Compte-rendu de la conférence de presse organisée par la la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et le Comité pour la Liberté d’Expression et d’Association (CLEA) le mardi 21 janvier dans les locaux de la FIDH à Bruxelles
Ce lundi matin, à la Fédération internationale des droits de l'Homme à Bruxelles, s'est tenue une conférence de presse en présence de certains des principaux soutiens de Bahar Kimyongür. Il s'agissait d'une occasion pour les protecteurs de Kimyongür de s'opposer à l'injustice dont est actuellement victime le citoyen belge et de lancer une contre-attaque citoyenne, un appel à la mobilisation générale contre son extradition vers la Turquie… une manière aussi de mettre la Belgique face à ses responsabilités.
Ont pris la parole lors de ce rendez-vous, cinq protagonistes majeurs de cette affaire d’État :
• Dan Van Raemdonck, le Secrétaire général de la FIDH ;
• Christophe Marchand, l'avocat belge de Bahar Kimyongür ;
• Le Sénateur Écolo Benoit Hellings ;
• Lieven De Cauter, Philosophe à la KUL ;
• Bahar Kimyongür, en direct via skype depuis Marina Di Massa où il est assigné à résidence dans l'attente d'une décision de la justice italienne quant à son extradition.
Voici le compte-rendu des prises de parole de chacun de ces intervenants, combiné à différentes vidéos développant leurs argumentaires :
Dan Van Raemdonck (Secrétaire Général de la FIDH) : «5000 personnes ont déjà signé la pétition www.freebahar.com. Il faut faire exploser ce chiffre !»
Pour le Secrétaire général de la Fédération Internationale des droits de l'Homme, ça suffit ! Depuis des années, des États européens acceptent de donner suite aux demandes d'extradition formulées par la Turquie à l'encontre de Bahar Kimyongür, alors que ces demandes portent atteinte à la liberté d'expression, alors que le citoyen belge a déjà été acquitté en Belgique et que les Pays-Bas ont refusé –dès 2006– son extradition.
Dan Van Raemdonck a introduit la conférence de presse de ce lundi 20 janvier 2014 consacrée au cas Kimyongür en soulignant que cette affaire prouve que le régime turc tente de museler la contestation sociale non seulement dans son propre pays mais également à l'étranger.
«Que nos politiciens n'aient pas encore compris que la question de la liberté d'expression est essentielle constitue un véritable scandale, étant donné tout le travail d'information qui est mené par les associations de défense des droits de l'Homme à ce sujet. Ou ils sont bêtes ou ils ont un autre agenda», s'est offusqué Monsieur Van Raemdonck. Le linguiste a insisté sur le fait que seul une évolution du rapport de forces serait susceptible de faire changer les choses en la matière.
Le professeur à l'ULB a donc clôturé son intervention en encourageant la société civile à faire croître la mobilisation autour de cette affaire. Il a également appelé tous les citoyens à signer la pétition en ligne contre l'extradition de Bahar Kimyongür sur www.freebahar.com
En 10 jours à peine, 5000 personnes, dont de nombreuses personnalités comme Noam Chomsky, ont déjà apposé leur signature au bas de ce texte. «Il faut exploser ce chiffre», a lancé Dan Van Raemdonck qui est le porte-parole de la pétition.
Vous pouvez visionner la vidéo de la prise de parole de Dan Van Raemdonck sur :
http://www.youtube.com/watch?v=IUL5Mv7c-CU
Maître Christophe Marchand, avocat belge de B. Kimyongür : «Pour aider Kimyongür, la Belgique doit exercer une pression maximale sur la Turquie et prendre une initiative législative.»
L'avocat Christophe Marchand est revenu –au cours de la conférence de presse organisée par la FIDH, la LDH et le CLEA– sur la saga judiciaire vécue par Bahar Kimyongür.
Il a rappelé que son client a d'abord fait plier le parquet fédéral belge qui tentait, en le poursuivant, d'étendre la loi antiterroriste à la liberté d'expression. Ce sont ensuite les Pays-Bas qui ont refusé de donner suite à la demande d'extradition de la Turquie. Récemment, l'Espagne l'a libéré mais une procédure d'examen de la demande d'extradition turque est en cours dans ce pays ; de même qu'en Italie où Bahar Kimyongür est actuellement assigné à résidence. Il s'agit, selon la défense de Kimyongür, d'une forme moderne d'emprisonnement. Le citoyen belge est de la sorte banni dans un endroit reculé.
L'avocat s'est également plaint des pouvoirs limités des juges en ce qui concerne les extraditions, une matière diplomatique qui dépend du bon vouloir des gouvernements. Maître Marchand remarque ainsi que l'UE «avance» en matière de répression mais qu'elle recule au niveau des libertés.
Selon lui, le meilleur moyen de mettre fin à l'acharnement judiciaire subi par Kimyongür réside dans le fait que les États, et en premier lieu la Belgique, fassent pression sur la Turquie afin qu'elle retire le mandat d'arrêt international délivré à l'encontre du ressortissant belge et que son signalement Interpol puisse être effacé.
De manière générale, le juriste estime nécessaire une évolution du droit belge et du droit européen, afin que les décisions des juges en la matière soient applicables dans toute l'UE (ainsi, la décision hollandaise contre l'extradition de Bahar Kimyongür pourrait valoir dans toute l'Europe). Christophe Marchand invite donc la Belgique à prendre une initiative législative en ce sens dans les plus brefs délais.
Pour visionner l'intégralité de l'intervention de Christophe Marchand :
http://www.youtube.com/watch?v=lyBRtUBRNS4
Benoit Hellings (Sénateur) : «Le gouvernement belge doit arrêter d'entretenir des liens de dépendance avec le régime d'Ankara».
Au cours de la conférence de presse organisé à Bruxelles ce lundi 20 janvier 2014 à propos du «cas Kimyongür , le Sénateur Écolo Benoit Hellings est revenu sur le rôle trouble joué par la Belgique dans cette affaire et sur les diverses interpellations parlementaires qu'il a faites dans ce cadre.
Il a ainsi rappelé qu'un accord de coopération en matière de «sécurité» avait été récemment signé par la Belgique et la Turquie. Celui-ci a été mis en œuvre en mai 2013 (au moment où débutaient les révoltes du parc Gezi à Istanbul, mouvement populaire auquel le gouvernement AKP a répondu par la force, une répression qui a entraîné la mort de 6 personnes et plus de 8500 blessés).
Le 22 mai, Joëlle Milquet s'est rendue en Turquie. Dans son communiqué, la ministre de l'Intérieur s'est félicitée des résultats de cette rencontre entre polices : la Turquie promettait de stopper les djihadistes belges se rendant en Syrie via son territoire ; la Belgique s'engageait à renforcer la lutte antiterroriste (notamment vis-à-vis du DHKP-C).
Cet élément a mis la puce à l'oreille du Sénateur puisqu'en Belgique quand on parle du DHKP-C, on pense immédiatement à Bahar Kimyongür (entre 2005 et 2009, ce dernier a, en effet, été poursuivi –puis acquitté– au cours de 4 procès et 3 cassations dans cette affaire).
Quelques jours après la visite de la ministre belge, le 28 mai, la Turquie a d'ailleurs relancé son mandat d'arrêt international contre Kimyongür… et le 17 juin 2013, le citoyen belge a été arrêté en Espagne sur cette base.
Le Sénateur se demande donc s'il ne s'agit pas d'un donnant-donnant entre la Turquie et la Belgique. Un donnant-donnant tronqué, dans lequel la Belgique est demandeuse et la Turquie fait ce qu'elle veut puisque, au moment où Kimyongür risque d'être extradé, les autorités du royaume doivent reconnaître que la Turquie n'a intercepté «que» 20 combattants belges en route vers la Syrie sur les 200 officiellement recensés.
En fait, pour le parlementaire, l'affaire Kimyongür renvoie aux problèmes plus généraux que sont d'une part, l'interconnexion de multiples bases de données policières qui permet ce genre d'arrestation et d'autre part, l'approbation par la Belgique d'une série de lois qui créent des liens de dépendance vis-à-vis de la Turquie.
«C'est à cause de cela que des militants, des gens qui n'ont en rien commis des actes terroristes, sont enfermés sous des prétextes fallacieux. Si l'opposant politique, Bahar Kimyongür, en est l'illustration la plus évidente, il y a un risque de voir ces affaires se multiplier», s'est inquiété le responsable Écolo.
Pour conclure son intervention, Benoit Hellings a réaffirmé sa volonté de modifier le regard que les autres parlementaires portent sur cette affaire ; en espérant que le cas de Bahar puisse leur faire prendre conscience de l’importance du combat pour la liberté d'expression.
Pour découvrir l'intervention filmée du sénateur Benoit Hellings :
http://www.youtube.com/watch?v=WDVtyqUOyl0&feature=youtu.be
Lieven De Cauter (philosophe) : «La guerre contre le terrorisme agit comme un bulldozer qui détruit la liberté d'expression.»
Selon le professeur de la KUL, on assiste depuis 2001 à une criminalisation de l'activisme dont la presse et le public ne sont pas conscients puisque ce processus est masqué par la «guerre contre le terrorisme».
En Flandre, c'est évident puisqu'il n'y a aucune réaction dans la presse autour du cas d'un citoyen belge qui est en prison en Italie pour des raisons politiques. Lieven De Cauter estime qu'il faut briser ce mur du silence.
Il a tenté de le faire dans la presse flamande en étant même prêt à payer pour que sa Carte blanche à propos de l'affaire Kimyongür soit publiée sous forme de publicité. Cela lui a été refusé. Il a porté plainte au Conseil du journalisme… qui n'y a pas donné suite.
Et le professeur d'université de s'interroger : «Si Bahar Kimyongür s'était appelé Jan Janssens, la presse aurait-elle osé se taire pendant deux mois ?»
Pourquoi la situation est-elle bloquée de la sorte ? Certes, les accords entre la Belgique et la Turquie entrent en ligne de compte, convient Lieven de Cauter. Mais, il va plus loin. On le sait, la Belgique a déjà essayé de livrer Kimyongür à la Turquie, en 2006, via les Pays-Bas (à cet égard, Bahar a déposé une plainte «contre x». Un juge d’instruction mène actuellement une enquête dans ce cadre et interroge des personnes). Le philosophe ne prétend pas démontrer l'existence d'un lien de causalité entre cette affaire et la situation actuelle de Bahar. Mais il est néanmoins nécessaire de s'interroger sur ce silence médiatique quand il est évident que des membres de «l’État profond belge» (des hauts responsables de la police notamment) seraient extrêmement soulagés de voir Bahar disparaître alors qu'ils vivent cette instruction comme une épée de Damoclès au-dessus de leur tête.
Monsieur De Cauter a insisté, au cours de la conférence de presse, à de multiples reprises : «La société civile, les mondes politique et judiciaire doivent briser ce mur du silence.» Car, selon lui, la guerre contre le terrorisme agit comme un bulldozer détruisant les droits de l'Homme et la liberté d'expression.
Et le philosophe de conclure, «si Bahar éprouve des sympathies pour le DHKP-C, c'est une erreur de sa part. Mais, la liberté d'expression n'existe que si on a le droit d’exprimer des opinions fausses !»
Écoutez l'intervention du philosophe Lieven De Cauter dans son entièreté, sous format vidéo :
http://www.youtube.com/watch?v=qwXFOkq6WAI
Bahar Kimyongür : «Je suis un ''Snowden artisanal'' et quand vous êtes un dissident en Europe, on vous détruit !»
Après avoir chaleureusement remercié toutes les personnes qui le soutiennent, Bahar Kimyongür a, au cours de la conférence de presse organisée ce 20 janvier par la FIDH, dénoncé avec véhémence le caractère «politique» de la «guerre menée contre le terrorisme».
«Erdogan est le chef d'une organisation terroriste internationale. Milquet et Reynders laissent partir des djihadistes vers la Syrie via la Turquie. Et là, personne ne dit rien. Mais moi, parce que je dénonce cette situation, ce terrorisme, ça me coûte ma liberté ! Je dénonce le terrorisme et on m'accuse d'être un terroriste», s'est indigné Kimyongür.
«Je suis muselé au sein même de l'Union européenne : c'est une honte et ça renforce ma détermination. Je suis un ''Snowden artisanal''. Je continuerai à être un lanceur d'alerte. Je continuerai à m'opposer à l’embrigadement de nos jeunes au sein des groupes fascistes d'Al Qaeda», a martelé le citoyen belge via Skype depuis Marina Di Massa où il est assigné à résidence sous la menace d'une extradition vers la Turquie.
Sa conclusion fait réfléchir : «J'ai de plus en plus l'impression qu'en Europe, les droits fondamentaux, c'est du pipeau et la lutte contre le fascisme, du blabla. Quand vous êtes un dissident en Europe, on vous détruit ! La guerre contre le terrorisme est politisée : si j'avais été un opposant cubain ou iranien, tout le monde se serait mobilisé.»
«À quoi me sert ma nationalité belge, à quoi me sert l'Europe, si je ne suis pas protégé ? Est-ce que je vais devoir aller vivre dans un des sept pays du monde où Interpol ne peut pas intervenir ? Devrais-je partir vivre en Micronésie ?», a ironisé Kimyongür…
Pour visionner la prise de parole de Bahar Kimyongür dans son intégralité :
http://www.youtube.com/watch?v=4D-Tl2wowBo
Chère amie, Cher ami,
Nous sommes persuadés que vous mesurez la gravité de la situation dans laquelle se trouve Bahar Kimyongür. Nous espérons que ces analyses et prises de position vous apporteront des arguments supplémentaires pour vous engager à nos côtés en faveur de la liberté d'expression… et éviter de la sorte, l'extradition de notre ami Bahar vers la Turquie.