Trois fois en trois mois, l’épouse de Jean-Baptiste Mberabahizi, Secrétaire Général des Forces Démocratiques Unifiées (FDU), organisation d’opposition démocratique rwandaise, a été agressée de façon ignoble à Bruxelles. Une semaine après le dernier attentat, malgré le choc atroce que sa famille a subi, nous avons voulu recueillir ses impressions.
Pouvez-vous nous dire brièvement ce qui est arrivé à votre épouse Claudine Mazimpaka ?
Dans la soirée du 24 octobre, vers 19h30, Claudine a quitté la maison pour se rendre à un rendez-vous non loin de notre domicile de Laeken. Elle n’a plus donné signe de vie. Le lendemain, alors que je m’apprêtais à déclarer sa disparition, j’ai reçu un appel téléphonique de Dr Wolf de l’Hôpital Saint-Pierre. Il m’a appris qu’elle était hospitalisée et qu’il désirait me parler d’urgence. Il a précisé qu’elle avait été admise la veille vers minuit et qu’elle avait été amenée par la police. Une patrouille de Schaerbeek l’avait trouvée inconsciente, bâillonnée, les mains ligotées derrière le dos et les yeux bandées. Elle gisait près d’un muret, chaussée de Haecht à Schaerbeek. Il a ajouté qu’elle souffrait d’une fracture doublée d’un tassement au niveau des vertèbres lombaires, causés par une chute d’au moins trois mètres, d’amnésie et de contusions multiples à la tête. J’ai constaté qu’elle était confuse et qu’elle ne me reconnaissait pas.
Etait-ce la première fois qu’elle était agressée ?
Non. C’était la troisième fois en trois mois. Deux jours avant, dans la nuit du 22 au 23 octobre entre 21h30 et 22h, elle avait déjà été agressée à la maison en mon absence. On lui avait tapé la tête contre le mur et elle avait été retrouvée par une voisine devant son palier. Ses agresseurs présumés m’ont envoyé un SMS en Kinyarwanda (langue nationale rwandaise, NDLR) vers 21h53 disant : « Nous sommes chez toi, nous venons de finir le travail ». Ils ont aussi laissé sur un mur dans le hall d’entrée de notre appartement, un message semblable. La police est venue vers 22h30. Elle a été évacuée sur l’Hôpital Brugmann. Elle avait une blessure au front. Deux mois plus tôt, dans la nuit du 8 au 9 août, elle avait déjà été agressée à la maison. J’étais alors en mission en Afrique du Sud. Une autre voisine l’avait entendue gémir et trouvée devant notre pallier, bâillonnée avec un essuie vaisselle, ligotée avec des câbles électriques, les chevilles attachées et presque inconsciente. Trois hommes noirs, cagoulés mais parlant Kinyarwanda s’étaient introduits dans l’appartement, l’un se faisant passer pour le propriétaire. Ils l’avaient rouée de coups, mis à sac le living emportant des cassettes vidéo, CDs, DVD et tout document se rapportant au Rwanda ou aux FDU, après avoir tenté sans succès d’ouvrir notre ordinateur.
Qu’est-ce que la police a fait devant ces agressions?
Rien. Du moins jusqu’ici. Au lendemain de l’agression d’août, Claudine avait déposé une plainte à la Zone de police de Bruxelles Capitale Ixelles. Mais, ses agresseurs n’étaient pas impressionnés. Ils ont même revendiqué l’agression via un SMS qu’ils m’ont envoyé. Il disait : « Nous savons que vous avez été à la police, mais cela n’aboutira à rien ». Ils se disaient assurés que la police ne saurait pas les identifier. A ce jour, à ma connaissance, la police n’a rien fait.
J’avais déposé une plainte pour harcèlement et menaces de mort le 27 juin, car depuis février je recevais des SMS, des lettres anonymes et des mails contenant des menaces et du chantage. Quand j’ai voulu en connaître la suite, l’Inspecteur Patrick Spiessens de la police de Laeken qui m’avait alors auditionné, il m’assuré qu’il avait transmis mon dossier au Parquet. Si la police ou le Parquet avaient fait leur travail, même l’agression d’Août n’aurait pas eu lieu. A mon retour, le 21 octobre, j’ai été me renseigner sur la suite de cette plainte. Au Portalis, 4 rue des Quatre Bras, on m’a simplement dit : « L’affaire est encore ouverte. On ne peut rien dire de plus ». Quand je leur ai dit qu’il y avait eu en août une agression, il m’a été répondu qu’il fallait porter plainte. Le lendemain, j’ai écrit au Procureur du Roi. Le jour où j’ai posté le courrier, Claudine a été de nouveau agressée. Je n’ai toujours aucune nouvelle de la part des enquêteurs.
Avez-vous une idée de l’identité des agresseurs ?
Ils écrivent toujours en Kinyarwanda. Leur Français est très approximatif. Et, ils emploient toujours « nous » quand ils envoient un texte ou un SMS. Ils sont donc plusieurs. Et puis, tout cela a commencé après la décision que nous avons prise aux FDU, le 29 septembre 2008, de participer aux élections présidentielles prévues pour août 2010. Quelqu’un de l’entourage de Kagame m’a dit en avril 2009, que tout le monde à Kigali savait que j’étais visé et que je devais me protéger. Je lui ai fait remarquer que je n’étais pas le candidat des FDU. Il a dit : « Oui. Mais, ils disent que c’est toi qui pose problème ». J’ai mis cela sur le compte de l’intimidation.
Dans la même période, j’ai discuté à plusieurs reprises avec Nelson, un journaliste du journal Umusingi. Il disait vouloir parler de notre décision dans son journal. Il voulait savoir si nous allions vraiment « venir au Rwanda ». Je lui ai confirmé qu’il n’y avait pas de doute à ce sujet. Il a repris la propagande et l’épouvantail habituels du régime Kagame. « Si vous venez, il faut savoir que certains parmi vous sont des génocidaires. Ils risquent de finir en prison ». Je lui ai répondu que la responsabilité pénale est personnelle. Que Kagame lui-même, président du FPR, est suspecté de génocide et d’autres crimes contre l’humanité. Que Christophe Bazivamo, vice président du FPR était un actionnaire de la RTLM. Mais que cela n’a pas empêché l’enregistrement du FPR en 2003. Et que pour nous, aucune accusation contre une personne ne peut empêcher l’enregistrement des FDU et la présentation d’un candidat aux prochaines présidentielles. Je lui ai dit que c’est Paul Kagame qui devrait d’abord répondre des crimes dont il est accusé. Pas la Candidate des FDU. Et que ce sont des gens couverts par le gouvernement FPR qui sont poursuivis en Espagne et en France pour différents crimes, y compris de génocide et non par les FDU, qui ne couvrent aucun suspect.
Par la suite, j’ai eu des informations qu’à Kigali, on prétendait qu’il y aurait deux FDU, une à Bruxelles, dirigée par moi et une autre, aux Pays-Bas, dirigée par Victoire Ingabire Umuhoza. Or, plusieurs SMS envoyés à mes contacts prétendaient que je complotais contre les FDU. Ils préparaient ainsi les agressions qui allaient suivre. A savoir commettre des crimes et les mettre sur le compte de prétendues rivalités internes.
Je constate une augmentation des intimidations et agressions au fur et à mesure que notre détermination de participer aux élections devient de plus en plus claire. Quand, entre mai et octobre, les préparatifs de la part des FDU devenaient plus concrets, les menaces se sont intensifiées. Quand on a demandé, par exemple, des passeports pour aller à Kigali, c’est à ce moment-là que j’ai reçu des SMS disant « Si tu n’arrêtes pas de nous narguer, ta famille, même tes enfants vont y passer. » Ensuite, il y a eu ces trois agressions contre ma femme. Il est clair qu’ils veulent que nous arrêtions nos projets.
Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de compter des génocidaires dans vos rangs et mettent les FDU sur le même pied que le FDLR?
Les gens de Paul Kagame disent n’importe quoi. Ils ont pris l’habitude d’accuser de génocide, de négationnisme, de révisionnisme, de divisionnisme ou de propager ce qu’ils appellent « l’idéologie du génocide », tous ceux qui les combattent. Et comme les FDU ne rentrent pas dans la rhétorique qu’ils ont développée contre les FDLR, ils font de l’amalgame pour semer la confusion dans l’opinion. Du reste, dénoncer la discrimination ethnique que le régime de P. Kagame pratique est devenu un crime. Or, depuis juillet 1994, il a instauré un système d’apartheid qu’il dissimule sous un discours nihiliste pseudo-nationaliste. Les FDU n’ont rien à voir avec les FDLR. Notre programme, notre stratégie, notre tactique et nos structures sont bien distincts. Les FDU sont une organisation membre du Réseau de la Gauche Africaine. Je rentre d’un voyage d’études en Afrique du Sud où j’ai assisté entre autres aux travaux du 10ème Congrès du COSATU qui a eu lieu à Johannesburg, le mois dernier. Les agents de renseignement et les propagandistes du régime Kagame le savent mais ils veulent semer la confusion à propos des FDU. Si l’on fait de l’amalgame à Kigali, c’est parce que l’on veut éviter le débat politique.
Quelles sont les réactions que vous avez eues depuis les agressions ?
Plusieurs amis, Rwandais ou Belges, les dirigeants ou les membres des FDU m’ont exprimé leur choc et leur solidarité. C’est important pour notre famille. Ils m’ont également encouragé à poursuivre la lutte. Je leur exprime nos sincères remerciements.
Il y a des rumeurs qui prétendent que ces agressions relèvent d’une affaire privée.
Les gens qui lancent cela sont des cyniques. Certains sont des personnes proches du FPR. En attaquant mon épouse et pas moi, les agresseurs savent très bien ce qu’ils font. Ils essaient de m’intimider sans me toucher. Ce n’est pas la première fois que le FPR essaie de masquer des agressions et intimidations en les faisant passer pour des « affaires privées ».
En 1992, Emmanuel Gapyisi, dirigeant du MDR, qui était le principal parti d’opposition, a été assassiné. Les assassins ont prétendu que c’était les escadrons de la mort de Habyarimana qui l’avaient tué. Des cyniques ont dit qu’il avait été victime d’un assassin envoyé par son propre beau-frère, Faustin Twagiramungu, pour des raisons de rivalités personnelles au sein de leur famille ou de leur parti. Or dans son livre, Abdul Ruzibiza a clairement dit que c’est un commando du FPR qui l’a tué. Je sais bien que par la suite, A. Ruzibiza a déclaré que son livre ne contenait que des inventions. Seulement, d’autres témoins affirment que c’était bien le FPR qui avait donné l’ordre de tuer Gapyisi.
Un autre exemple, est l’assassinat de Seth Sendashonga, le 16 mai 1998. Il a été abattu en plein jour, de plusieurs rafales d’AK47, alors qu’il circulait à bord de sa voiture à un rond-point situé non loin du siège des Nations Unies à Nairobi, au Kenya. Déjà en 1996, on avait tenté de l’assassiner. Cela avait échoué. L’auteur de la tentative d’assassinat en 1996 était Francis Mugabo, un « diplomate » en poste à l’Ambassade du Rwanda à Nairobi, d’après Kigali. Il avait été pris en flagrant délit. Cela n’a pas empêché le Ministre de l’Intérieur d’alors, Abdoul Karim Harerimana, de prétendre que feu S. Sendashonga était victime de gens à qui il devait de l’argent. D’autres dans le gouvernement FPR poussé le bouchon plus loin en disant que c’était Faustin Twagiramungu qui, pour des raisons de rivalité au sein de leur mouvement (les Forces de Résistance pour la Démocratie, FRD) l’avait fait assassiner. D’autres encore, des cyniques au sein de la communauté rwandaise, sont allés jusqu’à laisser dire que c’était une affaire entre S. Sendashonga et son épouse.
Votre famille a été visée à plusieurs reprises, cela ne vous fait-il pas douter de continuer votre travail politique ?
Ce type d’agression contre ma famille me touche profondément. Et naturellement, dans ces conditions, on s’interroge sur le prix à payer pour libérer notre pays. D’un autre côté, je pense aux millions de Rwandais qui ont été sauvagement massacrés depuis 1990. Et aux six millions de Congolais morts du fait des guerres coloniales par procuration que les gens au pouvoir à Kigali ont menée contre leur pays. On ne peut pas laisser notre pays entre les mains de gens qui prennent en otage toute la population rwandaise. Quand la plupart des Rwandais n’ont pensé qu’à sauver leur vie ou celle des membres de leur famille, cela a conduit à une situation dans laquelle des personnes qui avaient un agenda criminel ont eu le sort de notre pays en mains. Cela a rendu possible le génocide.
Non, il n’est pas question d’arrêter la lutte ou de reculer. Il faut rester ferme quant à notre détermination à transformer le Rwanda et en faire une vraie démocratie, un état pacifique qui vit en paix avec ses voisins, au service des intérêts du peuple rwandais et non au service d’intérêts étrangers. Concrètement, nous avons décidé de participer à la campagne électorale en 2010 et pour ce faire, nous voulons enregistrer les FDU comme parti politique au Rwanda. Nous poursuivrons ce travail. Ceux qui tentent de nous intimider ou de nous diviser n’y arriveront pas. Et puis, ces agressions mettent en lumière la nature totalitaire, dictatoriale et agressive du régime actuel. Cela illustre l’insécurité à laquelle nos dirigeants qui vont être déployés au Rwanda, nos membres de l’intérieur ainsi que nos électeurs potentiels, sont confrontés.
Si ces agressions sont perpétrées en Belgique, on peut facilement imaginer les intimidations, les agressions et les brutalités que des familles vivant dans les villes et sur les collines rwandaises subissent dès l’instant qu’on les suspecte de ne pas voter comme le FPR le veut.
C’est un test pour la Belgique. A elle de montrer qu’elle n’est pas complice des hordes d’assassins que Kigali lui envoie sous diverses couverture. A elle de montrer qu’elle est capable d’assurer la sécurité des personnes et des biens sur son territoire. Le ministre Yves Leterme, qui a révélé à l’opinion qu’un Chef d’Etat lui a demandé de l’aider à tuer ou à arrêter ses opposants, devrait s’impliquer dans ce processus et aider la justice de son pays à trouver les responsables de ces agressions.