Éditorial / Tensions au sein du MAS
Le Mouvement vers le socialisme (MAS) connaît un conflit interne croissant entre les partisans de l’ancien président et leader du parti, Evo Morales, et ceux de l’actuel président, Luis Arce.
Les désaccords concernent désormais tous les niveaux de l’organisation, l’Assemblée législative et les mouvements sociaux. Les deux camps se sont mutuellement (et publiquement) accusés de trahison, de droitisation, de corruption et même de liens avec le trafic de drogue.
Les partisans d’Evo soutiennent qu’Arce se trouve au sein d’’un scénario d’incertitude, particulièrement au niveau économique, en raison de la chute des réserves de la Banque centrale, de la pénurie de dollars et des rapports négatifs des agences de notation des risques. De ce fait, ils soutiennent que seul Morales peut redresser l’économie du pays, en rappelant les bonnes performances de ses gouvernements (2006-2019).
Mais, de leur côté, les partisans d’Arce, qui a été le bras droit d’Evo dans la gestion de l’économie au cours de ses trois gouvernements, soutiennent que les indicateurs macroéconomiques de la Bolivie restent fermes, brandissent le drapeau du renouveau et affirment que l’ancien président a désormais achevé son cycle historique.
Ces tensions ont commencé à la fin de l’année 2021 lorsqu’Evo et ses partisans ont demandé à Luis Arce de procéder à des changements dans son cabinet ministériel, ce qu’il n’a pas fait. Elles se sont aggravées cette année après que Luis Arce a ratifié le ministre de son gouvernement, Eduardo del Castillo, qui avait été censuré par les législateurs pro-Evo.
Du côté “arciste”, différents dirigeants ont reproché aux partisans d’Evo de créer des divisions au sein du parti et de l’affaiblir dans sa lutte contre la droite.
Álvaro García Linera, ancien vice-président pendant toute l’administration de Morales (2006-2019), a mis en garde contre ces tensions : “l’une historico-sociale et l’autre plus bureaucratique-administrative, qui, loin de trouver des mécanismes de rapprochement, s’éloignent de plus en plus (…) car chaque force croit qu’elle peut gagner seule, ce qui peut entraîner des divisions non seulement au sein de la direction, mais aussi dans la base”.
Après des semaines de déclarations et d’insinuations sur les réseaux et dans la presse, Arce et Morales se sont rencontrés début juillet à Cuba. Certains médias ont affirmé que l’île avait joué un rôle de médiation afin de favoriser un rapprochement entre les deux hommes.
Quelques jours plus tard, Arce a accepté l’invitation d’Evo à la cérémonie de clôture de jeux régionaux estudiantins dans la région productrice de coca des tropiques de Cochabamba, le fief politique et syndical de Morales. Lors de cet événement, on les a vus rire et discuter, ce qui a été interprété comme une possible “trêve” au sein du MAS.
Fin juillet, Evo a réaffirmé publiquement qu’il approuvait les plans du gouvernement Arce visant à poursuivre le processus d’industrialisation du lithium lancé par son gouvernement.
Cependant, certaines luttes sont toujours conflictuelles. Ainsi, le député Rolando Cuellar accuse l’ancien président d’avoir ordonné aux législateurs “evistas” de “saboter” l’approbation des crédits destinés à relancer l’économie du pays. De son côté, le député “evista” Daniel Rojas considère que les ministres d’Arce ne représentent personne.
Le prochain congrès national du MAS se tiendra du 3 au 5 octobre dans la ville de Lauca-Ñ, sous les tropiques de Cochabamba, où le parti définira sa stratégie pour les élections de 2025. Des organisations telles que la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB) joueront également un rôle important.
Les enjeux sont considérables en Bolivie, en ce moment. La droite, qui a montré de nombreux signes de son extrémisme et de sa violence, serait la grande bénéficiaire des divisions au sein du parti au pouvoir.
Le pays a réussi à résister à la dictature imposée par la droite en 2019 et s’est réaffirmé avec une victoire décisive aux élections. Du fait de ses très importantes réserves de lithium et d’autres richesses naturelles, en plus des revendications indigènes du MAS, la nation andine a un poids géostratégique important dans la région.
C’est au parti de décider de son orientation par le biais de ses mécanismes internes légitimes. Mais, il est important de regarder à nouveau vers l’horizon face aux tendances technocratiques et bureaucratiques qui sont partagées tant par le gouvernement actuel que par la fin du mandat d’Evo Morales.
Les bonnes performances économiques ont créé l’illusion d’un “capitalisme andin”, largement propagé par García Linera; celui-là a freiné la combativité et la participation des mouvements populaires. Ce mandat populaire qui a donné naissance au premier gouvernement indigène du pays n’était pas simplement de mieux gérer le capitalisme, mais de le transcender.
Note de l’éditeur : Au cours des dernières heures, les tensions se sont intensifiées après que le ministre de la justice a intenté une action en justice contre Evo Morales pour diffamation. En réponse, la direction du MAS a annoncé qu’elle n’autoriserait pas Arce à se présenter aux élections de 2025.
Brèves
Colombie / Petro cherche à promouvoir les réformes sociales
Le président de la Colombie, Gustavo Petro, a inauguré la nouvelle période des sessions ordinaires de L’Assemblée Nationale au cours de laquelle il va s’efforcer d’obtenir l’approbation des réformes sociales qui n’ont pas été adoptées au cours de la législature précédente.
Il s’agit, en particulier, de la réforme des systèmes de retraite, du droit du travail et du système de santé. Il est aussi envisagé des changements dans le domaine de l’Education Publique et du code de l’exploitation minière.
Petro s’efforce de recomposer son soutien parlementaire pour faire avancer son programme alors que l’autorité de son gouvernement se trouve fragilisée, conséquence des poursuites judiciaires ordonnées contre son fils et des accusations selon lesquelles sa campagne électorale aurait bénéficié de financement provenant du narcotrafic.
Pérou / Regain des protestations contre Dina Boluarte
Les Péruviens ont profité des “fêtes nationales” pour relancer les manifestations dans 26 régions du pays et exiger la démission de Dina Boluarte et la tenue d’élections législatives anticipées, scénario que la présidente a fermement rejeté en juin dernier.
En outre, les manifestants exigent avec insistance la libération de l’ancien président Pedro Castillo, placé en détention préventive. Castillo a été destitué à la suite d’un coup d’État parlementaire en décembre dernier.
Les manifestants ont également réclamé justice pour les 49 civils qui ont trouvé la mort, victimes de la répression des forces de police au cours des manifestations qui ont secoué le Pérou entre décembre et mars.
Équateur / la violence caractérise la campagne présidentielle
En Equateur, la campagne électorale a été plongée dans une violence extrême. Fernando Villavicencio, candidat de droite, a été assassiné le 9 août alors qu’il quittait un meeting de campagne, dans la capitale, Quito.
L’événement a suscité de très vives critiques à l’égard des récentes politiques concernant la sécurité et le développement des cartels de la drogue dans le pays. Quelques jours plus tard, Pedro Briones, un dirigeant local du parti Révolution Citoyenne, a également été assassiné à San Mateo de Esmeraldas.
Dimanche prochain, l’Équateur votera pour élire un nouveau président et des députés qui auront pour tâche de conclure le mandat interrompu du président Guillermo Lasso qui a démissionné et dissout le Parlement.
El Salvador / Bukele en quête d’un deuxième mandat controversé
Le président du Salvador, Nayib Bukele, s’est déclaré candidat pour les élections de février 2024, fait sans précédent dans l’histoire démocratique du Salvador.
Les experts affirment que la Constitution interdit l’exercice de deux mandats consécutifs, au Salvador. Mais le président et son équipe juridique ont fait valoir une autre interprétation de l’article 152 de la Constitution.
Ces affirmations de Nayib Bukele ont provoqué de vives critiques dans les rangs de l’opposition. Le parti Sumar a qualifié la réélection « d’inconstitutionnelle ». De son côté, le Front Farabundo Martí de Libération Nationale (FMLN) accuse l’exécutif de corruption et de népotisme.
Argentine / Un candidat d’extrême droite remporte les primaires
Javier Milei, un politicien d’extrême droite qu’on a comparé à Trump et à Bolsonaro, a remporté les primaires (PASO) [Primarias, Abiertas, Simultáneas y Obligatorias, i.e. élections Primaires, Ouvertes, Simultanées et Obligatoires]) qui ont eu lieu en Argentine le 13 août.
Milei défend un programme clairement xénophobe. Il propose une réduction drastique de la fonction publique, une flexibilisation des horaires de travail ainsi que des mesures contre les syndicats.
Ces PASO ont également désigné les autres candidats. Sergio Massa, l’actuel ministre de l’Economie, représentera les forces péronistes de l’Union pour la Patrie ; il a défini les prochaines élections comme étant un combat “pour la démocratie”. La droite “traditionnelle” aura pour candidate Patricia Bullrich, ex ministre en charge de la Sécurité dans le gouvernement de Mauricio Macri.
Interview
Uruguay / Hernán Salinas: “Nous avons souffert du changement climatique et du modèle économique”
L’Uruguay a refait la Une des journaux et de l’actualité à l’occasion d’une grave pénurie d’eau, principalement dans sa capitale, Montevideo. Hernán Salinas, journaliste, membre de l’équipe de Radio Centenario de Uruguay, évoque les causes de cette crise et nous éclaire sur le contexte politique du pays et les élections de l’année prochaine.
L’Uruguay a défrayé la chronique ces dernières semaines à cause de la grave sécheresse qui touche le pays et, tout particulièrement, la capitale Montevideo, laquelle a vu tarir presque en totalité son approvisionnement en eau potable. Comment peut-on expliquer une telle situation? Autrement dit, quelles sont les causes externes (climatiques) et internes (gestion de cette ressource) ?
La crise hydrologique s’explique essentiellement par deux facteurs. D’un côté, la sécheresse. Cela fait presque plus de deux ans qu’il n’a pas plu comme d’habitude, et la plus grande part de notre énergie est hydroélectrique, parce que nous bénéficions d’un grand nombre de rivières, de ruisseaux, et du bassin aquifère Guarani, qui est l’une des plus grandes réserves d’eau douce au monde.
Nous avons souffert du changement climatique comme le reste du monde. Mais nous souffrons du développement d’un modèle productiviste qui utilise l’eau, par exemple, l’expansion de l’agro-industrie du soja, non seulement requiert d’importants volumes d’eau, et, en plus, elle pollue les nappes d’eau douce avec des produits agrochimiques, tout autant que les “mégaprojets” tels que les « pasteras », ces usines de pâte à papier à base de cellulose.
Le débit du fleuve Santa Lucia, qui fournit en eau potable 80 % de notre pays, n’a pas cessé de baisser et le volume d’eau dans le barrage de Paso Severino est descendu à moins de 2 % de sa capacité. Alors le gouvernement a décidé d’autoriser le prélèvement d’eau salée dans le Rio de la Plata.
Au début, les autorités ont dit que c’était de l’eau potable, puis elles ont commencé à recommander d’acheter de l’eau en bouteille, spécialement pour les femmes enceintes, pour les personnes souffrant de problèmes rénaux, etc. Tout cela a entraîné des problèmes supplémentaires dans les hôpitaux, sur les lieux de travail, dans les établissements scolaires… ce fut une véritable crise qui n’est pas encore finie.
Il y a aussi un autre secteur qui a besoin de grandes quantités d’eau : le développement de projets « d’hydrogène vert »; notre président Lacalle est revenu du dernier sommet CELAC-Union Européenne en ayant pris l’engagement de les mettre en œuvre. En plus de cela, il y a beaucoup de rivières et de ruisseaux qui sont souvent exploités illégalement dans le cadre de programmes agricoles qui détournent ou puisent de l’eau dans les rivières sans autorisation.
En pleine crise de l’eau, d’autres problèmes sont aussi à l’ordre du jour. Par exemple, les syndicats uruguayens viennent d’annoncer une campagne de mobilisation contre la réforme des retraites promue par Lacalle Pou. De quoi s’agit-il? Pourquoi cette opposition?
La réforme des retraites ou de la Sécurité Sociale, comme nous l’appelons, nous, c’est un débat que nous traînons depuis des années, mais sous ce gouvernement de Lacalle Pou, la droite est passée à l’offensive en prétendant qu’il y a un déficit. Ils affirment que le pays perd des centaines de millions de dollars en versant de l’argent pour la sécurité sociale. Et ce n’est pas vrai.
Ce n’est pas un sujet sur lequel on peut parler de déficit. Il s’agit d’un Droit de l’Homme que chaque État est tenu de garantir. La question est : comment doit-on financer ce droit ? L’Uruguay possède un système mixte de retraites et de pensions : il y a les retraites de l’Etat, les Organismes Privés qui gèrent les Fonds d’Epargne Prévisionnelle (AFAP, en espagnol) et des Caisses particulières concernant d’autres secteurs comme la banque, les universitaires, la police, etc. Le gouvernement actuel a conçu et fait voter une réforme des retraites qui repousse l’âge du départ à la retraite avec l’argument que, soi-disant, les gens vivent plus longtemps et que, par conséquent, ils peuvent travailler plus longtemps.
La loi accorde également une plus grande latitude aux AFAP pour puiser dans les fonds déposés par les salariés et acheter des actions, par exemple. Cela a donné lieu à diverses protestations dans le camp des travailleurs. Les syndicats, les mouvements sociaux et quelques partis de gauche ont élaboré un projet alternatif de réforme de la Sécurité Sociale et ont décidé de proposer un référendum pour que la Constitution stipule explicitement l’interdiction pour le secteur privé de tirer profit de la Sécurité Sociale. Le Mouvement National de Défense de la Sécurité Sociale a été créé et l’idée est de procéder au référendum en même temps que les élections législatives d’octobre 2024.
Bien qu’il reste plus d’un an avant les élections, comment le Front Large s’organise-t-il actuellement ? Est-il possible de reprendre la voie progressiste en Uruguay ?
Le Front Large (FA), (Frente Amplio en espagnol) tout comme les autres partis, en est à l’étape du choix des pré-candidats pour les présidentielles. Ceux-ci commencent à chercher des alliés et à accroître leur visibilité. Dans le camp du FA (Front Large) deux candidats émergent: Yamandú Orsi, actuel maire de Canelones, le deuxième plus grand département en termes de population, et Carolina Cosse, la mairesse de Montevideo.
Par ailleurs, la Front Large renforce son rôle et son activité en tant que parti d’opposition qui prétend être une alternative pour reconquérir le pouvoir. Certains sondages indiquent que le Front Large a de bonnes chances de battre tous les partis unis, y compris les partis traditionnels (Nacional et Colorado), le Cabildo Abierto (Parti d’extrême droite), le parti Independiente (social-démocrate) et le parti dit Partido de la gente (parti des gens). Cependant, beaucoup d’électeurs du Front Large ont migré vers deux autres partis : le Cabildo Abierto, qui tient un discours nationaliste et qui de l’écho dans les secteurs les plus humbles; il y a également des électeurs qui font défection à gauche, et rejoignent le parti Unité Populaire. On a vu également la naissance d’autres partis, en lien avec l’écologie. Ils sont apparus ces dernières années et ils tiennent un discours assez critique.
Veines ouvertes / La rébellion des Zendales
En août 1712, les peuples indigènes du Chiapas, dans le sud du Mexique, se sont révoltés et ont pris les armes contre la domination espagnole.
À l’origine de l’insurrection se trouvaient: des impôts excessifs, surtout en période de mauvaises récoltes, et l’influence excessive de l’Église catholique. Les Indiens cherchaient également à remplacer les autorités ecclésiastiques par un clergé local.
La rébellion parvint à s’étendre à plusieurs villes qui se trouvaient, à cette époque-là, sous l’autorité de l’Audience du Guatemala. La couronne réagit avec une extrême violence, rasant les villages contrôlés par les indigènes, et en novembre, elle finit par écraser l’insurrection.
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Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne correspondent pas forcément à celle des membres de l’équipe de rédaction d’Investig’Action.
Traduit par Manuel Colinas Balbona et Sylvie Carrasco. Relecture par Sylvie Carrasco.
Source : Investig’Action