Amérique Latine en Résistance : Entre le marteau et l’enclume

Éditorial / Défis pour Gustavo Petro

 

Gustavo Petro, premier président de gauche en Colombie, fait face à de sérieux obstacles. Alors qu’il célèbre sa première année au pouvoir, l’ancien guérillero est confronté à plusieurs fronts de bataille où se joue le destin de son gouvernement.

Le 20 juin, Petro a subi un revers majeur avec la défaite de sa réforme du travail  lors de son vote au Congrès colombien. L’exécutif cherchait à consacrer une série de droits pour la classe ouvrière, notamment le paiement des heures supplémentaires ainsi que l’augmentation des indemnités en cas de licenciement abusif.

Cependant, la nouvelle loi a été rejetée par le législateur, marquant la première défaite significative des réformes impulsées par Petro. Le président a pointé du doigt le pouvoir économique, dénonçant le fait que le secteur des entrepreneurs avait “coopté le congrès contre la dignité du peuple”.

Quelques jours plus tard, le président a annoncé qu’il présenterait à nouveau sa proposition au Congrès,  en soulignant que les députés devaient en discuter ouvertement pour décider s’ils étaient “du côté de l’exclusion” ou s’ils défendaient les droits de la majorité.

Cependant, même si l’on parvient à ce débat sur la réforme, Petro devra faire face au fait qu’il ne dispose d’aucune majorité dans les deux chambres législatives. L’alliance avec les forces libérales et du centre a duré seulement jusqu’en avril, date à laquelle ces partis se sont opposés à la réforme de la Santé, une autre promesse de campagne que le président considère comme étant une priorité.

En même temps, l’ancien maire de Bogota a réaffirmé son engagement envers le programme électoral soutenu par la majorité et a procédé à des changements dans son cabinet, en remplaçant plusieurs ministres des forces “alliées”qui se sont rapidement transformées en forces d’opposition.

Récemment, le gouvernement progressiste a également été secoué par un scandale qui a contraint Gustavo Petro à renoncer à deux figures clés : l’ambassadeur de Colombie au Venezuela, Armando Benedetti, et sa cheffe de cabinet, Laura Sarabia. Benedetti avait également été son directeur de campagne.

Benedetti et Sarabia étaient impliqués dans une guerre devenue publique présentant de nombreux aspects déplorables : des messages audio contenant des menaces, des accusations graves et même des écoutes téléphoniques illégales.

Si l’on ajoute à ce contexte l’hostilité constante des principaux médias et les appels lancés aux forces armées pour renverser le gouvernement élu, le scénario est sans aucun doute assez complexe pour Petro. Plusieurs analystes ont évoqué les éléments d’un possible “coup d’état mou” visant à liquider l’expérience progressiste en Colombie.

Dans ce contexte défavorable, Petro n’a pas cédé à la tentation de reporter ou d’abandonner certaines revendications de sa lutte afin de se présenter comme une figure moins dangereuse face aux pouvoirs “de fait”. Au contraire, sa coalition a appelé à de fréquentes mobilisations dans la rue, un élément essentiel qui est parfois sous-estimé, avec l’illusion qu’une fois les élections remportées, tout se résoudra par la voie institutionnelle.

L’une des priorités qu’il est parvenu à maintenir a été son engagement en faveur de “la paix totale”. Petro a réussi à calmer l’un des fronts de bataille, littéralement dans ce cas, en parvenant à un cessez-le-feu avec l’Armée de Libération Nationale (ELN), la principale guérilla active dans le pays.

L’accord a été conclu lors de la dernière série de négociations entre les délégations du gouvernement et de l’ELN qui s’est tenu à La Havane. Le cessez-le-feu offre l’opportunité d’accélérer les négociations de paix. Petro a formulé des déclarations quelque peu controversées sur la guérilla, mais finalement, il assume la responsabilité politique face aux opposants qui veulent simplement traiter l’ELN comme un élément “terroriste” à éliminer militairement.

On peut établir plusieurs parallèles aux défis auxquels le leader colombien est confronté, certains étant plus pertinents que d’autres. D’une part, une trajectoire comme celle de Pedro Castillo au Pérou semble écartée. Les comparaisons ont leurs limites, et Castillo n’avait pas l’expérience politique et ne disposait pas d’une force consolidée à l’image de Petro. Cependant, sa stratégie consistant à faire des concessions sans fin à ses ennemis, sans faire appel au soutien populaire qui l’avait porté à la présidence, a eu des résultats tragiques.

Le Brésil représente un autre cas similaire: Lula doit également faire face, tout en ayant une minorité à l’Assemblée, à une hostilité permanente, mais il ne s’est pas non plus montré disposé à abandonner ses priorités politiques.

En remontant un peu plus loin dans le temps, on retrouve l’exemple d’Hugo Chávez. Face à des élites réactionnaires et putschistes, Chávez a utilisé chaque assaut pour renforcer le pouvoir du peuple et radicaliser son projet. Le fait que le leader révolutionnaire vénézuélien avait une claire conscience de la menace de l’impérialisme constitue un point extrêmement important.

Gustavo Petro parviendra-t-il à naviguer dans ces eaux incertaines et pleines de dangers ? Beaucoup de choses sont en jeu.

 

Brèves

 

Mexique / Le ministre des affaires étrangères démissionne pour se porter candidat à la présidence

 

Marcelo Ebrard. (CNN)

Marcelo Ebrard a quitté son poste de ministre des Affaires étrangères du Mexique pour se présenter aux élections présidentielles de 2024.

L’ancien chef de la diplomatie mexicaine envisage de se présenter en tant que candidat du parti au pouvoir Morena. Claudia Sheinbaum, ancienne chef du gouvernement de la ville de Mexico, et Augusto López Hernández, ancien secrétaire de gouvernement, sont les autres principaux candidats du parti au pouvoir.

À partir du 19 juin, les pré-candidats commenceront leur tournée à travers le pays; elle se terminera le 27 août.

Quant à la consultation citoyenne, elle se tiendra du 28 août au 3 septembre; trois jours plus tard, le 6 septembre, le vainqueur sera annoncé.

 

Pérou / Les citoyens recueillent des signatures pour demander un référendum

 

Au Pérou, il existe un accord “de facto” entre Dina Boluarte et le Congrès de la République pour rester au pouvoir jusqu’en 2026; ceci, malgré le rejet généralisé et l’appel à des élections anticipées.

Dans ce contexte, le Comité national pour le référendum en vue d’élections anticipées a déjà recueilli environ 45 000 des 75 000 signatures requises par l’Office national des processus électoraux (ONPE) pour exiger de nouvelles élections.

Si ce mouvement parvient à recueillir les 75 000 signatures dûment certifiées, il lui faudra  les porter au Parlement et obtenir 2,5 millions de signatures supplémentaires.

À cet égard, l’institut de sondage Datum International affirme que seuls 5% des citoyens du pays considèrent Boluarte comme “honnête et intègre”.

 

Venezuela / Rejet des déclarations de Trump sur le pétrole vénézuélien

 

Donald Trump (Getty Images)

Le gouvernement vénézuélien a condamné les récentes déclarations de l’ancien président américain Donald Trump sur de prétendus projets de “saisie” du pétrole vénézuélien.

Lors d’un événement en Caroline du Nord, M. Trump a affirmé qu’à la fin de son mandat présidentiel, “le Venezuela était au bord de l’effondrement”, de sorte que les États-Unis auraient pu “s’emparer” du pays latino-américain et “garder tout son pétrole” au lieu de l’acheter comme c’est le cas actuellement.

En réponse, le ministre vénézuélien des affaires étrangères, Yvan Gil, a déclaré que les déclarations infâmes de Trump montrent que son seul objectif était de prendre le contrôle des ressources vénézuéliennes avec le soutien de groupes de laquais.

 

Bolivie / Accusations entre Luis Arce et Evo Morales

 

Luis Arce et Evo Morales, respectivement actuel et ancien président bolivien, ont échangé ces dernières semaines des accusations qui menacent la stabilité du Mouvement vers le socialisme (MAS).

La direction du parti, fidèle à Morales, a accusé l’actuel président de “trahison”, tandis que les secteurs “arceistes” rejettent les tentatives de division et de déstabilisation. Les deux camps se sont mutuellement accusés de corruption et de liens avec le trafic de drogue.

Les deux leaders ont tenu des réunions avec leurs partisans au cours des dernières semaines. Un climat de guerre civile au sein du MAS pourrait conduire à une victoire de la droite lors des élections présidentielles prévues en 2025.

 

Argentine / Grabois candidat aux primaires

Juan Grabois. (TV Pública)

Juan Grabois, leader du Mouvement des travailleurs exclus (MTE), a annoncé qu’il participerait aux primaires du Front péroniste Union pour la patrie qui détermineront le candidat aux élections générales d’octobre.

Le leader populaire, soutenu par le Frente Patria Grande, avait initialement décidé de ne pas se présenter afin de soutenir la candidature de Wado de Pedro, l’actuel ministre de l’intérieur. Cependant, le parti au pouvoir a annoncé la candidature de Sergio Massa. En réponse, M. Grabois a officialisé sa candidature.

Massa, actuel ministre de l’économie, est considéré comme une personnalité plus éloignée des mouvements sociaux. Le soutien de l’ancienne présidente Cristina Fernández de Kirchner sera décisif.

 

 

Veines ouvertes / Plébiscite du Cerro Chato

 

Le 3 juillet 1927, dans la ville de Cerro Chato en Uruguay, la population fut convoquée à un référendum pour décider à quel département la ville serait rattachée.

Au-delà de son objet, ce plébiscite fut historique car c’était la première fois que les femmes exerçaient leur droit de vote en Amérique latine.

Les luttes des mouvements féminins du continent inscriront le suffrage universel dans la législation au cours des décennies suivantes. L’Équateur (1929), le Brésil (1932) et Cuba (1934) ont suivi. Le Paraguay fut la dernière nation de l’hémisphère à autoriser les femmes à voter, en 1961.

 

Plaque commémorative : “Dans ce bâtiment, le 3 juillet 1927, les femmes ont voté pour la première fois en Amérique du Sud”.

 

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Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne correspondent pas forcément à celle des membres de l’équipe de rédaction d’Investig’Action.

Traduit par Ines Mahjoubi et Sylvie Carrasco. Relecture par Sylvie Carrasco.

 

Source : Investig’Action

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