« Les événements du monde n’arrivent pas toujours avec l’emballage que nous préférons »
Ahmadinejad – Mohamed Hassan répond aux questions des lecteurs
La semaine dernière, en situant les événements d’Iran dans leur contexte historique et en mettant en lumière les intérêts cachés par nos grands médias, Mohamed Hassan vous a apporté ici-même les clés pour mieux comprendre l’enjeu fondamental : la souveraineté nationale de ce pays face à l’impérialisme occidental (1). Beaucoup de commentaires positifs après cette interview, largement répercutée dans le monde. Cependant, la république islamique et son président restent des objets de controverse et quelques lecteurs ont interrogé Mohamed Hassan: « « Critiquer Ahmadinejad signifie-t-il se ranger du côté de l’impérialisme ? » ; « Pour moi, la seule position valable est soutenir dans leur lutte les mouvements progressistes» ; « Justifiez-vous l’oppression ? » ; « Vous citez Chomsky, mais il a lui-même soutenu le mouvement d’opposition après les élections ». Nous remercions nos lecteurs pour leur contribution à une information de qualité. Voici les réponses de Mohamed Hassan dans cette interview « postface ».
Critiquer Ahmadinejad signifie-t-il se ranger du côté de l’impérialisme ?
C’est une interprétation de ce que j’ai dit. Les critiques sont bien évidemment autorisées. Là où il n’y a pas de contradictions, il n’y pas de vie. Mais il faut distinguer d’un côté les contradictions au sein d’une famille qui doivent être résolues de manière démocratique et de l’autre côté, les contradictions antagoniques qui appellent une révolution. En tant qu’anti-impérialiste, je soutiens la défense de la souveraineté nationale iranienne vis à vis de l’impérialisme. Bien sûr, l’Iran est un Etat bourgeois revêtu d’une robe islamique ou théocratique. Mais ce n’est pas mon devoir de résoudre les problèmes des Iraniens avec le régime actuel. Cela revient au peuple iranien.
En tant que marxiste, pourquoi n’avez-vous pas soutenu le mouvement de protestation après les élections ?
Je soutiendrai toujours le segment le plus progressiste de la société iranienne qui défendra la souveraineté et l’indépendance du peuple iranien face à l’impérialisme. Le fait est que le mouvement mené par Moussavi ne s’inscrit pas dans cette tendance. Les soi-disant réformistes ont longtemps entretenu de bonnes relations avec les impérialistes. Après le 11 septembre, par exemple, c’est l’Iran, à l’époque dirigé par Khatami, qui a mobilisé toutes ses forces diplomatiques pour rassembler les plus importants groupes en Afghanistan dans l’objectif de former un gouvernement. Alors que les Etats-Unis rencontraient de grosses difficultés pour y parvenir, l’Iran de Khatami leur a donné un coup de main en formant le gouvernement de Karzaï. Mais cela a ouvert un débat important en Iran sur le fait que le pays se faisait encercler par l’impérialisme américain. Cela constitue une partie du contexte dans lequel l’Iran est passé des « réformistes » à Ahmadinejad. Et c’est pourquoi, contre ce dernier, les Etats-Unis ont soutenu Moussavi aux dernières élections. Leur but était de rétablir des relations « pragmatiques » avec l’Iran.
Quelles auraient été les conséquences si le mouvement d’opposition avait abouti ?
Tout d’abord, un Etat comprador (c’est-à-dire soumis à l’étranger) aurait été réinstallé en Iran et les richesses du pays auraient été pillées, comme c’était le cas sous le Chah. Deuxièmement, il ne faut pas perdre de vue que les pays voisins, l’Irak et l’Afghanistan, sont en guerre. Si les forces contre-révolutionnaires prennent le pouvoir en Iran, les Etats-Unis auront un avantage considérable pour contrôler l’Asie, en dominant et l’Irak et l’Afghanistan. Ils seront aussi en mesure d’affaiblir leurs opposants stratégiques – Russie, Inde et Chine – en contrôlant les importantes ressources de la région. Ensuite, la résistance palestinienne sera isolée et le gouvernement sera probablement renversé en Syrie.
Ahmadinejad n’est pas toujours vu comme un progressiste. N’est-il pas surprenant que vous le souteniez ?
Je ne soutiens par Ahmadinejad dans tout ce qu’il fait. Bien sûr, nous préférerions que l’indépendance iranienne soit soutenue par le mouvement le plus progressiste possible. Mais les événements qui se produisent dans le monde ne nous parviennent pas toujours dans l’emballage que nous souhaitons. Il est donc important de regarder, derrière la couleur de l’emballage, quelles sont les véritables contradictions et quels sont les différents aspects du problème. D’un côté, Ahmadinejad défend l’Iran contre l’impérialisme : c’est ce qui m’intéresse et c’est pourquoi je le soutiens. D’un autre côté, Ahmadinejad est un nationaliste à la tête de son pays, mais je n’ai pas la prétention de résoudre les problèmes au sein de la société iranienne : il revient au peuple iranien de faire cela.
(1) Mohamed Hassan, Que doit faire Ahmadinejad pour recevoir le prix Nobel
Quelques lectures recommandées par Mohamed Hassan:
– Simpson, Christopher, The Splendid Blond Beast: Money, Law, and Genocide in the Twentieth Century. New York, Grove Press, 1993. 399 pages. Reprinted in 1996 by Common Courage Press
– Kenneth M. Pollack, A path out of the Desert, A Grand Strategy for America in the Middle East, Random House, 2008
– Mahmood Madmani, Good Muslim, Bad Muslim, Three Leaves, 2005
– Gilad Atzmon, Qui est juif? (article en ligne)