Bernard Christian Rekoula : “Perenco n’est pas étrangère à ce qui m’arrive car j’ai mis le doigt sur ce qui ne fallait pas.”

Le Gabon organise des élections présidentielle le 26 août, une quinzaine de candidats se présenteront. Ali Bongo, au « pouvoir depuis 2009 et qui brigue un troisième mandat, part largement favori » déclare France 24, sans mentionner pour autant comment il est arrivé au pouvoir et de quelle manière il s’est maintenu à la présidence. Alors qu’aucun président français ne s’était déplacé au Gabon depuis Nicolas Sarkozy en 2010, Emmanuel Macron s’y est rendu début mars 2023 pour participer au « One Forest Summit ». Nous interviewons Bernard Christian Rekoula, militant pour la défense des populations, de l’environnement et la lutte contre la corruption et la dictature gabonaise.

Vous êtes arrivé en France suite à des menaces au Gabon, pourriez-vous nous expliquer ce qui vous a amené à fuir ?

Suite à mon engagement depuis quatre ans, dans la défense des droits de l’homme, la sauvegarde de l’environnement, j’ai réalisé plusieurs dizaines de reportages télé et web qui mettaient en avant les abus de tout genre du pouvoir. Certains ont été médiatisés, sur des chaines francophones mais aussi anglophones. Suite à mes révélations j’ai subi des menaces de mort, il y a eu une tentative d’assassinat, puis une deuxième, puis des commandos armés sont passés chez moi et ont tout détruit.
En novembre 2022, j’ai pu échapper à une énième tentative, cette fois ils voulaient en finir, parce que je m’étais déclaré ouvertement avec le mouvement que j’ai cofondé, le COPIL citoyen, contre la venue d’Emmanuel Macron. J’avais osé affirmer que le soutien de Macron n’avait rien d’écologiste mais que c’était un adoubement caché pour Ali Bongo. J’avais promis de peser de tout mon poids, en montrant les éléments nouveaux que j’avais. Je pouvais révéler à quel point la France est au courant de tout ce qui se passe, notamment au niveau du scandale écologique mais elle préfère regarder à côté.

L’État français vous a accompagné dans vos démarches? 

Pas du tout, au contraire même! Je peux expliquer dans les détails ce qui m’est arrivé. Je me suis réfugié à la base militaire française du 6ème Bima du nom de Camp de Gaules à environ 8h30. Pendant plus d’une heure, j’ai été interrogé par deux agents de la DGSE, puis pendant encore une heur par un haut gradé  français. L’ambassade de France à été informée de ma situation et devait envoyer un véhicule pour me sécuriser et m’emmener à l’ambassade. Soudainement à 12h plus de voiture qui devait me sécuriser et on m’a demandé de sortir de l’ambassade et de me débrouiller par moi-même pour rallier l’ambassade. J’ai pu atteindre ensuite l’ambassade française par des moyens détournés où on m’a refusé l’accès en me disant que je n’étais pas français mais gabono français. Et c’est ensuite l’ambassade des Etats-Unis qui m’a reçu. Grâce à leur contact, il y a eu des échanges avec l’ambassade de France. Quand les autorités françaises ont daigné m’écouter ce fut via le consulat qui m’a répété ne pas pouvoir me prêter assistance. Pendant que j’étais recherché par les services de renseignements, c’est la communauté d’activistes qui m’a aidé en me cachant pendant un mois. Ensuite, j’ai pu quitter le Gabon via un pays voisin, en me dissimulant dans un corbillard, à côté d’un cadavre. Depuis que je suis arrivé en France aucun officiel français ne m’a prêté la moindre assistance. Seuls quelques membres de la France Insoumise pendant que j’étais en cavale et recherché se sont bougés pour essayer de comprendre le refus de la France de me prêter assistance, notamment de la part de la ministre des affaires étrangères. Ce sont les seuls, avec des ONG, qui se sont mobilisés: Front Line Defenders, Freedom House, la FIDH et surtout Tournons la page, ONG à laquelle je suis affiliée depuis le Gabon. Ce sont uniquement eux qui se sont organisés pour que je puisse quitter le Gabon, ils ont également aidé ma femme et mes trois enfants. A aucun moment je n’ai eu la moindre assistance du gouvernement français. Mieux même, l’ambassade a refusé de me venir en aide lorsque ma vie était en danger et peu de temps après ils ont reçu les dirigeants de Perenco, qui recevaient de la main de la dictature gabonaise la médaille de l’ordre du mérite
Perenco n’est pas étrangère à ce qui m’arrive, car j’ai mis le doigt sur ce qui ne fallait pas.

Sur quoi porte la plainte contre Perenco? Comment l’avez-vous initié?

La plainte a été initiée par le ROLBG, le Réseau des organisations libres pour la bonne gouvernance au Gabon, présidé par Georges Mpaga, moi et un député indépendant, de la région impactée d’Etimboué, suite au refus de Perenco de collaborer avec la société civile quant aux dégâts environnementaux que nous avons constatés dans la région d’Etimboué. Il s’agissait de rejets d’hydrocarbures dans la nature, dans des rivières, dans des lagunes, en mer ou encore des rejets de gaz toxiques (sulfure d’hydrogène) à proximité d’habitations ou d’écoles, en pleine nature ou dans les cours d’eau,  occasionnent la mort de très nombreux animaux.

Quelle chance a la plainte d’aboutir au Gabon ?

Il n’y a aucune chance qu’elle n’aboutisse. Si déjà les autorités gabonaises ont daigné mettre en examen Perenco là-bas ce n’est pas parce qu’elles le voulaient mais parce que nous les avons contraints à travers nos reportages, les révélations que nous avons faites. Le Gabon reçoit d’énormes subventions pour la sauvegarde de l’environnement, voulant se montrer à la tête des pays d’Afrique centrale sur la question de l’environnement. Il s’est retrouvé obligé de porter Perenco en justice pour se montrer soucieux de l’environnement, au vu des preuves que nous avions apportés. Mais après ce petit coup d’éclat médiatique de la part des autorités gabonaises, rien n’est fait. Perenco a utilisé tout son poids pour bloquer les procédures. Un des rares juges d’instruction qui a bien voulu faire son travail, qui a été sur le terrain et qui nous a écouté pendant plus de huit heures, et bien il a été muté, envoyé dans la province du dictateur Ali Bongo ! Et aujourd’hui l’affaire est dans un tiroir.

Que se cachait-il derrière le One Forest summit ?

Pour quelqu’un qui parcourt le Gabon, d’Est en Ouest et Nord au Sud depuis plus d’une dizaine d’années, qui filme les pollutions pétrolières, les déforestations massives, quelqu’un qui voit comment Ali Bongo a fait venir des multinationales comme Olam devenue aujourd’hui Arise, qui ont défriché, coupé, rasé des milliers d’hectares de forêt pour faire des planter du palmier à huile dont la majorité est dirigé vers l’extérieur, mon implication était d’autant plus importante ! Je suis l’un des rares au Gabon à avoir des éléments de preuves irréfutables, j’ai réalisé des enquêtes de terrain montrant ces faits. Quoi de plus normal pour eux de tout faire pour me mettre au vert pendant la visite de Macron ? Pendant son voyage, il y avait d’ailleurs une pollution de Perenco, pendant qu’il se filmait dans la forêt de Monda, pas loin de Libreville. J’ai diffusé des images et donné les points GPS aux autorités mais Macron et tout son staff ont passé cette information sous silence. C’est un de vos confrères qui a récemment rendu publique cette pollution.
Perenco a estimé que nous racontons des histoires. Ils sont soutenus par la dictature gabonaise, personne ne sait ce qu’il y a derrière les contrats. Aucune personne, aucune institution ne peut nous dire comment Perenco a des contrats avec le Gabon. Ils ont un soutien total auprès des autorités gabonaises. Une grande partie des sous traitants de Perenco sont soit des entreprises créées par des anciens de Perenco, soit des membres de la famille présidentielle. Le One Forest Summit a été l’occasion pour Macron de légitimer Ali Bongo, pour qu’il y ait une continuité. Ce sont les garants des intérêts français depuis des décennies, voilà la réalité. A un moment il y a eu une brouille entre la France et Ali Bongo qui avait des contrats avec d’autres pays : Singapour, Malaisie et autres. Ali Bongo était dans une campagne de chantage, il a fait entrer le Gabon dans le Commonwealth, il a mis l’anglais comme langue officielle. Macron devait mettre de l’eau dans son vin, dans son premier mandat il ne l’avait pas reçu, il fallait un geste fort pour montrer son soutien. La communauté internationale n’est pas dupe et ce « sommet » a été un flop total. Notamment parce que le monde entier essaie de réduire ses émissions de GES et le Gabon pendant ce temps là est un pays qui permet à ses entreprises fossiles de polluer encore plus, tout en achetant des crédits carbone émis naturellement par la forêt gabonaise. Depuis qu’Ali Bongo a pris le pouvoir par la force, la coupe de bois centenaire au Gabon a été multipliée par dix ! Ce sont des chiffres officiels. Il se targue d’accroitre la pollution d’agrumes de bois, de coumé, d’ozigo, de padouk, d’acajou. Ces essences de bois mettent plus d’un siècle pour atteindre leur niveau actuel. Des entreprises malaisiennes et françaises coupent ces bois sans aucun plan de reboisement. Même si la forêt gabonaise s’autogénère, ce qui est une réalité, un arbre planté en 2023 arrivera à maturité en 2123. Au même moment où la pollution des eaux est de plus en plus forte une agence officielle gabonaise a mesuré une pollution de Perenco sur plus de 80 m². Ce One Forest Summit était une occasion de vendre des forêts gabonaises en faisant du greenwashing.

Est-ce qu’il y a une opposition réelle, indépendante, face au gouvernement au Gabon?

Ali Bongo, selon les chiffres officiels, venant également des observateurs de l’Union Européenne, avait perdu aux dernières élections. Il s’est maintenu par un massacre, une tuerie jamais vue en Afrique. Il a envoyé des commandos d’élite abattre les partisans de son challenger le soir de la proclamation officielle des résultats. Les médias occidentaux en ont un peu parlé, il y a même eu un hors série de l’émission complément d’enquête.
Mais ça s’est arrêté là car comme je l’ai dit, la France ayant trop d’intérêts et les Bongo ayant trop de secrets concernant la France et ses dirigeants, le pouvoir français n’a pas voulu que les choses aillent plus loin. Qu’Ali Bongo et ses sbires soient trainés devant une Cour de justice internationale, que le peuple gabonais puisse avoir un dirigeant totalement autonome et libre la France ne l’a pas permis.
Il y a eu des résolutions votées au sein de l’UE mais c’est la France qui s’y est opposée.
Aujourd’hui la France est un pays a double visage, le jour c’est le pays des droits de l’homme, le pays qui s’oppose à Poutine qui a envahi l’Ukraine et la nuit le pays qui s’autorise qu’une famille puisse tuer des centaines de gabonais depuis 60 ans. L’armée gabonaise est essentiellement équipée par la France. Regardez comment les militaires, policiers, gendarmes français sont habillés. Les Gabonais ont exactement les mêmes équipements que leurs collègues français. Ils ont les mêmes chaussures, mêmes treillis, mêmes armes. C’est la France qui arme essentiellement l’armée gabonaise, qui tire sur le peuple gabonais.
C’est la France qui a créé la garde qui s’occupe de la sécurité de Ali Bongo actuellement. C’est eux qui ont donné l’assaut sur monsieur Jean Ping en 2016. Je vous ai parlé de mon cas, bien qu’ayant carte d’identité française, pendant que j’étais pourchassé l’État français a refusé assistance et m’a dit que je n’étais pas français. La constitution française ne parle pas de français de seconde zone mais dans les faits ils ont bien dit que j’étais gabono-français.

Comment se présentent les élections qui sont programmées à la fin du mois ?

Aujourd’hui avec les élections, dans ce qui reste de l’opposition une partie a été éliminée par des arrestations arbitraires, une partie est corrompue grâce à l’argent détournée du pétrole, or et autres entreprises, qui sont d’ailleurs aux mains d’Ali Bongo et sa famille. L’opposition qui reste est donc attaquée au cours de ses meetings, la police, la gendarmerie préfère regarder à côté. Cette élection va se dérouler comme d’habitude avec une fraude massive orchestrée par le pouvoir. Le pouvoir, en pleine campagne électorale vient de change les règles du jeu en modifiant le code électoral. Quelques mois auparavant, ils avaient déjà changé la constitution. Il n’y a plus d’élection présidentielle à deux tours, un seul tour suffit. Dix pourcent des votes suffisent pour être déclaré président de la république. Cette fois nous disons que nous ne laisserons plus faire. Nous voulons vivre, développer notre pays pour nous-mêmes. Nous voulons pouvoir vivre dans notre pays. Dans cette élection présidentielle les dés sont pipés. Malgré tout le peuple et la vraie opposition dit trop c’est trop. Pour gagner les élections, le pouvoir devra tuer des milliers de Gabonais et la France devra l’assumer.

Avez-vous un message à faire passer ? Sur la situation de journalistes, de militants des droits humains ?

Je ne suis pas un cas à part. Et j’ai survécu ! Mais il y a quelques jours un jeune gabonais a été froidement abattu par des 200 gendarmes. Sa seule revendication était que le pétrole qui sort de sa région soit géré par les Gabonais et que les dividendes soient redistribués équitablement, à travers le pays mais surtout dans la région dont il était issu.
Il a monté un canular de prise d’otage pour attirer l’attention. Mais il n’a fait de mal à aucun otage et il a simplement libéré, son but était d’attirer l’attention du monde entier. Et il a été froidement abattu. Les habitants qui sont dans des régions riches où l’or, le pétrole, le manganèze sont exploités sont malheureusement les gens les plus pauvres du pays. Ces gens vivent dans une misère extrême.
La plupart de ces entreprises sont chinoises. Il y au aussi Areva qui a changé de nom. Ces entreprises font vivre les Gabonais dans la terreur. Car toute personne qui se plaint est soit exécutée, soit jetée en prison sans aucune forme de procès.

Il semble que les grands médias s’y intéressent plus facilement quand c’est une préoccupation du pouvoir national…

Oui, malheureusement j’en ai interviewé d’autres qui sont aussi désespérés et sur le point de commettre des actes de désespoir. Aujourd’hui en Occident beaucoup s’étonnent de voir les peuples africains soutenir plusieurs coups d’État. Mais les mêmes ne s’émeuvent pas quand depuis plus de soixante ans la France soutient des coups d’état électoraux ou constitutionnels. Dans ce cas, ce sont des civils qui confisquent le pouvoir et utilisent ou manipulent les forces de défense et de sécurité du pays pour mater, tuer, emprisonner. Quand c’est dans sons sens, l’État Français trouve que c’est normal. Donc qu’elle comprenne qu’aujourd’hui: les Africains n’en peuvent plus de son paternalisme. Et plus elle s’obstinera plus ce mouvement d’émancipation s’accélèrera et les peuples africains seront de plus en plus soudés. Personne sauf les dirigeants français ne crois réellement que c’est Wagner qui est derrière ce ras-le-bol généralisé. Wagner n’existait pas du temps de Sankara, Lumumba, Kwame Nkrumah, Mandela… ce sont les même aspirations d’autodéterminations qui ont toujours été la.

 

Source : https://www.investigaction.net/fr/bernard-christian-rekoula-perenco-nest-pas-etrangere-a-ce-qui-marrive-car-jai-mis-le-doigt-sur-ce-qui-ne-fallait-pas/

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