prochaine guerre. Ces partisans du Hezbollah avaient besoin d’entendre leur leader pour comprendre les ramifications régionales de la guerre.

De plus, il faut le souligner, Nasrallah est probablement aujourd’hui la figure la plus importante de l’ « axe de la résistance » au Moyen-Orient. Même le général iranien Qassim Suleimani occupait un rang inférieur à celui de Nasrallah, comme le montrent les images des réunions entre les deux hommes. Sur des clichés de la famille en deuil de Suleimani, on a aussi pu voir un portrait de Nasrallah accroché dans la maison.

Même l’ayatollah Khamenei, la figure religieuse la plus élevée dans la hiérarchie de l’axe, s’en remet à Nasrallah pour les questions stratégiques. Les responsables iraniens l’ont régulièrement informé des négociations nucléaires avec l’Occident. 

Trois signaux

Lorsqu’il s’agit d’une guerre avec Israël, Nasrallah est le décideur ultime.

Il savait donc que les attentes étaient grandes et que le moment était historique, avec un peuple arabe uni dans son soutien à la Palestine. Nasrallah ne pouvait pas rester les bras croisés ou agir avec indifférence. Depuis l’attaque du Hamas contre Israël, il a non seulement ouvert le front dans le Sud où son parti a déjà perdu 55 membres dans des affrontements avec l’armée d’occupation israélienne. Mais il a également autorisé des factions palestiniennes – à savoir le Hamas et le jihad islamique – à utiliser des territoires libanais pour tirer des missiles à courte portée sur des cibles israéliennes.  

L’ensemble de la classe politique libanaise, représentée par le gouvernement et son Premier ministre, a déclaré que le Liban ne voulait pas d’une guerre avec Israël.

Nasrallah n’a donc pas déclaré la guerre, mais il a envoyé ces signaux importants :

  • Il a clairement indiqué que la planification et le calendrier de l’opération du Hamas étaient entièrement du ressort du Hamas et de lui seul. Il a précisé que même les alliés du Hamas à Gaza – référence évidente au Jihad islamique – n’étaient pas au courant de l’opération car le Hamas maintenait un secret absolu. L’Iran n’était pas impliqué, et il était important de le souligner car dans les médias occidentaux, tous les alliés iraniens sont présentés comme de simples marionnettes de l’Iran. Le tableau est plus complexe. En 2011, le Hamas a soutenu la révolte contre le régime syrien, bien que ce dernier ait fourni au Hamas un sanctuaire et un soutien militaire. Cette position a empoisonné les relations du Hamas avec l’Iran, et même avec le Hezbollah. Le Hamas s’est ensuite réconcilié avec le Hezbollah, mais les dirigeants du parti libanais refusent toujours de rencontrer Khalid Mishal, l’ancien président du Hamas qui avait décidé de soutenir la rébellion armée syrienne. Mishal avait pris cette décision en accord avec la position du Qatar et de la Turquie dont il est très proche. Ajoutons enfin que selon CNN, même les Etats-Unis ont fini par conclure que le Hezbollah ne se contentait pas de suivre les ordres de l’Iran dans ses prises de décision.
  • Nasrallah a tenu à préciser que le front qui comprend le Liban, la Syrie et Gaza ne faisait qu’un : tous les membres des camps de la résistance se battront ensemble. Il a également fait référence aux alliés irakiens du Hezbollah.
  • Nasrallah a préparé les Libanais aux prochaines phases de la guerre. Il a clairement indiqué qu’une guerre plus importante était inévitable, mais qu’il ne voulait pas être celui qui l’annoncerait, ce qui donnerait aux médias payés par les régimes du Golfe l’occasion de lui faire porter la responsabilité de cette décision. Nasrallah a évoqué les différentes phases de la guerre, et il a rappelé au public les pertes israéliennes ainsi que les succès du Hezbollah dans les affrontements au Sud-Liban.
  • Nasrallah a aussi envoyé un message aux États-Unis : son groupe ne se laissera pas intimider par la présence de la flotte en Méditerranée. Il a rappelé aux États-Unis que certains de ceux qui ont combattu les États-Unis au Liban en 1982-1984 étaient toujours en vie et entraînaient d’autres combattants. Il a clairement indiqué que le Hezbollah riposterait aux forces américaines si celles-ci frappaient le Liban.

Ce n’était pas le plus grand discours de Nasrallah et il n’aura pas répondu aux attentes très élevés chez beaucoup de gens. Mais il a atteint l’objectif qu’il s’était fixé: faire savoir à l’ennemi que le Hezbollah n’exclut pas une confrontation majeure avec Israël et que cette éventualité est liée à l’évolution de la situation sur le terrain à Gaza.

As`ad AbuKhalil est un professeur libano-américain de sciences politiques à l’université d’État de Californie, Stanislaus. Il anime le blog populaire The Angry Arab.


Source originale: Consortium News
Traduit de l’anglais par GL pour Investig’Action

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