Propos recueillis par Pablo de Roulet
Les droits de l’enfance fêtent leurs 20 ans. Le Nobel argentin Adolfo Pérez Esquivel appelle à se mobiliser pour les adolescents.
Le 11 Juin 2009
La semaine passée le Bureau international catholique de l’enfance (BICE) lançait un «Appel mondial à une nouvelle mobilisation pour l’enfance». Pour le 20e anniversaire de la Convention des droits de l’enfant, cette initiative veut pousser les Etats signataires – l’ensemble des membres de l’ONU, moins la Somalie et les Etats-Unis – à appliquer la convention. Et les autres à la signer… Le militant argentin Adolfo Pérez Esquivel, Prix Nobel de la paix 1980, architecte et artiste, était à Genève pour soutenir cet appel. Fondateur en 1976 du Service paix et justice, il a toujours milité pour la libération des pauvres à travers des méthodes non violentes.
Pourquoi vous être associé à l’appel du BICE?
Adolfo Pérez Esquivel: La fondation Service paix et justice est déjà engagée dans le programme Village des enfants pour la paix1, pour l’éducation et la formation professionnelle. Il est important que le BICE appelle à la conscience internationale à propos des droits de l’enfant. Vingt ans après la Convention de l’ONU, c’est un moment pour réfléchir à la violence structurelle des sociétés qui affectent aussi les enfants.
Qu’est ce qui a changé du point de vue du droit des enfants depuis vingt ans?
En positif, il y a maintenant une conscience plus grande pour prendre en compte la Convention des droits de l’enfant. Il y a aussi des évolutions plus préoccupantes. En particulier la situation des jeunes entre 13 ans et 18 ans, qui sont très touchés par la pauvreté. C’est le moment où l’Etat est le plus absent alors qu’il faudrait donner beaucoup d’attention aux adolescents. Les problèmes ne diminuent pas mais augmentent à cause de mauvaises politiques publiques, et pas seulement économiques. La situation est particulièrement dramatique pour les jeunes vendeurs de rue et la situation carcérale des adolescents. Des pays comme la Bolivie ont fait des progrès récents très significatifs, en particulier sur le plan de l’alphabétisation. Des succès importants ont aussi été enregistrés au Venezuela et au Brésil. Dans ces pays, nous intervennons en collaboration avec l’Etat. Mais sans jamais vouloir le supplanter. Ce n’est pas notre rôle.
Qu’est-ce qui distingue la question des droits de l’enfant des droits humains en général?
Les enfants ont beaucoup moins de moyens de défense. Ils ne se considèrent pas comme sujets de droits. Ils sont particulièrement pénalisés par la pauvreté. C’est par exemple ce qui mène à la prostitution infantile, où des enfants se retrouvent vendus. Cette pénalisation intervient également avec la pornographie et la drogue. Pour s’attaquer à ces problèmes, il faut une action forte de la responsabilité des sociétés, des Etats et des Eglises.
Tous les Etats latino-américains ont signé la Convention. Tiennent-ils leur engagement?
Partiellement. L’Etat est souvent absent, notamment dans les questions de santé publique. La pauvreté des pays n’explique pas tout. L’exemple de Cuba montre que la pauvreté d’un pays ne l’empêche pas de mener des politiques attentives à la question de l’enfance. Il est paradoxal qu’en Amérique latine, Cuba et la Bolivie – deux Etats parmi les plus pauvres du continent – soient ceux qui investissent le plus dans l’éducation et la santé. Alors que l’Argentine, qui dispose de grandes richesses, ne le fait pas.
Dans les pays qui font des progrès, vous citez ceux de la vague de gouvernements de gauche des dernières années…
La question n’est pas leur couleur idéologique. Il s’agit de savoir s’ils remplissent leurs obligations comme signataires de la Convention. C’est avec le fruit que l’on connaîtra l’arbre.
L’appel du BICE permettra-t-il de faire bouger les Etats?
C’est important, mais je ne crois pas que cela sera suffisant. Les gouvernements ne changent pas les choses par eux-mêmes. C’est sous la pression sociale pour les confronter à leurs obligations qu’ils agissent.
Et les enfants, connaissent-ils leurs droits?
Nous travaillons sur cette question dans toute l’Amérique latine. Ils doivent savoir qu’ils sont sujets de droits. Au Salvador, notre réseau est actif avec des enfants membres des bandes armées, pour les former à une éducation critique et leur transmettre des valeurs. Ensuite il ne suffit pas de parler, il faut aussi transformer les mots en action. Il faut aussi élargir cette question des droits de l’enfant. Au Mexique par exemple, on évoque beaucoup les enfants des villes mais on se penche peu sur les indigènes. Pourtant, la vie est faite pour tous, pas seulement pour quelques-uns. Malgré toutes les difficultés, il ne faut pas s’arrêter d’espérer. Comme disaient les étudiants parisiens en 1968: «Soyons réalistes demandons l’impossible!».
Source: Le courrier