Nous, les Latino-américains de bonne foi, ne pouvons cesser de ressentir comme une gifle sur notre propre joue la sous-estimation raciste de ceux qui élèvent des murs sur l’immense frontière qui sépare le Mexique de son voisin du nord.
Etre avec le Mexique en ces heures difficiles est notre nouvel engagement dans la plus parfaite tradition “martienne”. (1) Exilé au Mexique, José María Heredia (2) disait avec fierté « nous, les Américains ». Il faisait allusion à l’univers qui s’étend au sud du Río Bravo et va jusqu’à l’arc des Antilles. « Si près des Etats-Unis et si loin de Dieu » ont coutume de dire les Mexicains. Plus récemment, Fidel disait qu’à la différence de ce qui est arrivé sur d’autres continents, les affrontements armés entre nos pays ont été relativement rares.
L’essence commune de notre histoire, à partir de la conquête espagnole, a des points de contacts qui favorisent une certaine proximité malgré des différences culturelles qui ne peuvent pas être éludées. Pour de nombreuses raisons géographiques et historiques, le Mexique nous est particulièrement proche.
Je dois reconnaître que, dans mon petit cœur, je garde un endroit particulier pour « la douce patrie. » Cela s’est fait par des amitiés, des lectures et des voyages. A cause de cela, je rougis de colère et de honte quand je vois les politiques xénophobes qui réaffirment la sous-estimation de ce que nous sommes et de l’oeuvre accomplie par les peuples originaires de ce monde. Ne nous y trompons pas. Le racisme comprend, au-delà de la couleur de la peau, tous ceux qui ont été qualifiés de latinos.
Comme Heredia, Martí a eu des amis au Mexique qui ont profondément pénétré sa pensée. Sur cette terre est tombé Julio Antonio Mella. Les membres de l’expédition du Granma ont trouvé là une aide inestimable.
Les échanges entre nos pays ont commencé dès le départ d’ Hernán Cortés pour le Mexique, ont continué avec l’accueil d’exilés de gauche et de droite dans les 2 pays. Ils ont été plus intenses à partir de la révolution mexicaine qui, avec ses revendications agraires et nationalistes, a secoué toute l’Amérique Latine. Pour les intellectuels, les mesures prises par José Vasconcelos sont devenues des exemples d’un modèle à suivre. Le muralisme (3) a eu une répercussion universelle. Quelque chose de similaire s’est produit avec la stimulation de la lecture et la publication de livres.
Dans le milieu populaire, le dialogue avec le Mexique a eu encore plus de portée. Nous avons appris à chanter « Si Adelita est partie avec un autre. » Pancho Villa y Emiliano Zapata sont devenus des symboles comme ailleurs les « mariachis ». L’expansion du cinéma a renforcé cette relation encouragée par les images de Jorge Negrete (4) ( très apprécié à La Havane dans les années 40 du siècle dernier) et de María Bonita. (5)
Sur le plan de la lutte anti-coloniale, l’image de Lázaro Cárdenas (6) est devenue celle d’un géant avec la nationalisation du pétrole, le soutien à l’Espagne républicaine et l’accueil d’un exil dont la culture mexicaine tirerait d’importants bénéfices. Mes contemporains des années 50 ont commencé une critique des erreurs du PRI, de la prison arbitraire à Lecumberri et des syndicats de mèche avec les patrons.
Il ne me revient pas de faire, dans cet article, une analyse de la politique du pays voisin. Nous ne pouvons pas oublier, cependant, que les membres de l’expédition du Granma se sont entraînés là et que le Mexique, fidèle à ses principes, n ‘a jamais rompu les relations avec la Cuba harcelée.
Nous, les Latino-américains de bonne foi, ne pouvons cesser de ressentir comme une gifle sur notre propre joue la sous-estimation raciste de ceux qui élèvent des murs sur l’immense frontière qui sépare le Mexique de son voisin du nord, qui qualifient de « délinquants » et de « parasites sociaux » les représentants d’un peuple qui a été amené par la misère à ramasser les fruits en Californie et contribue à faire la richesse de ceux qui les méprisent.
L’arrogance des riches est basée sur une ignorance pathétique. Les habitants du Mexique pré-hispanique ont donné au monde une culture d’une richesse infinie. Le musée d’anthropologie de Mexico n’a rien à envier au Louvre ou au Prado.
En arrivant à Tenochtitlán, les conquistadors ont été éblouis par les merveilles et par l’étendue de cette ville construite sur une lagune, qui dépasse de beaucoup la petite et malodorante Madrid de l’époque. A l’occasion de ma première visite au DF, le musée d’anthropologie avait une surface limitée au Zócalo. J’y suis allée souvent, toujours attirée par la calendrier aztèque.
Chez nos peuples originaires, l’étude du firmament dépassait dans beaucoup de ses aspects le savoir que nous en avions de l’autre côté de l’Atlantique. L’erreur tragique a consisté à ne pas avoir d’armes à feu. Mais il faut se demander, à une époque où la survie de l’espèce est menacée, si dans ce désintérêt ne se niche pas une leçon de sagesse. Les mains de nos peuples continuent à semer le maïs. Ils ont édifié des villes qui se caractérisent par le splendide style baroque des Indes.
L’heure de la modernité est venue, ils ont laissé dans les arts visuels, dans la musique, dans la littérature et au cinéma, les preuves d’un travail de création qui a fini par imposer sa présence de l’autre côté de l’Atlantique. S’obstinant à défendre leur identité, et manquant encore d’un haut niveau d’instruction, les « chicanos » (7) sans papiers, soumis à de très dures conditions de travail, sont restés fidèles à l’engagement de témoigner d’une culture qui, elle-même, s’exprime dans un artisanat admirable.
Cependant, nous avons vu de loin les crimes commis contre les femmes à Ciudad Juárez, les innombrables morts lors des tentatives pour passer la frontière illégalement, la fracture des familles à cause de l’expulsion de parents dont les enfants sont nés aux Etats-Unis, l’exploitation inique des usines de sous-traitance, le cancer générateur de corruption du trafic de drogue et l’inaction face à l’assassinat de jeunes gens qui n’avaient d’autre désir que de propager l’enseignement dans leurs communautés.
Pour justifier tant de crimes, on continue à imposer des stéréotypes. Pour les Latino-américains, nous sommes tous aussi des Mexicains. Etre avec le Mexique en ces heures difficiles est notre nouvel engagement dans la plus parfaite tradition martienne…
Traduction de l’espagnol par Françoise Lopez pour Bolivar Infos
Relu par Benoît Courcey pour Investig’Action
NOTES de la traductrice:
1 ) De José Marti
2 ) Poète cubain, cousin du poète français du même nom, né à Santiago de Cuba le 31 décembre 1803 et décédé à Toluca (Mexique) le 7 mai 1839.
3 ) Le muralisme mexicain est un mouvement artistique qui s’est développé au Mexique au début du xxe siècle. dans la suite de la révolution mexicaine de 1910. Il a prétendu donner une vision de l’Histoire à toutes les composantes du peuple mexicain, par le biais d’un art naïf accessible à tous les types d’observateurs, y compris les analphabètes. Ces peintures, illustrant la gloire de la révolution mexicaine et des classes sociales qui lui sont associées (prolétaires, paysans), ont été réalisées dans des lieux publics tels que le Palais national de Mexico. https://fr.wikipedia.org/wiki/Muralisme_mexicain
4 ) Jorge Alberto Negrete Moreno (30 novembre 1911 – 5 décembre 1953) est considéré comme l’un des chanteurs et acteurs mexicains les plus populaires. Son enregistrement de la chanson « México Lindo y Querido » (Beau et cher Mexique), l’hymne non officiel du Mexique, en reste la version la plus connue. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Jorge_Negrete)
5 ) Maria Bonita était le surnom de Maria Déia, membre d’une bande de Cangaço, maraudeurs et hors-la-loi qui ont terrorisé le nord-est brésilien dans les années 1920 et 1930. La relation entre Maria Bonita et Lampião est fermement ancrée dans l’histoire folklorique brésilienne, avec une notoriété «romanesque et violente» similaire à celle de Bonnie et Clyde aux Etats-Unis. Elle a fait l’objet d’innombrables histoires folkloriques, de livres, de bandes dessinées, de brochures populaires ( littérature de cordel ), de chansons, de films et de plusieurs feuilletons télévisés . (https://translate.google.fr/translatehl=fr&sl=en&u=https://en.wikipedia.org/wiki/Maria_Bonita_(bandit)&prev=search)
6 ) Très populaire auprès des communautés indigènes et des paysans, il est élu en 1934 Président du Mexique pour un mandat de six ans. Cárdenas poursuit un programme de répartition des terres, modernise l’industrie, nationalise les entreprises pétrolières – créant ainsi Pemex (Petróleos Mexicanos) – et réforme profondément le système éducatif tout en le dotant de moyens financiers importants. Il permettra en 1936 à Léon Trotsky et à de nombreux militants politiques persécutés de trouver refuge au Mexique, comme il le fera pour les réfugiés républicains de la guerre d’Espagne. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Lázaro_Cárdenas)
7 ) Mexicains émigrés aux Etats-Unis
Source : http://www.granma.cu/cuba/2017-02-19/mexico-lindo-y-querido-19-02-2017-21-02-05