À partir de documents inédits du Pentagone, le New York Times a révélé que les bombardements US en Irak, en Syrie ou au Yémen ont tué bien plus de civils qu’annoncé. On parle de dysfonctionnements, d’informations erronées ou de frappes imprécises. Mais pour Norman Solomon, il n’y a rien d’imprévisible. La monstrueuse machine de guerre US entraîne mort et désolation. Et ce n’est pas près de s’arrêter… (IGA)
Les hauts responsables US essaient de nous faire croire que lors des guerres menées outre-Atlantique par le Pentagone, ils ont à cœur d’épargner scrupuleusement les populations civiles. Le concept est séduisant . Par ailleurs, ces tueries « high tech » éloignées du territoire national accréditent l’idée que les distances physiques et psychologiques confèrent aux guerres US un caractère plus humain.
De telles allégations seraient tristement risibles pour quiconque n’aurait pas connaissance de l’excellent travail de reporters de terrain comme Anad Gopal et Nick Turse. Par exemple, l’article de Gopal paru dans le New York Times du mois de septembre , « L’autre Femme afghane » offre un document circonstancié et accablant. Il fait état de massacres et de terreurs infligés systématiquement à l’encontre de populations rurales afghanes par les forces aériennes étasuniennes.
Turse, auteur et rédacteur en chef incisif de TomDispatch a écrit cet automne : « Ces 20 dernières années, les USA ont mené plus de 93 000 frappes aériennes – en Afghanistan, en Iraq, en Lybie, au Pakistan, en Somalie, en Syrie et au Yémen – qui ont tué entre 22 679 et 48 308 civils , selon les chiffres récemment publiés par Airwars – un groupe de contrôle de frappes aériennes basé au Royaume-Uni. Le nombre total de civils victimes de la violence directe des guerres US depuis le 11/09 se situe entre 364 000 et 387 000, selon le Projet des Dépenses de Guerre de l’université de Brown. »
Ces pertes, totalement prévisibles, sont les conséquences directes des politiques gouvernementales. Concrètement, on atteste d’un nombre massif de victimes civiles peu après la « guerre contre le terrorisme » entamée il y a 20 ans. Des informations secrètes solidement documentées ont commencé à apparaître il y a plus de 10 ans grâce aux révélations accablantes de lanceurs d’alerte courageux, avec notamment les publications du média indépendant WikiLeaks.
Pour avoir divulgué la vérité, ceux-ci ont été châtiés avec cruauté et acharnement. L’éditeur de WikiLeaks Julian Assange est emprisonné en Grande-Bretagne, confronté à une extradition imminente vers les USA où ses chances d’être jugé équitablement sont quasiment nulles.
L’ancien analyste du renseignement de l’Armée US, Chelsea Manning, a passé 7 ans dans une prison militaire. Son homologue de l’aviation US, Daniel Hale, a révélé les effets meurtriers de la guerre des drones. Il purge actuellement une peine de prison de 45 mois. Ils ont eu la lucidité et le courage de partager des informations capitales avec le public, mettant en lumière non seulement des erreurs, mais également des motifs de crimes de guerre.
De tels faits doivent être présents à l’esprit si l’on considère la manière dont a été publié le scoop sensationnel du New York Times le week-end dernier, s’appuyant sur plus de 1300 documents confidentiels. Sous le gros titre « Des rapports secrets du Pentagone font état de dysfonctionnements au cours de frappes aériennes meurtrières », le Times a dressé un bilan des bombardements en Iraq, en Syrie et en Afghanistan, révélant que depuis 2014, la guerre étasunienne a été sérieusement contaminée par des informations erronées, des frappes précipitées et imprécises occasionnant la mort de milliers de civils, dont beaucoup d’enfants.
Gardons bien à l’esprit que sous les mots « dysfonctionnement », « renseignements erronés » et « frappes imprécises », pratiquement rien n’était imprévisible. Les massacres sont la conséquence de politiques qui ont accordé très peu d’importance à la protection des populations civiles.
Ces politiques se poursuivent dans leurs grandes lignes. Le financement du militarisme permanent de la nation également, avec récemment, la loi de défense NDAA dotée d’un budget de 768 milliards de dollars qui a circulé au Congrès et a atterri sur le bureau du Président Biden.
Les chiffres peuvent paraître abstraits sur un écran, mais ils traduisent l’ampleur de la folie. Biden avait « seulement » demandé 12 milliards de dollars de plus que son prédécesseur. Mais cela ne suffisait pas aux yeux des marchands de tapis du Parlement qui ont accordé une augmentation de 37 milliards de dollars.
En fait, si l’on ne prend en compte que les dépenses de « défense », le budget militaire américain se situe autour d’un billion de dollars. Les efforts pour le réduire se sont heurtés à un mur. Cet automne, au cours d’un vote visant à réduire la dotation du Pentagone de 10%, seulement un cinquième des membres de la Chambre ont apporté leur soutien, et parmi eux aucun Républicain.
À l’inverse, le nombre de parlementaires favorables à une augmentation du budget militaire était impressionnant avec un vote de 363 contre 70. La semaine dernière, c’était au tour du Sénat de voter la mesure. Le vote a été de 88 contre 11.
Globalement, les dépenses militaires représentent environ la moitié du budget discrétionnaire total, alors que les programmes d’aide sont en réduction dans les organismes locaux, fédéraux et nationaux. Ces priorités malsaines révèlent une tendance dévastatrice au service d’un programme néolibéral à long terme. Elles sont judicieusement présentées comme des politiques visant à améliorer le fonctionnement d’un capitalisme débridé ayant pour objectif de limiter les dépenses et les règlementations publiques ainsi que la propriété de l’État.
Au Capitole, les deux Chambres peuvent avoir des désaccords majeurs sur les affaires nationales, mais en coulisses, les relations sont terriblement calmes. La semaine dernière, quand la NDAA a été avalisée par le Sénat, les deux responsables du Comité des Forces Armées se sont félicités : « Je suis ravi que le Sénat ait voté à une majorité écrasante la nouvelle loi de Défense”, a déclaré le Président de la Commission, Jack Read, un sénateur démocrate de Rhodes Island. Jim Inhofe, sénateur Républicain influent originaire de l’Oklahoma, a ajouté : « Cette loi envoie un message clair à nos alliés pour qui les Etats Unis restent un partenaire solide et crédible. Mais nos ennemis doivent aussi entendre que nous nous sommes prêts à défendre nos intérêts partout dans le monde ».
Cette loi s’adresse aussi et de manière très claire aux entrepreneurs US qui salivent à l’idée d’un nouveau repas servi à l’interminable festin des profiteurs de guerre.
Les bombes quant à elles, tombent très loin de leurs grands bureaux vitrés.
Source originale: Commond Dreams
Traduit de l’anglais par M. Durand pour Investig’Action
Photo: Mstyslav Chernov