Expansion du tourisme international : gagnants et perdants

Si l’explosion du tourisme repose sur sa démocratisation au sein des pays riches, son internationalisation n’en confirme pas moins son caractère inégalitaire, et le discours humaniste de l’OMT, son option libérale. Révélateurs des disparités Nord-Sud, les flux touristiques creusent les écarts : les tour-opérateurs transnationaux se partagent une part croissante des profits et le « premier monde » s’impose toujours comme le principal émetteur et récepteur des « migrants de plaisance ».

Ce texte est l'éditorial du nouveau livre que le Centre tricontinental (CETRI) de Louvain-la-Neuve vient de publier dans sa collection Alternatives Sud, coéditée chez Syllepse à Paris. Expansion du tourisme : gagnants et perdants.

Table des matières en fin d'article.

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Pour autant, le tourisme est devenu la première source de devises pour un tiers des « pays en développement ». A quels coûts sociaux, environnementaux et culturels ? Privatisation du patrimoine, saccage des écosystèmes, folklorisation des sociétés, consommation des moeurs… la monoculture du tourisme massifié et la diversification tous azimuts de son offre induisent-elles autre chose qu’un « nouvel usage occidental du monde » ? Les initiatives en matière de tourisme éthique veulent le croire. Reste que la réalité du rapport inégal entre « visiteurs » et « visités » et celle, plus globale, du déséquilibre entre promoteurs de l’industrie touristique et populations locales appellent de nouvelles régulations.

Mots clés : tourisme international, démocratisation, libéralisation, développement.

« Fils de l’industrialisation et de la démocratie, bon élève de la consommation et de la mondialisation » selon la formule synthétique de Mimoun Hillali (2003), le tourisme moderne trouve son origine en Occident dans le contexte socioéconomique de l’après Seconde Guerre mondiale et prend véritablement son essor globalisé dans les années 1970. L’augmentation du pouvoir d’achat et de la durée du temps hors travail des salariés a bien sûr joué un rôle déterminant. Fruit des luttes, des politiques sociales et des périodes longues de croissance économique des Trente Glorieuses, elle a ouvert les portes des loisirs de vacances au plus grand nombre.

Conjuguée au rétrécissement des distances réelles et virtuelles du fait de l’explosion des communications, cette élévation du niveau et de la qualité de la vie va aussi consacrer la démocratisation du tourisme international au sein des couches moyennes des pays riches. La libéralisation du marché des compagnies aériennes précipitera, dans un deuxième temps, sa massification et son expansion planétaire. Jadis réservé aux explorations et aux villégiatures aristocratiques d’une poignée de privilégiés, le luxe du voyage d’agrément s’est ainsi étendu en quelques décennies aux deux tiers des populations d’Europe et d’Amérique du Nord, et ces dernières années, croissance des pays émergents aidant, aux nouvelles classes moyennes des autres continents.

Premier poste du commerce mondial

S’il est un constat en matière de tourisme international qui ne prête pas à débat, il s’agit bien de celui de sa forte expansion. Autant la logique de cette dernière, ses formes, sa répartition, ses coûts et ses bénéfices alimentent la controverse – comme nous le verrons plus loin –, autant l’évidence de la croissance accélérée du phénomène impose le consensus. Depuis un peu plus d’un demi-siècle, de 1950 à nos jours, le secteur a enregistré une progression constante (6,5% de croissance moyenne annuelle) et plus rapide encore que celle des échanges internationaux.

De 10 à 20 millions de déplacements touristiques hors des frontières nationales dans l’immédiat après-guerre, on est ainsi passé à quelque 200 millions de vacanciers internationaux en 1975, 500 millions en 1995, 700 millions en 2002 et 808 millions en 2005 ! A ce jour, les estimations de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), tablant sur une croissance moyenne annuelle de 4,1%, prévoient 1 milliard d’« arrivées aux frontières au titre du tourisme » en 2010 et 1 milliard 600 millions en 2020 (OMT, 2006). En nombre absolu de « migrants de plaisance », le tourisme international va donc doubler dans les 15 prochaines années, après avoir quadruplé lors des trente dernières… L’Europe et l’Amérique du Nord, principaux émetteurs de vacanciers (70% du total mondial), enregistrent aussi l’essentiel des arrivées (76% en 1990, 66% en 2005), mais la part des autres continents croît (Asie et Pacifique : 19,3% ; Caraïbes et Amérique latine : 5,4% ; Moyen-Orient : 4,8% ; Afrique : 4,5%).

Source : OMT, www.world-tourism.org.

L’évolution des recettes du secteur suit la même tendance à la hausse : de quelque 300 milliards de dollars en 1990, elles ont atteint en 2005 près de 700 milliards (sans y inclure les recettes du transport international, estimées à environ 17% des gains cumulés du tourisme et du transport). Ces recettes équivalaient en 2003 à approximativement 6% des exportations mondiales de biens et de services et à pratiquement 30% des seuls services. Le secteur touristique, qui représente le premier poste du commerce mondial devant l’automobile et les hydrocarbures, continue à croître 1,3 fois plus rapidement que le produit mondial brut, pour en constituer actuellement plus d’un dixième (OMT, 2005 ; Alternatives internationales, 2004). Créatrice de richesses et fournisseuse de voyages et de loisirs pour un septième de l’humanité, l’industrie touristique pourvoit également quelque 250 millions d’emplois dans le monde.

On a donc affaire à un phénomène majeur des sociétés contemporaines, pas seulement en tant que fait économique de premier plan mais aussi comme réalité socioculturelle d’envergure mondiale. De par l’accroissement de ses flux et le développement de « ses techniques de commercialisation et de gestion à distance », de par le caractère polyfonctionnel, global et réticulaire de son industrie, de par la mobilité de ses clients et de ses capitaux, l’activité touristique supranationale, longtemps sous-évaluée, s’impose comme « un des leviers les plus puissants de la mondialisation » et assume désormais « un rôle central et décisif » dans l’évolution de l’économie internationale et des rapports Nord-Sud (Lanfant, 2004).

Discours légitimateurs

Pareil développement du « fait touristique international » n’est pas survenu et n’a pu s’amplifier dans un vide d’orientations légitimatrices ou de considérations normatives diverses. En la matière, les lectures dominantes et le discours officiel, bien que relativement constants, vont connaître au fil des décennies certaines fluctuations significatives, reflets de la conjoncture internationale ; tantôt dans un processus d’adaptation aux exigences du secteur, tantôt dans une volonté d’infléchissement des pratiques. Trois grands « moments » – ou « écoles », dans la mesure où elles continuent à coexister – sont généralement distingués par les observateurs (Sofield, 2000 ; Cazes et Courade, 2004 ; Lanfant, 2004).

Le premier est celui du plaidoyer – advocacy platform – pour motifs économiques. Dès le début des années 1960, une théorie, particulièrement relayée par le PNUD, la Cnuced, l’OCDE, la Banque mondiale…, va faire florès : si les pays riches sont certes les premiers bénéficiaires du tourisme, celui-ci peut aussi être l’outil de développement des pays sous-développés et singulièrement des petits Etats insulaires, pauvres en ressources naturelles. En y générant des emplois, des devises, des services et des infrastructures, il servira de courroie de transmission des richesses des pays riches vers les pays pauvres. Les atouts de ces derniers ne manquant pas (main-d’œuvre bon marché inemployée, cadres naturels et culturels, coûts des services, marché foncier peu onéreux, attractivité et nouveauté des produits), leurs bénéfices n’en seront que plus importants. Le tourisme comme « moteur de développement du tiers-monde » est la panacée de la décennie et cette doctrine va légitimer la construction de grandes stations touristiques aux quatre coins du monde.

Le deuxième moment, entamé dans les années 1970, est celui du dépassement des seuls aspects économiques dans la justification du développement du tourisme, pour y ajouter l’idéal de la rencontre interculturelle, de la compréhension et du respect mutuels entre les hommes et entre les sociétés. En réponse aux effets observés de domination et d’acculturation, aux critiques qui prennent de l’importance et aux écarts entre les promesses et la réalité qui écornent la légitimité du développement « par » et « pour » le tourisme, l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) en particulier va rappeler les fondements humanistes de son action de promotion et l’inscrire dans la Charte du tourisme de 1980. C’est l’apologie du tourisme « faiseur de paix » et respectueux des environnements culturel et naturel.

Le troisième moment est celui de la montée en puissance, dans le discours de l’OMT et dans certaines pratiques, d’un modèle alternatif au tourisme de masse dont la visibilité de l’impact environnemental commence à déranger. Parallèlement à l’avènement du concept de « développement durable » sur la scène internationale (Commission mondiale pour l'environnement et le développement en 1987, Sommet de la Terre à Rio en 1992), les promoteurs du tourisme vont prendre à leur compte celui de « tourisme durable ». Il s’agit pour l’adaptancy platform de promouvoir de nouvelles formes de tourisme, plus adaptées, plus vertes, plus douces, plus appropriées, plus écologiques… Au-delà, le Code mondial d’éthique du tourisme qui voit le jour en 1999 défend l’idéal d’un « ordre touristique équitable, responsable et durable » qui, parce qu’il n’entend pas brider la formidable croissance de l’activité, doit veiller au « bénéfice partagé de tous les secteurs de la société », à l’« enrichissement du patrimoine culturel », à la sauvegarde de l’environnement, à la justice sociale, aux « droits des groupes les plus vulnérables », aux « valeurs éthiques communes à l’humanité », etc.

Reste que ces évolutions du discours officiel et cette litanie de beaux principes « universels » – sans force de loi – sur laquelle elles aboutissent s’accommodent dans les textes à une option libérale plusieurs fois réaffirmée (Lanfant, 2004). Puisqu’il s’agit de promouvoir l’expansion mondiale du tourisme, « facteur de développement », et que la libéralisation des marchés, la progression des échanges internationaux et la bonne performance du secteur privé y aident, le bien-être des sociétés et la diminution de la pauvreté dépendent de facto du succès du libéralisme économique. Cqfd. Le credo est reformulé textuellement en préambule du Code mondial d’éthique : « Nous, membres de l’OMT (…) marquons notre volonté de promouvoir un ordre touristique mondial (…) dans un contexte d’économie internationale ouverte et libéralisée » (OMT, 1999). Et plus loin, plus précisément : « Les impôts et charges spécifiques pénalisant l’industrie touristique et portant atteinte à sa compétitivité doivent être progressivement éliminés ou corrigés. »

Mais c’est l’article 9 « Droits des travailleurs et des entrepreneurs de l’industrie touristique » de ce même Code qui rend le mieux compte de toute l’ambivalence de l’humanisme de l’agence onusienne : « Facteur irremplaçable de solidarité dans le développement et de dynamisme dans les échanges internationaux, les entreprises multinationales de l’industrie touristique ne doivent pas abuser de situations de positions dominantes qu’elles détiennent parfois ; elles doivent éviter de devenir le vecteur de modèles culturels et sociaux artificiellement imposés aux communautés d’accueil ; en échange de la liberté d’investir et d’opérer commercialement qui doit leur être pleinement reconnue, elles doivent s’impliquer dans le développement local en évitant par le rapatriement excessif de leurs bénéfices ou par leurs importations induites, de réduire la contribution qu’elles apportent aux économies où elles sont implantées ». Un chef-d’œuvre d’autosuggestion.

Qu’en est-il dans la réalité ? Deux facettes du phénomène touristique méritent le détour. La première renvoie au tourisme en tant que marché (offre et demande) de destinations exotiques pour vacanciers essentiellement en provenance du Nord : comment se jouent la satisfaction du « besoin » de dépaysement et la marchandisation de l’exotisme ? La seconde, plus centrale pour notre propos, questionne la logique, le rôle et les effets de ce secteur d’activités prolifique, dans le développement des pays du Sud. Quels types de retombées pour les populations locales induisent l’organisation actuelle du tourisme mondial et la libéralisation des services ?

Offres et demandes de dépaysement

Le phénomène touristique comme réponse au désir de dépaysement des ressortissants solvables des pays riches en période de vacances s’apparente, depuis l’avènement du tourisme moderne, à une rencontre entre une offre et une demande. Ou plus précisément, expansion et diversification du secteur opérant, entre des offres et des demandes. Le marché de l’exotique a ses destinations, ses stratégies et ses promotions ; le touriste a ses attentes, ses illusions et ses économies. Les deux interagissent et participent à l’expansion du fait touristique. Pour autant, sa démocratisation et donc sa massification recèlent un double paradoxe qu’il convient de rappeler.

Le premier, évident, confirme la gravité des inégalités Nord-Sud : relativement accessible en Occident (pour 60% de la population), le voyage de loisir reste inaccessible ailleurs (pour 80 à 99% de la population selon les pays). Certes massifié donc, le tourisme est pourtant toujours l’apanage de privilégiés : un septième de l’humanité, en position économique, culturelle et politique de visiter les six autres septièmes. En cela, il constitue un reflet assez fidèle de l’organisation de la planète et de ses disparités. « Migrations d’agrément » et « migrations de désagrément » se croisent aux frontières, béantes pour les uns, grillagées pour les autres, du premier monde et du tiers-monde.

Le deuxième paradoxe réside dans l’effet en cascade de la massification, le « bon touriste » fuyant toujours « le mauvais » qui finit par l’imiter. Le premier recherche le calme ou de nouvelles expériences, le second fréquente les périodes et les endroits populeux. Stratifié socialement et culturellement lui aussi, le monde des touristes n’échappe donc pas à la quête de distinction, de différenciation, à laquelle répond alors la diversification de l’offre, lorsque ce n’est pas cette dernière qui prend l’initiative de « découvrir » des sentiers non encore battus ou de mettre sur le marché de nouveaux must – plus « exotiques », plus « initiatiques », plus « authentiques », plus « mémorables »… – rentables à court ou à moyen terme.

La quête de distinction des néotouristes opère tous azimuts, mue parfois par l’illusion de sortir leurs pratiques touristiques des rapports marchands, motivée toujours par le souci de se démarquer des « touristes-veaux », du « bronzer idiot ». La figure extrême de référence, bien sûr inaccessible, est celle d’Alan Shepard qui se paya le luxe de jouer au golf dans le sable lunaire, lors de la mission Apollo XIV en 1971. A un niveau plus bassement terrien et déjà nettement moins exclusif, la même désinvolture d’enfant gâté, le même besoin de se trouver de nouveaux terrains de jeu, irriguent le marché fécond du tourisme aventure, des chevauchées motorisées, du trekking et autres exploits sportifs en terres « inhospitalières ». La débauche de moyens du touriste équipé dernier cri, qui se déplace à l’autre bout du monde pour s’y offrir la frugalité et les sensations d’épreuves « inédites », le dispute à la futilité de la démarche et à l’indécence de ces plongeons souvent ostentatoires en pays pauvres.

« L’ensemble du secteur du tourisme repose sur la construction de ‘gisements’ touristiques, l’élaboration d’images à vendre dans le jeu de miroir qu’est ce nomadisme spécifique. Activité fantasmatique, le tourisme consomme de l’imaginaire autant que de l’‘évasion’ car le touriste vit souvent dans une bulle climatisée, aseptisée et sécurisée (hôtel, véhicule tout terrain, avion ou car, etc.) où beaucoup de ce qu’il voit, entend ou respire a été soigneusement élaboré en fonction de ce qu’il est et attend ! » (Cazes et Courade, 2004, 250). Selon donc le profil du client voyageur, plus ou moins outillé culturellement pour le dépaysement, l’opérateur devra tantôt dissimuler, tantôt souligner le simulacre de l’immersion en terres étrangères, garantir ou simplifier l’« authenticité » à visiter, adapter le rapport à la réalité, voire la réalité elle-même lorsque, par exemple, les hôtes – le décor humain – sont invités à forcer ou, au contraire, à lisser leurs aspérités exotiques, plus ou moins attrayantes, rassurantes ou dissuasives.

Facteur de développement ou de déséquilibre ?

La question du tourisme comme « moteur de développement » des pays pauvres ou émergents ne se pose plus ces dernières années exactement dans les mêmes termes qu’il y a trois ou quatre décennies. Hier, promesse de croissance ou option de développement à élire parmi d’autres, le tourisme mondial est aujourd’hui davantage considéré comme un fait majeur, irréversible et en expansion, en passe de toucher, selon les observatoires spécialisés, tous les pays ou presque, y compris les plus défavorisés, qui verront inexorablement leur nombre de « visiteurs » augmenter. Pour pouvoir profiter d’une telle « chance de croissance économique », pour être en mesure d’exister ou de grossir leur part sur le marché hautement concurrentiel des destinations touristiques, il revient dès lors aux pays hôtes ou sur le point de le devenir, de s’adapter, d’afficher les caractéristiques requises, d’offrir un certain nombre de conditions de base, en termes de sécurité, d’attractivité, de développement des infrastructures, de diversification des produits, etc.

Au-delà, la plupart des experts indépendants recommandent aux autorités nationales de préparer et d’encadrer ces processus, en vue d’en minimiser les coûts sociaux et environnementaux et d’en optimiser les retombées positives pour les pays concernés… Au vu des situations induites par le développement du secteur et la logique dominante qui tend à le structurer, la recommandation peut faire figure de vœu pieu. Si le tourisme apparaît effectivement comme un moyen « simple » d’accumuler de la richesse, particulièrement pour les pays non industrialisés dont le secteur primaire (agriculture, pêche…) ne résiste pas à l’actuelle organisation du commerce mondial, sa répartition et son impact réel sur les réalités économiques, sociales, culturelles et environnementales locales méritent d’être interrogés (Condès, 2004). De même que le modèle de développement qu’il induit et les rapports de force qui l’orientent.

Voyages au Sud, profits au Nord

Selon l’OMT, le tourisme constitue aujourd’hui la principale source de devises étrangères pour 46 des 49 pays les moins avancés (PMA). « D’autres, plus avancés, comme la République dominicaine, les Maldives, la Tunisie ou l’Egypte, ont vu la part du tourisme dans leur PIB se renforcer fortement et contribuer à leur croissance économique » (ibid., 2004, 268). Dans certains petits Etats, insulaires notamment, la contribution du secteur au revenu national dépasse les 50%, comme à Antigua-et-Barbuda et en Gambie où elle atteint respectivement 70% et 58%. Pour autant, la manne touristique et le nombre d’arrivées de vacanciers demeurent très inégalement distribués : quelque deux tiers des touristes internationaux choisissent une destination européenne ou nord-américaine ; l’Amérique du Sud, l’Asie-Pacifique, l’Afrique et le Moyen-Orient se partageant donc moins de 35% du tourisme mondial.

« Même si le tourisme constitue une opportunité réelle de développement pour les pays pauvres ou émergents, les positions établies des pays les plus riches ne laissent qu’une faible part aux pays pauvres » (ibid., 276). En cause, selon toute évidence, d’abord le différentiel d’infrastructure d’accueil et d’accès, étroitement lié à la puissance des économies nationales respectives et à la force de la demande intérieure, et ensuite le sentiment d’insécurité (sanitaire, alimentaire, politique, climatique…) justifié ou non dans le chef des voyageurs à l’égard de destinations lointaines ou exotiques. Reste que, tous pays en développement confondus, le secteur ne cesse d’y croître dans des proportions plus nettes qu’au Nord, particulièrement dans les économies émergentes d’Asie de l’Est, où la Chine notamment monte en puissance, tant comme pays récepteur (4e rang mondial, avec près de 50 millions de visiteurs internationaux en 2005) que comme pays émetteur (grâce à l’apparition récente des congés payés et d’un secteur solvable de quelque 200 à 300 millions de touristes potentiels).

Les Etats du Sud pour la plupart, encouragés par les institutions internationales concernées, misent donc – au risque d’une trop forte dépendance – sur cette poule aux œufs d’or, grande pourvoyeuse d’emplois et censée leur apporter des devises fortes. La réalité cependant est moins évidente et si les situations peuvent varier significativement d’un contexte à un autre, les grandes tendances enregistrées ces dernières années indiquent que les retombées financières, sociales, culturelles et environnementales sont le plus souvent problématiques, voire dramatiques, pour les populations locales. Aujourd’hui plus encore qu’hier, en raison de la concentration croissante du secteur (intégration verticale et horizontale des chaînes internationales d’hôtellerie, de loisirs et de voyages), l’essentiel des flux financiers du tourisme est capté par des tour-opérateurs transnationaux, dont le siège principal est situé en Europe ou en Amérique du Nord.

En Thaïlande par exemple, quelque 30% seulement des recettes liées au tourisme resteraient dans le pays (Alternatives internationales, 2004). A Cuba, entre 30 et 38%. Là comme ailleurs, l’essor des ventes de prestations forfaitisées – le all inclusive, le package – a tendance à accroître la tendance, tout comme les importations d’équipements et de produits alimentaires « continentaux » réalisées par les opérateurs nationaux ou étrangers, le coût des campagnes de promotion, le rapatriement des bénéfices par les multinationales… En Amérique centrale, au Belize, 90% du complexe touristique côtier, véritable « implant » artificiel dans cette petite contrée tropicale, appartient à des investisseurs nord-américains. Une étude de la Banque mondiale de 1996 calculait déjà que 85% des recettes de la réserve kenyane de Maasai Mara revenaient à de grands groupes privés, contre 5% aux populations locales et 10% à l’administration nationale. L’envergure mondiale des entreprises qui contrôlent l’essentiel du secteur a aussi bénéficié de la montée en puissance des systèmes de réservation informatisés (Global Distribution Systems) qui, de fait, renforce leur maîtrise des processus de commercialisation.

Impacts de la marchandisation des lieux et des comportements

Les retombées de l’expansion du tourisme international en termes d’emploi dans les économies des pays du Sud prêtent, elles aussi, à débat. Si le secteur est effectivement un important fournisseur de postes de travail, puisqu’il occupe environ 250 millions de personnes dans le monde, la qualité des emplois générés varie. Souvent précaires ou saisonniers, ils s’adressent d’abord à une population sous-qualifiée, sans protection sociale, lorsqu’ils ne concernent pas directement les adolescents ou les enfants qui seraient quelque 20 millions dans le monde à travailler dans un « métier » lié au tourisme. Les revenus individuels que la population locale peut « tirer » des vacanciers internationaux sont à ce point en décalage avec l’économie locale que les conséquences sociétales de ce biais structurel peuvent être, elles aussi, très lourdes.

On voit ainsi des secteurs informels (vente de souvenirs, restauration…) se constituer autour des enclaves touristiques, au détriment des activités agricoles ou des savoir-faire traditionnels, comme sur l’île tunisienne de Djerba (800 000 touristes par an) qui ne produit plus que 10% de ses besoins alimentaires (Dehais, 2001). Si l’écart entre le niveau de vie local et la bourse des visiteurs de passage déstructure souvent l’économie (sans même parler des pressions inflationnistes), il peut aussi désorganiser en profondeur une société. Lorsqu’un pourboire, une course de taxi payée en dollars ou un « service sexuel » suffisent chacun à dépasser un ou deux salaires mensuels locaux, le pays hôte n’est à l’abri d’aucune dérive. Pour preuve, non seulement la quantité de professionnels (de l’éducation ou de la médecine par exemple) qui se reconvertissent, à Cuba et ailleurs, dans de petits boulots de service, mais aussi le développement massif de la prostitution, du tourisme sexuel (qui exploite 2 millions de mineurs dans le monde), de marchés noirs, de trafics divers et autres réseaux mafieux locaux…

Les chocs culturels concomitants n’en sont pas moins dévastateurs. « L’échange » entre modes de vie et de consommation contrastés s’avère rarement profitable aux deux parties. Friand ou non de stéréotypes, de clichés ou d’« authenticité », le touriste, plus ou moins dupe, participe de facto à la marchandisation des cultures locales, et donc à leur « mise en scène », à leur folklorisation commerciale. Au mieux, l’autochtone s’adapte pour en tirer profit ; au pire, il est lui-même instrumentalisé par d’autres intérêts, comme ces « peuplades indigènes » parquées, que l’on visite, appareil photo en bandoulière, comme l’on visite un zoo. Dans le sens inverse, la pénétration touristique s’avère rarement porteuse d’autres repères pour les populations hôtes que ceux d’un consumérisme insouciant.

L’empreinte environnementale de l’industrie touristique pose aussi de multiples problèmes en chaîne. Comme l’indique Béatrice Dehais dans un travail consacré à la mondialisation et aux dégâts du tourisme : « Les modes de consommation des touristes en eau et en électricité conduisent souvent à détourner les ressources disponibles, au détriment des habitants » (Dehais, 2001). Les exemples abondent où l’établissement d’un complexe hôtelier, d’un golf ou d’une station balnéaire s’est réalisé grâce au déplacement contraint de populations locales, à la suite d’acquisitions plus ou moins légales ou encore à la faveur de privatisation de ressources de base dont bénéficient peu ou pas les autochtones. Le Programme des Nations unies pour l’environnement cite ainsi plusieurs cas d’édifices touristiques particuliers qui consomment chacun, en eau et en électricité, l’équivalent de la consommation de plusieurs dizaines de milliers de foyers des régions concernées.

L’indécence du développement « par » et « pour » le tourisme réside aussi dans les dégâts environnementaux irréversibles occasionnés par son implantation, l’érosion du littoral à l’œuvre dans de nombreux pays (Tunisie, Inde, Philippines…) n’étant pas le moindre. Dégâts qui ajoutent à la vulnérabilité écologique et sociale des communautés locales. La pression sur les écosystèmes ainsi que sur le patrimoine culturel – dont la « capacité de charge » est parfois supplantée par l’appât du gain à court terme des opérateurs – hypothèque la viabilité même des destinations touristiques, qui finissent alors par péricliter au profit d’autres projets concurrents. L’écotourisme lui-même, ainsi que les safaris, le trekking et autres « explorations – découvertes » reposent souvent sur des modèles de gestion de l’environnement à courte vue et une appropriation des sites au détriment des habitants (Sarrasin et Ramahatra, 2006).

Plus fondamentalement, on le devine, sur la base de ce type de bilan « globalement négatif » des retombées des migrations vacancières sur les populations du Sud, c’est la logique dominante de l’expansion de « l’ordre touristique » actuel qu’il convient de mettre en cause. Intimement liée à la mondialisation du modèle de développement néolibéral promu par les grandes puissances et plus encore par les conglomérats privés transnationaux des industries de production et de service, l’explosion du tourisme participe ou bénéficie, dans ses orientations principales, de cette marchandisation généralisée des lieux et des comportements, de ces politiques d’ouverture des frontières au commerce mondialisé et de privatisation du patrimoine et des biens publics, de ce « mouvement spectaculaire de concentration de l’appareil capitaliste international » du voyage et des loisirs (Cazes et Courade, 2004).

Le traitement que le tourisme reçoit au sein de l’AGCS (Accord général sur le commerce des services, discuté dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce – OMC) est en passe de rendre hors-la-loi toute réglementation nationale ou locale limitant de quelque manière que ce soit l’accès des multinationales du secteur aux marchés nationaux (Equations, 2005). Tout effort régulateur visant à subordonner les intérêts des investisseurs à ceux des habitants des pays hôtes, des générations futures et de leur environnement serait dès lors voué à l’échec.

En revanche, comme l’analysent ironiquement Georges Cazes et Georges Courade, les Etats nationaux restent invités à faire gagner leur contrée en « touristicité », au besoin en se réendettant. « S’il doit disposer d’avantages naturels et culturels recherchés pour devenir touristique, un pays ou une région ne peut le devenir que si le niveau d’insécurité reste supportable pour le touriste, l’accueil de la population motivant, le confort suffisant et, surtout, les capitaux étrangers bienvenus et peu taxés. Le régime politique importe peu s’il assure la stabilité, et le non-respect des droits de l’homme n’y est pas un obstacle comme on le voit en Tunisie ou au Myanmar » (Cazes et Courade, 2004).

Un autre tourisme est-il possible ?

« Au bilan de cette montée en puissance de l’activité touristique, peut-on parler d’un processus de démocratisation ? », s’interroge justement le sociologue Albert Bastenier. « On pourrait toujours dire que, du seul point de vue quantitatif, la massification en est déjà un ! Toutefois, puisque l’aspect élitiste de différentes formes de tourisme ne disparaît pas et que l’on se trouve plutôt aux prises avec une société de loisirs hiérarchisés qui, sous un mode industriel, continue de distribuer à ses publics consommateurs des biens symboliques selon des critères de classe, ne faut-il pas, au contraire, conclure à un relatif échec ou, plus amèrement encore, au triomphe de la manipulation mercantile d’une politique sociale qui avait initialement ambitionné de concilier vacances, capacité financière, loisirs, culture et éducation ? »

Si l’on y ajoute que « ce tourisme massifié suscite sur la planète entière de multiples questions, sociales autant qu’environnementales, qui sont devenues des servitudes structurelles pour tous les pays d’accueil », on est en droit de conclure, toujours avec le même auteur, que « les retombées négatives du tourisme à grande échelle sont donc là et bien là » (Bastenier, 2006) et que les seuls effets sur les populations locales et les écosystèmes du « nouveau nomadisme moderne » justifient pour le moins un questionnement des logiques politiques et économiques libérales qui l’orientent. Une grande variété d’associations, de réseaux internationaux et de mouvements locaux partagent cette conclusion et en font la raison de leur mobilisation pour la promotion d’un tourisme respectueux des gens et de l’environnement (Gendebien, 2006).

Tourisme équitable, durable, de proximité, intégré, écologique, apprivoisé, éthique, alternatif, solidaire… les appellations pullulent, mais toutes renvoient, selon des modalités diverses, à la responsabilité du tourisme international dans le bien-être des populations visitées. Si de multiples expériences positives existent, essentiellement à un niveau local, force est de constater, à un échelon plus global, que la tendance, sans véritablement peser sur les orientations dominantes du tourisme mondial, doit aussi faire face à ses propres limites. Outre le fait qu’elle demeure extrêmement située socialement – elle concerne de facto un touriste à capital social et culturel bien plus élevé que la moyenne –, cette « offre alternative » tend aussi à s’inscrire dans un marché où l’« autolabellisation » (sans contrôle extérieur indépendant établi sur la base de critères partagés) et la récupération publicitaire de la « touche éthique » par les grands voyagistes ne constituent pas les moindres dangers.

A quelles conditions alors l’expansion du tourisme international pourrait-elle induire autre chose qu’« un nouvel usage occidental du monde » ? Puisqu’« il est indéniablement vrai que si la population des pays pauvres se déplaçait autant que celle des pays riches, rien que la circulation aérienne deviendrait un problème impossible à résoudre », comment éviter de ne voir dans le tourisme « qu’une entreprise de subordination de la planète au modèle catastrophique du développement occidental ? » (Bastenier, 2006). Au-delà des initiatives citoyennes du Nord et du Sud, la réponse réside sans doute dans les capacités de canalisation et de réglementation dont les Etats sont, étaient ou devraient être dotés, et dans l’implication des populations concernées dans la définition des projets et le partage des avantages. Sous l’égide d’organismes internationaux démocratiques et d’appareils de régulation négociés et contraignants, des politiques publiques coordonnées pourraient contribuer à renverser l’actuel rapport coûts / bénéfices du secteur. Et partant, participer effectivement au développement des pays du Sud.

« Si l’on peut penser qu’on se situe dans l’utopie au regard des rapports de force réels et des pratiques touristiques réelles », on peut aussi se dire, à la lecture des différentes exigences vertueuses contenues dans les chartes internationales et en particulier dans les textes de l’Organisation mondiale du tourisme, que cette dernière se donne « des bâtons pour se faire battre », tant les normes juridiques et les pratiques démocratiques qu’elle promeut donne « à la société civile internationale en émergence un cadre pour évaluer et contester » les formes débridées et prédatrices du « tourisme de classe » actuel (Cazes et Courade, 2004). Plus que l’avenir de nos transhumances d’agrément, « figures inversées des migrations internationales », les véritables enjeux de cette mise en cause globale et capitale sont, ni plus ni moins, la démocratisation de l’ordre (touristique) mondial et la viabilité de la planète.

Bibliographie

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Alternatives internationales (2004), « Voyages au Sud, profits au Nord », n°15.

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Atlas du Monde diplomatique (2006), « De la « villégiature » au tourisme de masse ».

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Expansion du tourisme international : gagnants et perdants

Bernard Duterme

Si l’explosion du tourisme repose sur sa démocratisation au sein des pays riches, son internationalisation n’en confirme pas moins son caractère inégalitaire, et le discours humaniste de l’OMT, son option libérale. Révélateurs des disparités Nord-Sud, les flux touristiques creusent les écarts : les tour-opérateurs transnationaux se partagent une part croissante des profits et le « premier monde » s’impose toujours comme le principal émetteur et récepteur des « migrants de plaisance ». Pour autant, le tourisme est devenu la première source de devises pour un tiers des « pays en développement ». A quels coûts sociaux, environnementaux et culturels ? Privatisation du patrimoine, saccage des écosystèmes, folklorisation des sociétés, consommation des moeurs… la monoculture du tourisme massifié et la diversification tous azimuts de son offre induisent-elles autre chose qu’un « nouvel usage occidental du monde » ? Les initiatives en matière de tourisme éthique veulent le croire. Reste que la réalité du rapport inégal entre « visiteurs » et « visités » et celle, plus globale, du déséquilibre entre promoteurs de l’industrie touristique et populations locales appellent de nouvelles régulations.

Expansion du tourisme international et libéralisation des services

Equations

Les menaces que l’AGCS fait peser sur les services publics essentiels ont suscité une levée de bouclier à travers le monde. Ses conséquences sur un secteur « commercial » en expansion constante comme le tourisme sont, elles aussi, lourdes de conséquences pour les pays en voie de développement. On découvre depuis quelques années que le tourisme est loin d’être « l’industrie sans fumée » que l’on croyait. En Inde, son développement sauvage a entraîné une exploitation débridée des environnements naturels, en particulier le long des côtes, et s’est traduit par une utilisation intensive des ressources qui a mis en péril la survie de nombreuses communautés locales. Il existe pourtant des expériences de tourisme animées par les communautés et respectueuses de l’environnement. Des lois nationales et des forums internationaux cherchent à renforcer ce modèle alternatif de développement touristique. Le traitement que le tourisme reçoit au sein de l’AGCS est en passe cependant de rendre hors-la-loi toute réglementation nationale ou locale limitant de quelque manière que ce soit l’accès des multinationales du tourisme aux marchés nationaux.

Privatisations, marchandisation et tourisme

Anita Pleumaron

Plus que tout autre secteur, l’industrie touristique participe à la marchandisation du monde par l’appropriation – acquisitions de fait, privatisations… – de ressources publiques et la mise en vente de ses multiples « produits » matériels et immatériels, puisés dans les cadres sociaux, naturels et culturels dans lesquels elle opère. L’instrumentalisation des « aires protégées » à des fins commerciales, souvent sans respect pour les réalités humaines locales et sans véritable considération pour les impératifs environnementaux, procède de la même logique. Avec l’AGCS (Accord général sur le commerce des services) discuté dans le cadre de l’OMC, il semble que plus aucun endroit ni bien ne puisse à terme demeurer à l’abri de l’avidité des entreprises. Si le « tourisme équitable » peut aider à redistribuer certains bénéfices, il ne questionne pas véritablement la commercialisation de réalités sociales et naturelles transformées en « produits », sur laquelle se fonde le développement de l’industrie touristique transnationale et qui l’assimile à une certaine forme de prostitution. Contre la marchandisation tous azimuts, il s’agit de se mobiliser pour la réglementation du secteur.

Alternative démocratique à la logique dominante du tourisme mondial

K.T. Suresh

Considéré comme une force économique majeure, le tourisme mondial actuel et son approche commerciale se développent le plus souvent au détriment de l’environnement et des droits sociaux et culturels des populations autochtones du Sud. Sa structure d'entreprise, plus à l'écoute du marché que des personnes, bénéficie peu aux économies locales et beaucoup aux tour-opérateurs transnationaux. Son impact précaire et ses effets négatifs sur les ressources naturelles et les réalités sociales, en particulier dans les petits Etats insulaires en développement, révèlent un système d’abord axé sur l’appropriation privée des biens et le profit. La démocratisation du tourisme, basée sur la participation collégiale de tous les acteurs concernés aux décisions, constitue une priorité, tout comme l’implication des autorités locales dans la définition des politiques et le partage des bénéfices. La remise en cause de la libéralisation indiscriminée du secteur contenue notamment dans l’AGCS, est un autre défi, complémentaire au renforcement des institutions régulatrices internationales, nationales et locales et au soutien des acteurs populaires d’un tourisme durable et équitable.

Economie politique du tourisme : libéralisation et condition des femmes

Mariama Williams

Le tourisme occupe une place centrale dans les négociations internationales en vue de libéraliser le marché des services. Par son poids économique et les recettes qu’il génère, il est présenté comme une opportunité pour les pays les moins avancés, qui avec l’expansion du tourisme de masse pourraient devenir des destinations prisées. Selon cette approche qui oriente les processus de libéralisation du secteur, notamment dans le cadre de l’AGCS, le développement du tourisme amène croissance et prospérité, crée de l’emploi, augmente les salaires, favorise l’épargne, attire les investissements, facilite le transfert de technologie… La faible marge de manœuvre des pays pauvres dans les négociations, leur dépendance vis-à-vis des investissements étrangers, leur incapacité à maîtriser les mécanismes de l’industrie touristique mondiale ne leur permettent pourtant pas de tirer réellement profit du secteur. L’approche dominante, qui n’envisage le tourisme que pour son impact macroéconomique, ne prend pas en compte ses externalités négatives sur les ressources naturelles, le niveau de vie des populations locales et en particulier sur la condition des femmes et l’égalité entre les sexes.

Expansion du tourisme mondial et alternatives éthiques

Françoise El Alaoui

Le tourisme est devenu le secteur d’activité le plus dynamique au monde en termes de croissance. Les flux de voyageurs sont en constante augmentation. Mais leur répartition reste largement inégale. Ils proviennent essentiellement d’Europe et d’Amérique du Nord, et dans une moindre mesure d’Asie, pour y rester ! Ces mêmes régions concentrent en effet la grande majorité des « arrivées » et des recettes. Maîtres des flux, les transnationales de l’industrie du tourisme rapatrient l’essentiel des devises que celui-ci génère de plus en plus dans les pays de destination du Sud. Dans ces régions, les effets négatifs du développement touristique sont multiples : déplacements de populations, travail forcé ou sous-payé, marchandisation des cultures, augmentation des prix, exclusivité donnée aux touristes dans l’accès à divers services, tourisme sexuel… Les alternatives au modèle dominant visant à modifier les pratiques des différents intervenants du secteur sont-elles en mesure de renverser la tendance ? Durables, équitables, responsables ou éthiques, ces initiatives ne sont pas non plus à l’abri de dérives diverses et le rapport inégal entre « visiteurs » et « visités » reste prégnant.

Tourisme, mondialisation, consumérisme et développement durable en Asie du Sud-Est

Anita Pleumaron

Face au poids de la dette et au durcissement des conditions du commerce, de nombreux pays en développement se sont tournés vers le tourisme pour attirer devises et investissements. Des institutions multilatérales telles que la Banque mondiale et des organisations commerciales comme le Conseil mondial du voyage et du tourisme se sont donné pour mission de faire du tourisme une industrie planétaire. En Asie du Sud-Est comme ailleurs, son développement s’appuie sur la libéralisation du commerce international, la privatisation des patrimoines publics et la marchandisation des sociétés. La concentration du secteur et de ses bénéfices au sein d’entreprises transnationales, l’instrumentalisation et la détérioration de l’environnement et le développement d’une culture matérialiste hyperconsumériste au sein des nouvelles classes moyennes du Sud-Est asiatique en constituent les principaux corollaires. Les possibilités qu’a le tourisme de s’orienter réellement vers le développement durable dans le contexte économique et politique actuel n’ont de chance d’aboutir qu’à la condition que des changements structurels profonds soient réalisés dans le système mondial.

Tourisme rural en Afrique : concilier « authenticité », « qualité » et « rentabilité » ?

Mimoun Hillali

La double contrainte économico-culturelle contradictoire – « rentabilité » vs « authenticité » ; « adopter la norme » vs « figer la différence »… – à laquelle est effectivement soumis le « tourisme rural » en Afrique est à la fois caricaturale et délétère pour les dynamiques locales, dans chacune de ses deux dimensions. Les néotouristes, ces « anti-touristes » à la mode, en provenance des pays riches et qui entendent se distinguer du tourisme de masse, troquent périodiquement, moyennant finances, leur cadre de vie citadin, moralement stressant et matériellement confortable, contre des valeurs et des modes de vie apaisants, à savoir la simplicité d’une paysannerie agropastorale « archaïque ». Le besoin devenant marché, l’hôte rural du tiers-monde est tenu de s’adapter s’il espère en bénéficier : il sera sécurisant, propre et accueillant côté cour, traditionnel et dépaysant côté jardin. Le dogme libéral s’impose : « la qualité » (normes et méthodes) améliore la productivité et la productivité réduit la pauvreté. A quelles conditions le tourisme rural dans le Sud peut-il être autre chose qu’un créneau porteur à rentabiliser par les opérateurs du secteur ?

Biodiversité et logique du développement « par » et « pour » l’écotourisme à Madagascar

Bruno Sarrasin et Haja Ramahatra

Dans un contexte de restructuration de l’économie et de redéfinition du rôle de l’État, l’environnement dans lequel évolue le tourisme – particulièrement dans l’hémisphère Sud – pose d’importants défis aux gouvernements nationaux : quelles mesures prendre pour un développement durable et profitable aux populations locales ? La volonté de concilier croissance économique, lutte contre la pauvreté et protection de la biodiversité fait de l’écotourisme une stratégie de développement de plus en plus recommandée. Les « aires protégées » sont alors désignées comme le lieu idéal pour la mettre en pratique. La rareté de ces espaces et la soif des marchés pour des milieux naturels intacts commandent toutefois une grande vigilance dans leur utilisation. L’écotourisme peut-il effectivement bénéficier aux aires protégées, à la population rurale et à l’économie nationale ? A Madagascar, la logique néolibérale sous l’égide de la Banque mondiale, dans laquelle s’insère le développement « par » et « pour » l’écotourisme – à partir du parc national d’Isalo en particulier – ne sert pas les intérêts des majorités pauvres et n’offrent pas de réponses durables à la protection de la biodiversité.

Mondialisation et tourisme : mélange détonant pour les peuples indigènes

Raymond de Chavez

Le développement exponentiel du tourisme dans les pays du tiers-monde bénéficie de tous les égards des institutions financières internationales. Considéré comme un vecteur d’emplois et de richesses, le tourisme local n’a pu résisté aux logiques libérales de l’économie mondialisée, contenues dans des textes comme celui de l’Accord général sur le commerce des services. Les populations indigènes du tiers-monde, jusque-là épargnées par les activités touristiques traditionnelles, sont devenues les cibles d’un secteur en pleine expansion : l’écotourisme. Vanté comme alternatif et écologique, l’écotourisme est cependant loin d’être « durable ». Ses effets sont souvent dévastateurs pour les populations indigènes qui doivent supporter tout son poids sans réelle prise sur son développement. Evincées de leurs terres traditionnelles, perdant le contrôle et l’accès à leurs ressources naturelles, les peuples indigènes connaissent régulièrement la déchéance sociale à la suite de la pénétration du tourisme et de la commercialisation de leur culture. Ces populations deviennent ainsi de simples rouages dans une industrie pesant plusieurs milliards de dollars.

Tourisme au Mexique : modèle de masse, de l’étatisme au marché

Daniel Hiernaux

C’est tôt dans le 20e siècle que le Mexique a promu le tourisme international sur ses terres. Celui-ci, mis en œuvre par l’Etat, a enregistré une croissance constante durant plusieurs décennies, dans le cadre d’un système d’accumulation développementaliste de type fordiste, encouragé par la Banque interaméricaine de développement. Gros investissements, grands travaux d’infrastructures et retombées économiques significatives. La proximité des Etats-Unis, la fermeture de Cuba au tourisme suite à la révolution, la pénétration progressive des transnationales ont participé à l’expansion d’un tourisme de plage massifié et standardisé, calqué sur le modèle états-unien. La libéralisation du secteur à partir des années 1980 va confirmer la tendance et exacerber ses travers sociaux, économiques, culturels et environnementaux. Le secteur enrichit les multinationales et instrumentalise, voire pervertit, les réalités locales. La concurrence croissante des destinations à l’échelle mondiale et les évolutions qualitatives de la demande poussent à la diversification, mais les obstacles sont multiples et les possibilités de développement d’un tourisme réellement alternatif, maigres.

Tourisme dans les petits Etats insulaires en développement : quelle durabilité ?

Ranjan Solomon

Si la part du tourisme dans les économies des petits Etats insulaires en développement (PEID) des Caraïbes, de l’Océan indien et du Pacifique reste aujourd’hui très variable, elle croît partout rapidement. L’environnement économique mondial pousse la majorité d’entre eux à le considérer comme le moteur de leur développement, capable de doper la croissance économique, de créer de l’emploi et d’attirer des devises étrangères. Mais le « tout au tourisme » est loin d’être une panacée. Paradoxalement, ses retombées économiques dépendent grandement du développement d’autres secteurs d’activités, qui doit permettre d’éviter les fuites de devises et de limiter la dépendance à un marché extrêmement sensible aux changements d’humeurs de l’économie mondiale. Ses effets peuvent aussi être négatifs pour la population locale si rien n’est fait contre les pressions inflationnistes, l’exploitation de la main-d’œuvre, la marchandisation des cultures… En négligeant les dégâts environnementaux de l’expansion du tourisme, les PEID scient la branche sur laquelle ils sont assis. Il est urgent de s’attaquer à la mise en place de politiques de développement durable et équitable du tourisme.

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