Après la destruction de la pêche par les industries polluantes dans ce village de l’Andhra Pradesh, les pêcheurs en lutte, qui ont tenté d’autres manières de survivre, se souviennent d’un passé où la vie marine était abondante – tout en faisant face à un avenir incertain.
« En permanence, la moitié des hommes est généralement hors du village. Certains sont sur le marché Amberpet à Hyderabad, d’autres à Besant Road à Vijayawada, d’autres encore au marché Vashi ou près de la Porte de l’Inde à Mumbai ou à Pahar Ganj à Delhi – tous vendent des paniers et des hamacs », explique Myalapilli Pattayya, qui revient lui-même d’un voyage commercial à Uttaranchal.
Pattayya, 42 ans, comme d’autres dans son village, a commencé à faire des paniers de cordes en nylon, des sacs, des hamacs il y a environ 20 ans. Jusque-là, la pêche était la principale occupation à Kovvada (inscrit comme Jeerukovvada dans le recensement), un petit village côtier de quelque 250 habitants, à côté de la Baie du Bengale dans le mandal Ranastalam du district de Srikakulam.
La région de Pydibhimavaram-Ranastalam est aujourd’hui un important centre pharmaceutique de l’Andhra Pradesh, avec des industries des deux côtés de la route nationale Kolkata–Chennai. L’industrie a connu un nouvel essor lorsque cette ceinture industrielle est devenue une zone économique spéciale (ZES) en 2008-2009, et de nouvelles entreprises ont commencé à y implanter leurs unités. La loi sur les ZES de 2005 accorde de nombreuses exonérations d’impôts et des subventions aux industries tout en assouplissant les lois sur le travail. Il y a 19 ZES en Andhra Pradesh, dont quatre – Pydibhimavaram en est une – centrées sur la fabrication de médicaments.
« Leurs canaux [de rejet] pénètrent de 15 km dans la mer, mais on voit le pétrole et les effluents des industries pharmaceutiques jusqu’à plus de 100 km en mer depuis la côte chaque fois que nous allons pêcher », dit Ganagalla Ramudu, qui possède l’un des derniers teppas (un bateau à rame) au village de Kovadda village [image en tête de l’article]. « Chaque maison avait au moins un teppa il y a 20 ans. Il n’en reste que 10 aujourd’hui », ajoute-t-il.
« Nous avons manifesté pendant trois mois sans interruption devant le bureau de l’entretien, la réparation et la révision (en anglais MRO, pour Maintenance, Repair and Overhaul Industry, NdR) à Ranastalam, mais tout le monde s’en fichait. Donc nous avons arrêté la lutte et nous sommes retournés à notre travail. »
« La richesse aquatique de la région a été ravagée à cause de la pollution provoquée par les industries pharmaceutiques. On voit souvent des tortues et des poissons morts sur la côte, et cela comprend aussi la tortue bâtarde. La flore au fond de l’océan est empoisonnée, ce qui à son tour a empoisonné la faune aquatique », explique Kunam Ramu, un militant écologiste installé au village de Budumuru village, qui est associé à l’Alliance nationale des mouvements populaires.
Cela a fait de la pêche une activité à peu près vaine à Kovvada et dans d’autres villages. « Nous n’allons plus pêcher parce que nous ne pouvons plus attraper de poissons, même en travaillant longtemps », raconte Myalapilli Appanna, qui a 40 ans. « Nous allons en mer à 4 heures du matin, ramons pendant 20 km, lançons le filet à 8-9 du matin et attendons quelques heures avant de revenir sur la côte vers 2 ou 3h de l’après-midi. Quatre ou cinq d’entre nous prennent une teppa. À la fin de la journée, nous n’avons même pas gagné 100 roupies par personne. »
« Le poisson que nous pêchons ne suffit même pas pour le curry dans nos propres maisons, alors le vendre et faire de l’argent, oublie ! Nous devons nous procurer du poisson de Visakhapatnam, Srikakulam ou de Ranastalam pour le cuire chez nous », ajoute Pattayya.
Appanna et Pattayya, comme beaucoup d’autres à Kovvada, se sont donc tournés vers la fabrication de paniers, de sacs, de balançoires et de hamacs, qu’ils vendent dans tout le pays. Ils ont exploré plusieurs possibilités, celle-ci s’est révélée rentable, disent-ils, et il était facile de se procurer des cordes de nylon à Srikakulam. « J’ai parcouru 24 États, la plupart d’entre eux plus d’une fois, ces 20 dernières années », raconte Appanna. Sa femme Lakshmi ajoute : « Je fais les paniers pendant que mon mari les emporte pour les vendre ailleurs. »
Un kilo de cordes de nylon coûte 350 à 400 roupies, y compris les frais de transport par tempo (connu également sous le nom de rickshaw ou tuk-tuk selon les régions en Inde, NdR) ou par camion jusqu’au village. « Avec un kilo, nous fabriquons 50 paniers que nous vendons 10 à 20 roupies la pièce, faisant un bénéfice de 200 à 400 roupies par kilo », ajoute Appanna. Les hamacs ou les balançoires sont faits de tissu et de nylon et chacun se vend pour 150 à 200 roupies.
Les hommes du village forment des groupes et vont dans des endroits lointains pour vendre les articles. Ganagalla Ramudu, un ami d’Appanna, qui l’a accompagné au Kerala en avril, décrit leurs frais quotidiens de nourriture, de voyage et de logement pendant leurs déplacements, et affirme : « Quand je suis revenu le 15 mai [un mois plus tard], je n’avais gagné que 6000 roupies. »
Les voyages de Pattayya lui ont permis de parler couramment le kannada, le malayalam, le tamoul et l’hindi. « Nous apprenons la langue partout où nous allons, c’est très important pour communiquer avec nos clients », explique-t-il. « Les festivals et les réceptions sont maintenant des occasions pour tout le village de se rencontrer. Les hommes qui sont partis vendre les paniers et les hamacs reviennent pour les festivals importants, puis ils repartent. »
Comme Lakshmi, beaucoup de femmes du village, en plus de faire les paniers, les hamacs et les balançoires, travaillent sur des projets MGNREGA qui les paient par intermittence. « J’ai travaillé quatre semaines, mais je n’ai été payée que pour deux semaines à 100 roupies par jour », raconte Myalapalli Kannamba, 56 ans, qui vend aussi du poisson séché dans les villages voisins.
En Andhra Pradesh, le salaire minimum obligatoire de MGNREGA pour l’année comptable 2018-2019 est de 205 roupies. « Nous recevons le poisson de Visakhapatnam, nous le séchons pendant deux jours avant de le vendre. Dans le temps, nous avons eu ce poisson gratuitement. Aujourd’hui, nous devons investir 10 000 roupies pour faire un bénéfice de 2000 roupies », explique Kannamba.
Et au bout d’un certain temps, même ce petit profit pourrait n’être plus possible. Un projet de centrale nucléaire sur 2 073 acres à travers trois villages, dont Kovvada, et deux hameaux pourrait déplacer totalement les habitants, entravant leur modeste commerce de paniers et de hamacs, et décimant encore davantage la pêche.
Traduit de l’anglais par Diane Gilliard pour Investig’Action
Voir aussi l’article Powerless in a power-surplus state
Source : ruralindiaonline.org