Golan: Trump bafoue le droit international et plonge encore plus le Moyen-Orient dans l’instabilité

Donald Trump a reconnu la souveraineté d’Israël sur le Golan, plateau syrien occupé illégalement depuis 1967. Motivée par des enjeux politiciens, sa décision pourrait créer un dangereux précédent au regard du droit international. Cette reconnaissance pourrait également avoir de graves répercussions sur tout le Moyen-Orient, une région déjà instable. (IGA)


Le 26 mars, le président US Donald Trump a officiellement reconnu par décret l’annexion illégale du plateau syrien du Golan par Israël. Mais cela ne change pas la donne sur le terrain.

 

Les motivations de Trump sont assez claires :  renforcer les chances du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu pour les élections d’avril, alors que dans les sondages, le Likoud est dépassé par le nouveau parti de centre-droit, le Parti Telem, mené par l’ancien ministre de la Défense Moshe Ya’alon et l’ancien général de l’Etat-major Benny Gantz. (Voir la chronique d’Aaron David Miller dans CNN, intitulée « Pourquoi Trump et Netanyahu ont-ils désespérément besoin l’un de l’autre »).

 

Cependant, quel que soit l’avenir politique de Netanyahou, il ne faut pas sous-estimer ce qu’implique au niveau mondial le geste de Trump. Un tel mépris du droit international sur le statut des frontières souveraines pourrait créer un mauvais précédent – que ce soit pour le Cachemire, la Crimée ou Chypre.

 

Trump ignore complètement la charte des Nations unies qui proscrit “la menace ou l’usage de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat”. Si quelqu’un jetait un coup d’œil dans la poubelle de l’histoire moderne, il verrait que Trump a ouvert une boîte de Pandore.

 

Les historiens reconnaissent généralement que l’annexion de la Bosnie-Herzégovine par l’empire Austro-hongrois en 1909 s’est avérée être le prélude à la Première Guerre mondiale. De même, quand Hitler a commencé à rompre le traité de Versailles dans les années 1930 et s’est lancé dans une série d’annexions territoriales, la Société des Nations était impuissante pour l’en empêcher. Le seul moyen d’arrêter Hitler était alors une Seconde Guerre mondiale.

 

Sans aucun doute, au lendemain de ce conflit planétaire, la nécessité de modifier les Conventions de Genève et d’adopter une charte fondatrice des Nations Unies a été vivement ressentie. Il fallait à l’avenir interdire de telles annexions et rejeter les menaces contre l’intégrité territoriale des États existants.

 

Trump ignore donc complètement le droit international. Mais sa décision sur le Golan survient aussi à un moment très délicat. Le Moyen-Orient traverse en effet une crise profonde de l’autorité politique et de la territorialité en raison de processus historiques et politiques très complexes. Le fait est que l’équilibre tout entier du Moyen-Orient est en danger.

 

Se référant à l’accord informel de Sykes-Picot conclu au cours de la Première Guerre mondiale pour définir l’avenir des territoires ottomans, David Fromkin avait écrit dans son ouvrage de référence sur le Moyen-Orient que les frontières des pays de la région avaient été fabriquées en Europe durant la période 1914-1922. Depuis, la souveraineté et l’intégrité territoriale des Etats de la région n’ont cessé d’être ébranlées. D’une part à travers des sources d’instabilité qui ont traversé le siècle passé, comme la consolidation de l’autoritarisme, la montée du sectarisme et la complexité des conflits, bien avant le “Printemps arabe” de 2011. D’autre part à travers l’assaut incessant de défis à la fois internes et externes comme les guerres civiles et interétatiques ou les interventions multiples.

 

Jusqu’à présent, les événements n’ont provoqué ni fragmentation permanente ni révision majeure des frontières, même si certains conflits n’ont toujours pas été résolus, notamment le différend de longue date entre Israël et la Palestine. C’est ce qui fait du 25 mars 2019 un moment décisif de l’histoire et de la politique du Moyen-Orient.

 

Les États de la région sont tout simplement stupéfaits par la décision de Trump. L’Arabie saoudite n’a pas perdu de temps pour publier une condamnation exceptionnellement forte de la décision US :

 

« Le Royaume d’Arabie saoudite rejette et condamne fermement la déclaration du gouvernement des États-Unis visant à reconnaître la souveraineté d’Israël sur le Golan syrien occupé. Le Royaume d’Arabie saoudite affirme sa position ferme et fondée sur des principes à l’égard du Golan, soulignant qu’il s’agit d’un territoire arabe syrien occupé au sens des résolutions internationales pertinentes et que les tentatives visant à imposer un fait accompli ne changent pas cette donne ».

 

« La déclaration du gouvernement des États-Unis est une violation flagrante de la Charte des Nations Unies et des principes du droit international, ainsi que des résolutions internationales pertinentes, notamment les résolutions n ° 242 (1967) et n ° 497 (1981) du Conseil de sécurité, et cela aura de grands effets négatifs sur le processus de paix au Moyen-Orient, la sécurité et la stabilité de la région. ”

 

« Le Royaume d’Arabie saoudite appelle toutes les parties à respecter les résolutions du droit international et la Charte des Nations Unies. »

 

Pas facile pour Riyad de prendre une telle position soutenant vigoureusement Damas, juste après un conflit acharné en Syrie. Mais de toute évidence, c’est dans l’intérêt des Saoud de condamner sans équivoque la décision de Trump. En effet, l’Arabie saoudite compte aussi des frontières instables. La Ligue arabe lui a emboîté le pas. Tout comme la Turquie. L’Iran a bien évidemment émis de vives critiques également.

 

Si la Jordanie – l’un des Etats les plus “artificiels” – et le Liban, qui ne contrôle pas totalement son territoire et ses frontières, ont survécu à de multiples assauts contestant leur autorité, c’est notamment parce que de puissants acteurs extérieurs (y compris les Etats-Unis) le souhaitaient. Quant aux frontières de la Syrie, de l’Irak, du Sinaï égyptien et du Yémen, elles restent toutes extrêmement volatiles et contestées à l’heure actuelle. Pour le dire plus simplement, malgré les impositions artificielles de longue date et à l’échelle de toute la région, il y a parmi les nouveaux défis qui se posent, ces frontières du Moyen-Orient qui ont survécu jusqu’ici mais qui sont à présent soumises à de grandes pressions en raison de l’apparition de nouvelles lignes de fractures.

 

Trump a peut-être marqué un « but personnel » avec cette annonce du Golan. Sans aucun doute, cette démarche téméraire affaiblira sa modeste stratégie iranienne. La position de Téhéran selon laquelle ce sont les Etats-Unis et non l’Iran qui violent le droit international devient encore plus difficile à contredire. De manière générale, pour citer Abdel Aziz Aluwaisheg, secrétaire général adjoint aux Affaires politiques du Conseil de coopération du Golfe, “l’annonce de Trump sur le Golan pourrait gâcher des décennies de diplomatie US et rendre très difficile pour Washington le rétablissement de son influence et de sa crédibilité dans la région“.

 

Désormais, tout plan de paix US pour le Moyen-Orient sera plus que jamais difficile à vendre, surtout sous la houlette de Trump. Pour intervenir en Syrie, les Etats-Unis utilisent comme prétexte la nécessité de mettre fin à la présence militaire de l’Iran. Mais cette position devient désespérément intenable. Une sympathie généralisée à l’égard de la Syrie va se répandre partout à travers le monde arabe.

 

L’Iran et le Hezbollah peuvent par ailleurs justifier de manière convaincante leur présence en Syrie. Plus important encore, la décision de Trump sur le Golan cimente pratiquement l’alliance syro-iranienne qui s’était construite sur le principe de résistance aux Etats-Unis et à Israël.

 

Paradoxalement, la sécurité d’Israël est confrontée à de nouveaux défis de taille venant de Syrie, alors qu’un nouveau « front de résistance » se dessine. En effet, développer une forte capacité de dissuasion contre Israël devient la priorité numéro un pour la Syrie.

 

Au-delà du Moyen-Orient, les implications mondiales sont encore plus difficiles à anticiper. L’Inde a un problème frontalier non résolu avec la Chine, tandis que le Pakistan refuse de reconnaître le Jammu-et-Cachemire comme faisant partie intégrante de l’Inde. L’Afghanistan ne reconnaît pas la ligne Durand. Et la Chine n’accepte aucun obstacle dans la voie à l’unification de Taiwan. L’annexion de la Crimée par la Russie manque de légitimité alors que l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud n’ont pas d’amateurs dans la communauté internationale.

 

Ce sont quelques exemples éloquents. Ils montrent qu’en portant atteinte au sacro-saint principe du droit international sur le respect des frontières et de l’intégrité territoriale des Etats-membres de l’ONU, la décision de Trump sur le Golan revient à créer un nid de frelons qui n’a même pas besoin d’être agité.

 

Source originale: Indian Punchline

Traduit de l’anglais par Investig’Action

Source: Investig’Action

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