Les épisodes des derniers jours, qui ont vu l’érection de barricades, la destruction de bâtiments publics ainsi que la violence largement utilisée par les groupes d’opposition, ravivent la mémoire des guarimbas de 2014 [1]. Après des mois de violence, des quartiers dans un véritable état de siège, et un nombre de morts, les bandes d’opposition se sont peu à peu démobilisées. Mais certains analystes affirment que cette fois c’est différent. Avec une droite revenue au pouvoir au Brésil et en Argentine et l’hostilité permanente de l’Empire, certaines entités internationales ont été neutralisées et d’autres, comme l’OEA (Organisation des États américains), ont adopté un agenda clairement interventionniste contre le Venezuela. Et comme toujours quand il s’agit du Venezuela, l’empire et l’oligarchie locale s’assurent que leur « guerre » dans la rue soit appuyée par une « guerre » à travers les médias.
Capitalisation de chaque mort
Le 13 avril, des groupes d’opposition armés ont pénétré dans Ali Primera, un projet de logement à Barquisimeto et ont abattu de plusieurs balles un garçon de 13 ans, Brayan Principal [2]. Alors que la mère du garçon ainsi que d’autres résidents ont accusé des terroristes de droite, l’Agence France Presse, suivie des autres médias, a préféré faire confiance uniquement à un législateur de l’opposition, Alfonso Marquina, afin de connaître les circonstances de cette mort. Car il a tenu les propos suivants : “Des partisans armés du gouvernement sont responsables de la mort du garçon” [3]. Donc des terroristes de droite ont attaqué l’un des projets-phares du gouvernement, ont abattu un jeune garçon, et les médias ont rapporté que c’était la faute du gouvernement !
Une victime de meurtre a été transformée en martyre pour servir la cause de ses meurtriers !
Même si ce genre de manipulation peut sembler révoltante, c’est en réalité une pratique commune. À travers la manipulation et une perspective incroyablement orientée, les médias dominants ont redoublé d’efforts pour faire entrer chaque mort et chaque blessé dans la case “le gouvernement autoritaire réprime des manifestants pacifiques”.
Les violentes guarimbas d’opposition de 2014 se sont soldées par 43 morts [4]. Un examen détaillé des victimes et des circonstances dans lesquelles elles sont mortes montrent que quelques unes d’entre elles étaient membres de l’opposition, un nombre équivalent étaient des agents des forces de l’ordre et la grande majorité d’entre elles étaient soit des partisans du gouvernement soit des passants. Et pourtant, les médias occidentaux (ainsi que des médias vénézuéliens privés) parlaient de “43 morts dûs à la répression du gouvernement” ou de “43 morts, voilà le bilan des affrontements avec les forces de l’ordre”. Si on avait de la chance, on pouvait lire quelque chose comme “43 victimes équitablement réparties sur l’échiquier politique”. Mais même cette formule prête à confusion. Tendre un câble au milieu d’une avenue et décapiter un motard n’est pas une simple déclaration politique, et c’est la même chose pour une victime, qu’elle soit de tel ou tel bord politique. Il s’agit tout simplement d’un meurtre.
Les forces de police vénézuéliennes ont parfois été accusées d’utiliser des stratégies brutales, à l’image de la récente campagne de l’OLP (Opération de Libération du Peuple). Mais il demeure que des agents des forces de l’ordre ont été arrêtés et accusés de négligence ou d’actes criminels qui pourraient avoir causé les blessures ou la mort de passants ou de manifestants, même si ceux-ci étaient armés et violents. C’est arrivé il y a quelques jours, lorsqu’un passant a été abattu par un agent de police [5], comme cela s’est passé il y a trois ans. Ce niveau de responsabilité est à des années-lumières de l’impunité qui existe dans des pays comme les États-Unis, ou les agents de police peuvent tirer sur un homme non-armé ou étrangler quelqu’un jusqu’à la mort sans qu’ils ne soient vraiment inquiétés.
La tentative de coup d’État permanente de l’opposition
La Harvard Kennedy School, ainsi que d’autres établissements qui éduquent les enfants des oligarques vénézuéliens devraient peut-être avoir la bonne idée d’inclure Machiavel dans leur programme. En lisant “Le Prince” ils deviendraient conscients du danger que représente le fait d’engager des mercenaires pour faire leur sale boulot. Après avoir reçu leur salaire, et surtout après avoir été arrêtés, l’engagement des mercenaires dans leur cause, en l’occurence restaurer l’ancienne gloire de l’oligarchie vénézuelienne, risque de ne pas être très fiable.
La semaine dernière, l’un des individus arrêtés pour actes de violence et vandalisme, Guido Rodríguez, a avoué qu’il avait été payé par le parti d’opposition Primero Justicia (PJ) [6], le parti de l’ancien candidat à la présidence Henrique Capriles, pour vandaliser et brûler des bâtiments publics. Un autre membre de l’opposition arrêté a également montré du doigt les cadres du PJ. Pour leur part, les dirigeants de PJ se sont tirés une balle dans le pied avec leur réaction.
Un autre registre tenu à jours par les médias, à l’aide des ONG financées par les USA, est celui du nombre de personnes arrêtées. On peut facilement imaginer ce qui se passerait si quelques dizaines de hooligans montaient des barricades sur la 5ème avenue de Manhattan, vandalisaient des boutiques à Londres, ou incendiaient des bâtiments publics à Paris. Ou si des snipers tiraient sur des agents de police. Et pire encore, imaginez que des preuves que des leaders de partis extrémistes comme le FN ou l’UKIP aient payé pour ces activités soient publiquement révélées. Les médias applaudiraient leur arrestation pendant des semaines. Mais de la même manière que toutes les morts provoquées par l’opposition sont systématiquement mises au crédit du gouvernement, n’importe quelle arrestation est une arrestation de “manifestants” pacifiques pour des raisons politiques.
L’un des individus arrêtés en 2014 était Lorent Saleh [7]. Après que les services de renseignement vénézuélien aient intercepté des communications dans lesquelles ils disaient préparer l’explosion d’une bombe ainsi que assassinats, il a été extradé par la Colombie et arrêté. Mais dans les vidéos interceptées, dont certaines ont été publiées, Saleh désignait l’ancien maire de Caracas et membre éminent de l’opposition Antonio Ledezma comme le personnage central qui a rendu la préparation de ces plans macabres possibles [8]. Pourtant, quand Ledezma a été arrêté quelques mois plus tard pour son implication dans la préparation d’un nouveau coup d’État, la seule version qu’on a entendue c’est celle de la propagande habituelle, d’un gouvernement autoritaire voulant se débarrasser de l’opposition démocratique. On dirait qu’au Venezuela être démocratique signifie tout simplement que vous recevez de l’argent de la National Endowment for Democracy (NED).
La vérité se trouve toujours si l’on veut bien se donner les moyens de chercher au-delà des mensonges et de la propagande. Le département d’État, l’OAS et les médias peuvent appeler à l’unisson à la libération des “prisonniers politiques”, ils peuvent soutenir de toutes leurs forces la proposition d’une loi d’amnestie faite par l’opposition. Tout ce qu’il reste à faire c’est d’examiner le contenu de cette proposition de loi d’amnestie pour y trouver un aveu détaillé de tous les crimes que l’opposition souhaite faire pardonner [9]. Cela va de l’incendie volontaire au terrorisme en passant par la fraude fiscale et toute autre sorte de délit. En qualifiant ces individus coupables de ces crimes de “prisonniers” politiques, les médias dominants ont assumé leur statut de parti pris dans la guerre contre le Venezuela [10].
Chaos et résistance
Le plan de l’opposition est assez simple [11]. Les élites nationales et internationales faisant leur part du travail dans la guerre économique et le blocus financier, c’est au tour des agents politiques de faire la leur. Cela passe par inciter les gens à descendre dans la rue, chose qu’ils n’ont pas toujours réussi à faire, et provoquer autant de chaos que possible. Puisque les médias, qu’ils soient privés et vénézuéliens ou internationaux, s’assurent que la violence et les morts bénéficient toujours à l’opposition, leur espoir est de déclencher une chaîne d’événements qui déboucherait sur un coup d’État semblable à celui de 2002, ou sur une intervention militaire extérieure (3). Ou enecore, dans le pire des cas, épuiser le chavisme afin de s’assurer une victoire à la prochaine élection présidentielle.
Mais c’est loin d’être gagné. Car ces complots permanents en vue d’un changement de régime immédiat montrent que l’opposition et ses soutiens à l’étranger sont très intéressés par un scénario de coup d’État. Et ce n’est pas un hasard si les violentes barricades prennent place dans le riche Caracas de l’est et non dans les quartiers de l’ouest. Même s’ils sont les plus touchés par la crise économique, la classe vénézuelienne pauvre et ouvrière ont montré à de nombreuses reprises ces dernières années qu’ils étaient engagés dans ce projet qui, pour la première fois de l’histoire, leur a donné la parole et les a mis au centre des débats. Et ils ne sont certainement pas prêts à rendre ce pouvoir aux élites.
Notes
(1) Guarimba est le nom donné aux violentes manifestation anti-gouvernement, où des barricades sont utilisées la plupart du temps.
(2) Cela fait partie d’un programme de logement du Venezuela appelé GMVV (Gran Misión Vivienda Venezuela),qui a permis de fournir 1,5 millions de maisons gratuitement ou à bas prix à des démunis et à des ouvriers vénézuéliens. Ces projets immobiliers sont la cible acharnée de l’oligarchie de droite, qui voient dans ceux-ci une attaque contre leur droit sacro saint de gagner de l’argent en spéculant sur l’immobilier.
(3) Un des bouffons de l’opposition, David Smolansky, a tweeté que le gouvernement de Maduro utilisait des armes chimiques (en réalité des gaz lacrymogènes), et a appelé les États-Unis à bombarder son propre pays !
Traduit de l’anglais par Rémi Gromelle
Source: Journal de Notre Amérique, Investig’Action